Depuis le tremblement de terre provoqué par les mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc, les oreilles s’ouvrent et les femmes commencent à être entendues lorsqu’elles dénoncent les violences qu’elles subissent. Le travail au long cours des féministes depuis des décennies n’aura pas été vain! Des personnalités comme Adèle Haenel et Sarah Abitbol ont brisé le silence dans les milieux de la culture et du sport. Mais les nominations, et pire, les récompenses honteuses de Roman Polanski aux César prouvent qu’il y a encore du chemin à parcourir.
Portées par ce nouvel élan, nous étions 100.000 dans la rue le 23 novembre dernier lors de la manifestation Nous Toutes.
Les violences économiques vont de pair avec les violences physiques et sexuelles. Une étude de l’IFOP datant de 2018 révèle ainsi que le harcèlement sexuel au travail traduit une volonté d’intimidation envers les femmes. Rabaissées dans la sphère publique, celles-ci sont maintenues dans un état d’infériorité économique qui les rendent, encore aujourd’hui, dépendantes financièrement des hommes. Ainsi en cas de violence conjugale les femmes, souvent, n’ont pas d’échappatoire économique.
Face à ces mécanismes, le gouvernement n’a pas trouvé mieux que de proposer des mesures insuffisantes au Grenelle.
Il cherche, en outre, à détruire nos acquis sociaux. En effet, le projet de réforme des retraites touchera encore plus durement les femmes qui ne seront pas les “Grandes Gagnantes”, mais les grandes perdantes. Premières victimes de cette attaque néolibérale, nous nous sommes mobilisées massivement dès les premières heures. Cette réforme ne viendra que s’ajouter aux inégalités salariales, aux temps partiels imposés, aux métiers “féminisés” qui sont totalement dévalorisés et donc sous-payés, aux carrières des femmes mises en retrait lors des maternités.
Face à toutes ces attaques contre notre émancipation, nous avons un mot d’ordre: la grève féministe!
Grève, le mot est lâché !
Bientôt le 8 mars. Cette journée internationale de lutte pour les droits des femmes trouve son origine en 1910 à la conférence des femmes socialistes et s’est incarnée le 8 mars 1917, jour de grève des femmes ouvrières de Saint-Pétersbourg qui va marquer le début de la Révolution russe.
Comme les Polonaises, les Argentines, les Espagnoles, les Belges, les Suissesses, les Italiennes, en France aussi nous grèverons féministement le 8 mars 2020, car cette journée est avant tout un jour de solidarité internationale.
Si les femmes s’arrêtent, tout s’arrête
La grève féministe vise à mettre en avant le rôle fondamental des femmes. Elle montrera que si les femmes s’arrêtent, tout s’arrête. De fait, c’est l’ensemble des activités réalisées par les femmes qui sont appelées à être suspendues ce jour-là. En cette journée de mobilisation, nous appelons toutes les femmes à arrêter le travail domestique qu’elles réalisent en moyenne à hauteur de 72%, et ce, de manière non rémunérée et invisibilisée dont profitent principalement les hommes et les ménages. Selon l’INSEE, il représente en 2010 en France, 60 milliards d’heures et 33% du PIB. Comme le dit, la journaliste Titiou Lecoq “Laisser moisir le linge sale, c’est aussi un acte politique”. Ce travail domestique doit être, autant que faire se peut, “socialisé” (laveries, cantines abordables et de qualité, service public de la petite enfance, notamment pour les familles monoparentales, service public de prise en charge de la dépendance, etc.).
En outre, de nombreux secteurs sont en activité le dimanche: transports, santé, culture, hôtellerie restauration, commerce… et certains comportent beaucoup d’emplois précaires majoritairement exercés par des femmes qui cumulent plusieurs oppressions, tels le racisme et le sexisme, et sont de ce fait plus vulnérables. Nous convenons de l’intérêt du travail dominical lorsque l’intérêt général est en jeu, mais là où il est n’est pas nécessaire nous demandons qu’il soit interdit.
Grève de la consommation
Le capitalisme et la surconsommation qui en découle sont des mécanismes qui surexploitent non seulement la planète, mais également les femmes et les minorités les plus précaires. Dénoncer la consommation avec une approche féministe ne peut se faire sans rappeler que le corps des femmes est constamment ciblé et réifié à des fins mercantiles. Pour condamner cette exploitation capitaliste générée par la consommation et dénoncer l’image passive que la publicité donne des femmes à elles-mêmes, nous appelons toutes les femmes à prendre leur place d’actrices politiques et à ne réaliser aucun achat ce jour de grève.
En bref, soyons unies, soyons nombreuses le 8 !
La grève féministe, pratiquée partout dans le monde, ne se contente pas de dénoncer notre précarité économique, mais réaffirme également la défense de tous nos droits et nos acquis aujourd’hui attaqués: tentatives réactionnaires de restreindre le droit à l’avortement, tentative au Sénat de limiter le remboursement de la PMA pour les lesbiennes et les femmes seules dans le projet de loi en discussion, violences obstétricales, etc. Nous appelons toutes les femmes à exprimer leur colère, leur révolte contre un système patriarcal dont nous connaissons les mécanismes et qui doit disparaître.
Le 8 mars, nous grèvons, nous crions, nous manifestons !
Ont également signé cette tribune :
- Zahra Agsous, militante féministe, Maison des Femmes de Paris
- Marie Noëlle Bas, présidente des Chiennes de Garde
- Sonia Bisch, porte-parole du Collectif “Toute.s contre les violences gynéco et obstétricales”
- Claire Charlès Secrétaire générale des effronté-e-s
- Ingrid Hayes, historienne, Université Paris-Nanterre
- Héléna Hirata, sociologue émérite au CNRS.
- Danièle Kergoat, sociologue, directrice de recherche honoraire au CNRS
- Anaïs Leleux, militante féministe
- Margaret Maruani, sociologue au CNRS
- Nelly Martin, Marche Mondiale des Femmes France
- Christiane Marty, Fondation Copernic
- Florence Montreynaud, écrivaine féministe
- Francoise Picq, maîtresse de conférences retraitée, Science politique.
- Céline Piques, Osez le féminisme
- Suzy Rojtman, Collectif National pour les Droits des Femmes
- Roselyne Rollier, Maison des Femmes de Montreuil