C’est avec ces mots qu’un des maires d’une centaine de communes réunis à Souillac (dans le Lot), vendredi 18 janvier, a accueilli le président de la République lors de la deuxième journée du « Grand débat national ».
Peut être, est ce bien résumer l’initiative de l’exécutif pour essayer de reprendre la main face à la mobilisation des gilets jaunes depuis le 17 novembre dernier ? En tout cas, de nombreux maires de petites communes n’étaient pas venus là pour faire allégeance au président jupitérien et, au contraire, ne mâchaient pas leurs mots. Pour autant, quel crédit peut on porter à ce débat national dont on nous rebat les oreilles depuis des semaines ?
Un débat bien mal inauguré
Bien qu’il soit présenté sans rire, comme un tournant dans la mandature et la manière de gouverner d’Emmanuel Macron, il a fort mal commencé. Tout d’abord parce que Chantal Jouanno, à qui avait été confié le soin d’organiser ce débat, a dû jeter l’éponge quand ont été révélés ses appointements pour cette mission. Ensuite, et surtout parce que dès le départ le pouvoir l’a précisé d’entrée, il n’y aura pas de « changement de cap ».
Quel sens donner alors à cette démarche ?
Un fait est évident : c’est que cette initiative de l’exécutif est pétri dès le départ d’un certain nombre de paradoxes. La proposition de débattre sur l’ensemble du territoire national est un moyen pour contrer un mouvement inédit, durable et déterminé. Cette réponse est censée, pour un pouvoir affaibli, impopulaire et aux aguets, gagner du temps et montrer la pseudo volonté du gouvernement de renouer le dialogue avec tous les Français-e-s, un moyen aussi de tenter d’isoler ainsi le mouvement des Gilets jaunes. Pour autant, même si les GJ, à juste titre, ne croient pas à ces initiatives, ce sont eux qui, involontairement, ont obligé le pouvoir à ce type de proposition. Pourquoi cela ? Parce qu’en plus des revendications sociales notamment, mises en avant par leur mouvement, ils ont pointé un des problèmes majeurs de cette cinquième République monarchique : le déficit de démocratie. Ça n’est pas nouveau, certes. Mais, dans le cadre d’un exercice du pouvoir très personnel de la part d’Emmanuel Macron, celui ci a pris de nombreux risques et s’est exposé systématiquement à la vindicte populaire. Tous les maux lui sont attribués ainsi que toutes les décisions dont la responsabilité est bien moins portée aux yeux d’une très grande partie de la population, par les autres membres du gouvernement. Si on rajoute à cela les petites phrases assassines, au rythme presque d’une par semaine et qui reflètent le mépris de classe de l’individu, on comprend qu’il soit la cible de tous les mécontentements. A la grande satisfaction sans doute de ceux qu’il sert en réalité, le MEDEF, et les plus riches en général. En effet, au grand soulagement du grand patronat, si des revendications portent sur le pouvoir d’achat, quasiment jamais sa responsabilité n’est pointé par le mouvement, même si c’est ce grand patronat qui veut maintenir coûte que coûte des bas salaires et bénéficier de toujours plus de cadeaux fiscaux.
Un débat pour quels débats ?
Mais pas plus qu’il est question pour le chef de l’Etat de faire amende honorable, il n’est pas plus question pour lui de céder sur le fond du débat et sur les conséquences de ce dernier. D’où un débat très orienté et cadré par « la lettre adressée aux Français ».
On peut parler de tout, mais en réalité certains sujets ne sont pas évoqués, et donc de fait écartés, et d’autres s’imposent naturellement dans une logique toute « macronienne », c’est à dire très libérale. Par exemple, concernant la fiscalité, il est écrit ceci :
« Comment pourrait-on rendre notre fiscalité plus juste et plus efficace ? Quels impôts faut-il à vos yeux baisser en priorité ?
Nous ne pouvons, quoi qu’il en soit, poursuivre les baisses d’impôt sans baisser le niveau global de notre dépense publique. Quelles sont les économies qui vous semblent prioritaires à faire ?
Faut-il supprimer certains services publics qui seraient dépassés ou trop chers par rapport à leur utilité ? »
Ou bien concernant le modèle social français, encore ceci : « Notre modèle social est aussi mis en cause. Certains le jugent insuffisant, d’autres trop cher en raison des cotisations qu’ils paient. »
La cause est entendue, il n’est pas question de changer de logiciel. Celui de l’austérité pour les services publics et celui du discours démagogique sur les impôts. Car, c’est bien Emmanuel Macron et son gouvernement qui, depuis le début de la mandature, présentent la France comme un pays où on paie trop d’impôts, frein parait-il à l’activité économique, et entretiennent volontairement la confusion entre impôts et taxes.
Le vrai débat lui est occulté dans le Grand débat : pourquoi en effet ne pas demander aux Français leur avis sur les cadeaux fiscaux de toute nature, offerts aux entreprises, comme le CICE par exemple, censés créer des emplois. Il n’en est rien pourtant. Mais ces politiques, les mêmes depuis 30 ans, ne sont pas réinterrogées, et encore moins remises en question. Pas question d’en retrouver le thème au sein du Grand débat. Pas plus qu’il est question d’aborder l’ISF dont le rétablissement est largement porté par le mouvement des GJ.
De surcroît, dans une posture qui vise à rassurer l’électorat de droite, le thème des quotas d’immigration a été invité dans la discussion. Il ne fait pourtant pas parti des revendications des Gilets jaunes. Mais, pour le pouvoir en difficulté, il faut mordre sur un électorat favorable au parti de l’ordre, hostile aux réfugiés et inquiet du caractère émeutier des manifestations hebdomadaires du samedi.
Un débat tronqué donc, impossible d’être dupe !
Participer ou pas ?
Soyons clairs, les dés sont pipés en ce qui concerne le contenu et le cadre du débat. Pour autant suffit-il de de le dénoncer ou d’appeler à le boycotter ? Y participer risquerait-il de légitimer un débat qui de toute façon va montrer rapidement son imposture ?
La volonté de participer à ces débats sera disparate selon où on se trouve. La question n’est pas là. De plus, certaines initiatives lancées comme celle établissant des cahiers de doléances ou celle très récente consistant à lancer par les GJ leur propre plate-forme face au Grand débat, risquent de délégitimer davantage encore ce dernier.
De toute façon, le lancement du Grand débat n’a pas eu d’impact sur l’ampleur des manifestations partout en France lors de l’acte X, samedi 19 janvier.
Le vrai sujet, c’est comment imposer, quand cela est possible et utile, un certain nombre de thèmes sortant du cadre pré-établi avec un véritable rapport de force appuyé sur une mobilisation sociale (gilets jaunes, syndicalistes etc…) ? Comment faire émerger partout les structures faisant converger en leur sein les forces sociales soucieuses de porter un processus démocratique constituant ? Comment faire en sorte que s’imposent dans la période conjointement les enjeux sociaux et écologiques ?
Myriam Martin
Le grand débat : ou le grand bluff?
C’est avec ces mots qu’un des maires d’une centaine de communes réunis à Souillac ( dans le Lot ), vendredi 18 janvier, a accueilli le président de la république lors de la deuxième journée du « grand débat national ».
Peut être est ce bien résumer l’initiative de l’exécutif pour essayer de reprendre la main face à la mobilisation des gilets jaunes depuis le 17 novembre dernier. En tout cas de nombreux maires de petites communes n’étaient pas venus là pour faire allégeance au président jupiterien et au contraire ne mâchaient pas leurs mots. Pour autant quel crédit peut on porter à ce débat national dont on nous rebat les oreilles depuis des semaines.
Un débat bien mal inauguré
Bien qu’il soit présente sans rire, comme un tournant dans la mandature et la manière de gouverner d’Emmanuel Macron, il a fort mal commencé. Tout d’abord parce que Chantal Jouanno à qui avait été confié le soin d’organiser ce débat, a dû jeter l’éponge quand ont été révélés ses appointements pour cette mission. Ensuite et surtout parce que dès le départ le pouvoir l’a précisé d’entrée, il n’y aura pas de « changement de cap ».
Quel sens donner alors à cette démarche?
Un fait est évident : c’est que cette initiative de l’exécutif est pétri dès le départ d’un certain nombre de paradoxes. La proposition de débattre sur l’ensemble du territoire national est un moyen initialement pour contrer un mouvement inédit, durable et déterminé. Cette réponse est censée, pour un pouvoir affaibli, impopulaire et aux aguets, gagner du temps et montrer la pseudo volonté du gouvernement de renouer le dialogue avec tous les français-e-s, un moyen aussi de tenter d’isoler ainsi le mouvement des gilets jaunes. Pour autant même si les GJ, à juste titre, ne croient pas à ces initiatives, ce sont eux qui involontairement ont obligé le pouvoir à ce type de proposition. Pourquoi cela? Parce qu’en plus des revendications sociales notamment, mises en avant par leur mouvement, ils ont pointé un des problèmes majeurs de cette cinquième république monarchique, le déficit de démocratie. Ça n’est pas nouveau certes. Mais dans le cadre d’un exercice du pouvoir très personnel de la part d’Emmanuel Macron, celui ci a pris de nombreux risques et s’est exposé systématiquement à la vindicte populaire. Tous les maux lui sont attribués ainsi que toutes les décisions dont la responsabilité est bien moins portée aux yeux d’une très grande partie de la population, par les autres membres du gouvernement. Si on rajoute à cela les petites phrases assassines, au rythme presque d’une par semaine et qui reflètent le mépris de classe de l’individu, on comprend qu’il soit la cible de tous les mécontentements. A la grande satisfaction sans doute de ceux qu’il sert en réalité, le Medef et les plus riches en général. En effet au grand dam du gouvernement et au grand soulagement du grand patronat, si certaines revendications portent sur le pouvoir d’achat, l’incrimination de ceux qui veulent maintenir coûte que coûte des bas salaires et bénéficier de toujours plus de cadeaux fiscaux, n’est pas franchement à l’ordre du jour.
Un débat pour quels débats?
Mais pas plus qu’il est question pour le chef de l’état de faire amende honorable, il n’est pas plus question pour lui de céder sur le fond du débat et sur les conséquences de ce dernier. D’où un débat très orienté et cadré par « la lettre adressée aux français ».
On peut parler de tout mais en réalité certains sujets ne sont pas évoqués et donc de fait écartés et d’autres s’imposent naturellement dans une logique toute « macronienne », c’est à dire très libérale. Par exemple, concernant la fiscalité, il est écrit ceci :
« Comment pourrait-on rendre notre fiscalité plus juste et plus efficace ? Quels impôts faut-il à vos yeux baisser en priorité ?
Nous ne pouvons, quoi qu’il en soit, poursuivre les baisses d’impôt sans baisser le niveau global de notre dépense publique. Quelles sont les économies qui vous semblent prioritaires à faire ?
Faut-il supprimer certains services publics qui seraient dépassés ou trop chers par rapport à leur utilité ? »
Ou bien concernant le modèle social français, encore ceci : « Notre modèle social est aussi mis en cause. Certains le jugent insuffisant, d’autres trop cher en raison des cotisations qu’ils paient. »
La cause est entendue, il n’est pas question de changer de logiciel. Celui de l’austérité pour les services publics et celui du discours démagogique sur les impôts. Car c’est bien Emmanuel Macron et son gouvernement qui depuis le début de la mandature, présentent la France comme un pays où on paie trop d’impôts, frein parait-il à l’activité économique, et entretiennent volontairement la confusion entre impôts et taxes. Le vrai débat lui est occulté dans le grand débat : pourquoi en effet ne pas demander aux français leur avis sur les cadeaux fiscaux de toute nature, offerts aux entreprises, sur le CICE par exemple, censés créer des emplois. Il n’en est rien pourtant. Mais ces politiques les mêmes depuis 30 ans, ne sont pas réinterrogees et encore moins remises en question. Pas question d’en trouver le thème au sein du grand débat. Pas plus qu’il est question d’aborder l’ISF dont le rétablissement est largement porté par le mouvement des GJ.
De surcroît dans une posture qui vise à rassurer l’électorat de droite, le thème des quotas d’immigration a été invité dans la discussion. Il ne fait pourtant pas parti des sujets de prédilections des principales revendications des gilets jaunes. Mais pour le pouvoir en difficulté, il faut mordre sur un électorat favorable au parti de l’ordre, hostile aux réfugiés et inquiet du caractère émeutier des manifestations hebdomadaires du samedi.
Un débat tronqué donc, impossible d’être dupe!
Participer ou pas?
Soyons clairs, les dés sont pipés en ce qui concerne le contenu et le cadre du débat. Pour autant suffit-il de de le dénoncer ou d’appeler à le boycotter? Y participer risquerait-il de légitimer un débat qui de toute façon va montrer rapidement son imposture?
La volonté de participer à ces débats sera disparate selon où on se trouve. La question n’est pas là. De plus certaines initiatives lancées comme celle établissant des cahiers de doléances ou celle très récente consistant à lancer par les GJ leur propre plate-forme face au grand débat, risquent de délégitimer davantage encore ce dernier.
De toute façon le lancement du grand débat n’a pas eu d’impact sur l’ampleur des manifestations partout en France lors de l’acte X, samedi 19 janvier.
Le vrai sujet c’est comment imposer quand cela est possible et utile, un certain nombre de thèmes sortant du cadre pré-établi avec un véritable rapport de force appuyé sur une mobilisation sociale ( gilets jaunes, syndicalistes etc…), comment faire émerger partout les structures faisant converger en leur sein les forces sociales soucieuses de porter un processus démocratique constituant, comment faire en sorte que s’imposent dans la période conjointement les enjeux sociaux et écologiques.
Myriam Martin