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Le Brexit et l’indépendance de l’Ecosse

Au-delà des rapports entre le Royaume-Uni et les autres pays de l’Union européenne, le Brexit a réactivé certaines questions nationales. A commencer, naturellement, par la question irlandaise : dénommé « backstop » ou « filet de sécurité », le dispositif envisagé est censé empêcher la montée des tensions consécutive à la déclinaison locale du rétablissement des frontières entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni, à savoir le rétablissement de la frontière entre la République d’Irlande (membre de l’UE ) et l’Irlande du Nord.

Mais le Brexit impacte également l’Ecosse. En 2014, lors d’un référendum, l’indépendance de l’Ecosse a été repoussée par 55% des votants. Pourtant, l’année suivante, en 2015, le principal parti indépendantiste – le SNP, social-démocrate de gauche – a remporté les élections au Parlement écossais et obtenu 56 députés sur 59 ! Lors du référendum sur le Brexit, à la différence du reste du Royaume-Uni, la majorité des électeurs écossais a voté en faveur du maintien dans l’Union européenne. Pour autant, en cas de Brexit, les Ecossais vont se retrouver hors de l’UE, sans l’avoir voulu. Pour les partisans de l’indépendance de l’Ecosse, ce décalage entre le vote britannique et le vote écossais à propos de l’UE justifie un second référendum pour l’indépendance dont l’enjeu, de fait, serait double : gagner l’indépendance par rapport à Londres et rester au sein de l’UE.

Impulsée par le Parti national écossais (SNP), cette démarche est loin de faire l’unanimité au sein des partisans de l’indépendance, notamment parmi ceux qui se réclament de la gauche radicale. On lira ci-après un article de Colin Fox, porte-parole du Parti socialiste écossais (SSP), principale organisation de la gauche révolutionnaire écossaise et qui milite pour une Ecosse indépendante et socialiste. Alors que, il faut le rappeler, les principales organisations britanniques d’extrême gauche ont pris position en faveur du « Lexit » – un « Brexit de gauche » ! – cet article donne un éclairage particulier et intéressant sur les débats provoqués par le Brexit au sein de la gauche radicale, tant en Angleterre qu’en Ecosse.

https://scottishsocialistparty.org/colin-fox-brexit-independence-the-case-for-socialism/

Les notes explicatives sont du traducteur (François Coustal).

Le Brexit, l’indépendance et la lutte pour le socialisme

On a dit que le Brexit était la pire crise à laquelle ait été confrontée la classe dominante britannique, depuis la crise de Suez. Ironiquement, ce qui était en jeu était déjà le rétrécissement du pouvoir de la Grande-Bretagne dans le monde. La Grande-Bretagne – qui était alors la superpuissance coloniale au Moyen-Orient et avait libéré l’Afrique du Nord des nazis – fut totalement déstabilisée par les nationalistes arabes du colonel Nasser, ainsi que par les actions politiques de la France, des États-Unis et des Nations Unies. La crise avait alors débouché sur la démission du Premier ministre, Anthony Eden.

L’actuelle crise du Brexit articule des thèmes similaires. La classe dominante britannique est confrontée à une puissante Union européenne par rapport à laquelle elle est de plus en plus périphérique. Il y a au sein de la classe dominante un schisme sur la manière de concevoir les rapports avec l’Union européenne entre d’un côté les « petits Anglais » qui restent fascinés par les jours anciens de l’Empire, qui aspirent à un monde où le travail est bon marché et où il n’y a pas d’interférences extérieures et, de l’autre côté, le capital multinational britannique avec ses propres ambitions globales dans le cadre de l’Union européenne. C’est ce groupe qui est hégémonique au Parlement de Westminster, alors que ce sont les voix issues de l’autre groupe qui ont gagné le référendum.

La principale difficulté pour les partisans du socialisme est que le Brexit n’est pas un conflit de classe. Ce n’est pas un clivage gauche / droite. C’est une lutte entre deux factions de la classe dominante. En 2016, le SSP s’est prononcé pour le « Remain » – rester dans l’Union européenne – au nom du moindre mal.

Dans les négociations, aussi bien May que Barnier représentent les intérêts du capital. Bien qu’un accord signifierait la fin de l’appartenance de la Grande-Bretagne à l’Union européenne, à la politique agricole commune, à la politique commune en matière de pêche, à la juridiction de la Cour européenne de justice, à l’Union douanière et au marché unique de l’Union européenne, la classe ouvrière continuera d’être soumise à d’intenses niveaux d’exploitation, aussi bien au sein de l’Union européenne qu’en dehors de l’Union européenne.

Nous n’apportons aucun soutien à l’accord présenté par Theresa May, car il n’offre aucune solution aux problèmes des travailleurs. De même, nous n’avons aucune illusion dans l’Union européenne. C’est et cela reste un club antidémocratique de patrons, fermement sous l’emprise du capitalisme néo-libéral.

Nous sommes des internationalistes qui pensent que l’Europe appartient aux peuples d’Europe et que ses richesses doivent être partagées entre tous les peuples d’Europe. Nous ne permettrons pas que les travailleurs migrants soient pris comme boucs émissaires pour tous les maux de notre société. Nous les défendrons et nous tendrons la main de la solidarité à tous les migrants afin de s’assurer qu’ils ne seront pas utilisés comme main d’œuvre à bon marché.

L’impact du Brexit sur l’indépendance de l’Ecosse

Selon toutes probabilités, le Brexit aura lieu le 29 mars. Si cela se produit, cela constituera une défaite significative du projet expansionniste qui est celui de l’Union européenne et pour le grand capital, même si c’est une défaite avec laquelle ils pourront parfaitement continuer à vivre. A l’inverse, ce sera une espèce de victoire pour Theresa May et les « Brexisters ».

Le Parti socialiste écossais (SSP) se bat pour une Ecosse indépendante et socialiste. En tant que nation, l’Ecosse a droit à l’autodétermination si elle le souhaite. La majorité de la classe ouvrière est sans conteste la force principale du combat pour l’indépendance et de plus en plus de membres des classes populaires pensent qu’ils vivraient mieux, aussi bien sur le plan économique que sur le plan politique, s’ils pouvaient contrôler directement la manière dont le pays est géré.

Depuis sa création il y a plus de 20 ans, le SSP soutient l’indépendance. Nous avons cofondé la « Convention pour l’Indépendance de l’Ecosse » puis « Oui à l’Ecosse », avec le Parti Vert écossais et le Parti national Ecossais (SNP). Pour autant, nous ne sommes pas des nationalistes : soutenir le droit démocratique à l’autodétermination ne fait pas de vous un nationaliste. James Connolly (1), John Maclean (2) and Vladimir Lénine n’étaient pas des nationalistes, mais chacun d’entre eux a soutenu le droit des nations opprimées à l’autodétermination.

Mais nous ne sommes pas non plus les toutous du SNP. Nous avons le devoir de dénoncer les tactiques dont nous pensons qu’elles mettent en péril la lutte pour l’indépendance. Et nous le ferons, même si à cause de cela nous devons être censurés, dénoncés ou accusés de trahison par des imbéciles.

La tactique du second référendum pour l’indépendance

Il y a quinzaine de jours, Nicola Sturgeon (3) a menacé Theresa May d’un second référendum sur l’indépendance si l’Ecosse devait sortir de l’Union européenne. Elle a promis que le vote aurait lieu entre Avril 2019 et le 31 décembre 2020.

Mais il faut constater que les paroles de Nicola Sturgeon sont une menace creuse. Elle n’obtiendra jamais de Westminster l’activation de l’article 30 (4). Il n’y a pas à l’heure actuelle de majorité en faveur de l’indépendance. Dans les deux cas, elle ne prendra jamais le risque d’une seconde défaite !

En mettant une telle énergie à défendre l’appartenance à l’Union européenne et en répandant de dangereuses illusions sur cette institution, elle montre qu’elle n’est qu’une porte-parole du capital multinational, dont l’éloquence s’adresse surtout à la classe moyenne d’Ecosse. Les Ecossais de la classe ouvrière sont nettement moins concernés par l’appartenance à l’Union européenne que leurs homologues de la classe moyenne. Par contre, ils sont nettement plus intéressés par l’indépendance !

En répandant des illusions sur l’Union européenne alors que celle-ci est anti-démocratique, centraliste et néo-libérale, le SNP menace la réponse qu’il ne peut fournir, à savoir maintenir l’Ecosse au sein de l’Union européenne lorsque la Grande-Bretagne la quittera.

En outre, Sturgeon s’est trompée sur toutes ses prévisions économiques et sociales à propos du Brexit depuis juin 2016. Elle a gaspillé un temps et une énergie précieuse, relativisant l’argumentation en faveur de l’indépendance (sinon sur le plan économique) et ne la défendant pas de façon efficace. Le travail accompli – notamment le rapport désastreux remis par la Commission sur la croissance, a débouché sur des solutions capitalistes qui ont fait faillite, ignorant la vie réelle de ces millions d’Ecossais de la classe ouvrière qu’il nous faut convaincre si nous voulons gagner.

En exagérant le décalage des suffrages sur la sortie de l’Union européenne selon que l’on se trouve au nord ou au sud de la « Frontière » (5), elle a accru l’impression selon laquelle cela constituait en soi un argument suffisant en faveur de l’indépendance. Ce n’est pas le cas ! Et, d’ailleurs, dans les sondages, cela n’a pas accru le score en faveur de l’indépendance. Elle a ainsi fourni une arme aux unionistes qui peuvent ainsi souligner ses contradictions. Ainsi nous voudrions l’indépendance vis-à-vis du Royaume-Uni afin de récupérer des parts de souveraineté… pour les remettre à une élite anti-démocratique et contrôlée par les multinationales, à Bruxelles !

Sturgeon a traité le second référendum sur l’indépendance non comme une solution de principe mais comme une tactique destinée à obtenir quelques miettes tombées de la table de Westminster.

Dans le passé, le SNP insistait sur le fait que conquérir une majorité de députés écossais constituait en soi un mandat pour l’indépendance. Ce n’est plus le cas. Dans la même veine, il prétendait que gagner une majorité à Holyrood (6) aurait la même signification. Mais ce n’est plus le cas après la victoire électorale de 2011.

L’activation par Westminster de l’article 30 qui est nécessaire pour déclencher un second référendum ne se produira pas. Persévérer dans cette voie ne permettra aucun succès et risque en réalité de provoquer la déroute du combat pour l’indépendance.

Existe-il d’autres stratégies gagnantes pour l’indépendance ?

Une autre élection générale ? En 2015, le SNP a remporté 56 sièges sur 59 : il sera plutôt difficile d’obtenir un mandat plus clair dans le cadre d’élections générales britanniques (Westminster). En outre, le SNP ne va pas recourir à une stratégie électorale indiquant que l’indépendance constitue l’alpha et l’oméga du vote ; le SNP s’est compromis comme i-un parti électoraliste.

La désobéissance civile ? Peut-être. Ces tactiques politiques demandent beaucoup d’habileté, de la discipline et un grand savoir-faire organisationnel. Nous avons de l’expérience sur ce sujet : le Parti socialiste écossais est né des efforts réalisés lors de l’animation du plus grand mouvement de masse de désobéissance civile qu’a connu l’Ecosse. A savoir, la campagne contre la poll-tax (7) dans les années 1990.

Mais nous ne pourrons emprunter cette route qu’après avoir fait la preuve que le soutien à l’indépendance est majoritaire. C’est un critère absolument déterminant et, pour l’instant, il n’est pas rempli.

Construire les forces et la stratégie pour obtenir l’indépendance

Alors, comment gagner cette majorité insaisissable ? D’abord, il faut être honnête et admettre qu’en 2014 nous avons perdu parce que notre dossier n’était pas assez bon. Notre argumentation économique était très pauvre et nos promesses plutôt nébuleuses. Nous avons perdu les polémiques sur la monnaie, sur les retraites, sur les fondations économique set le contrôle financier du nouvel Etat. Et, depuis, nous n’avons toujours pas opéré de manière collective de retour critique sur ces échecs.

Il existe un mythe au sein de l’aile droite du mouvement indépendantiste selon lequel c’est la perte du soutien de la classe moyenne qui nous aurait coûté la victoire en 2014. Cet argument a ensuite été utilisé pour justifier les conclusions néo-libérales de la Commission sur le développement soutenable (animée par Andrew Wilson). Mais c’est complètement faux ! La vérité, c’est qu’en 2014 nous n’avons pas gagné la majorité de la classe ouvrière. Et à moins d’y parvenir nous ne remporterons jamais de référendum.

Cela ne sert à rien de brouiller ces questions au moyen d’appels à l’unité. L’unité ne saurait remplacer ni la clarté ni une stratégie gagnante. Nous sommes minoritaires dans les sondages parce que notre démarche n’est pas encore suffisamment convaincante. L’attitude qui consiste à dire « encore un effort » ne fait que refléter l’immaturité et l’impatience de ceux qui sous-estiment nos adversaires au sommet de l’Etat britannique. Il faut d’abord persuader la majorité du peuple écossais avant de réclamer un second référendum. Jusqu’à ce que nous soyons correctement préparés et politiquement mieux positionnés pour remporter la victoire, il faut attendre.

Le défi socialiste

Aujourd’hui, en Ecosse, le combat pour le socialisme constitue un défi. C’est un défi redoutable alors que les attaques contre la classe ouvrière sont incessantes et intraitables et que les niveaux de conscience de classe, de confiance en soi et de combativité sont bas.

En Novembre, il y a eu l’annonce de la fermeture de l’usine Michelin à Dundee avec la suppression de 850 emplois. Deux jours avant Noël, à Livingstone, l’entreprise d’ordinateurs Kaiam a supprimé 300 emplois et gelé le versement des salaires dus. A Shotts, les Services de Santé environnementale ont supprimé 450 emplois après que les Inspecteurs du gouvernement aient déterré des incompétences du management. Et pourtant, il n’y a eu aucune riposte.

Au cours de la décennie écoulée depuis 2008, les salaires réels ont connu leur plus longue période de baisse depuis les guerres napoléoniennes. Le pourcentage du PIB britannique qui revient aux salariés est à son plus bas niveau depuis la seconde guerre mondiale. Le niveau de vie des gens nés dans les années 1940 a atteint le double de celui de leurs parents. Avec le nouveau millénaire, il sera réduit de moitié pour la génération Internet.

Alors, où est la résistance ?

Depuis quelques temps maintenant, la majorité de la classe ouvrière s’en est remise à d’autres pour qu’ils mènent son combat. C’est la signification profonde de la confiance placée en Nicola Sturgeon ou dans le toujours insaisissable Jeremy Corbyn. A combien de phénomènes de soutien à des personnages charismatiques devrons-nous assister afin d’en arriver à la conclusion que les travailleurs doivent se dresser pour leur propre compte, construire leur propre pouvoir, mener leurs propres combats et n’attendre des partis capitalistes ou petit-bourgeois aucun progrès matériel ni aucune avancée.

En conséquence, les partisans du socialisme doivent se regrouper dans un parti socialiste et non s’illusionner sur la possibilité de changer des partis qui sont hostiles au socialisme. C’est pourquoi j’espère que vous rejoindrez le Parti socialiste écossais, pour aider à bâtir une Ecosse indépendante et socialiste, une république moderne et démocratique et un parti conçu pour que les travailleurs réalisent leurs ambitions politiques.

Colin Fox, porte-parole du Parti socialiste écossais (SNP)

Présentation, traduction et notes : François Coustal

Notes

  1. Théoricien marxiste révolutionnaire et syndicaliste, James Connolly (1868-1916) est l’un des dirigeants de l’insurrection irlandaise de Pâques 1916. Après l’échec du soulèvement, il est fusillé en mai 1916.

  2. John MacLean (1879-1923) est un responsable politique écossais, partisan du socialisme et opposé à toute participation à la Première guerre mondiale. A cause de cette position internationaliste et de son soutien au combat pour l’indépendance de l’Irlande, il a été emprisonné pour sédition. Il a ensuite participé aux tentatives de créer en Angleterre et en Ecosse une organisation révolutionnaire en solidarité avec la révolution bolchévique.

  3. Dirigeante du Parti national écossais (SNP), Nicola Sturgeon est actuellement Première Ministre d’Ecosse (dans le cadre des institutions écossaises crées par le processus de « dévolution » à l’Ecosse d’une série de prérogatives qui étaient autrefois l’apanage de Londres).

  4. L’article 30 fait référence à l’une des dispositions du Scotland Act (1998) qui fixe les conditions de l’autorisation par le Parlement britannique de la tenue d’un référendum sur l’indépendance de l’Ecosse. Il a été activité pour l’organisation du premier référendum en 2014. Mais le débat existe pour savoir si cette autorisation « britannique » est absolument obligatoire pour organiser un second référendum …

  5. La « Frontière » dont il est ici question est celle qui sépare l’Ecosse de l’Angleterre.

  6. Le Parlement écossais est situé à Holyrood, un quartier d’Edimburgh.

  7. L’instauration en 1990 de la « poll-tax », un nouvel impôt local social injuste, est à l’origine d’une vaste mobilisation alliant désobéissance civile et quasi émeutes urbaines à travers tous le Royaume-Uni. Cette mobilisation est à l’origine de la chute de Margaret Tchatcher ; après son éviction, la poll-tax a été supprimée. En Ecosse, les principaux animateurs de cette lutte sont parmi les fondateurs du SSP