« Grèce : un accord historique pour tourner la page« , titrait Le Monde du 23 juin. La lecture de l’article indique pourtant que, loin d’être tournée, cette page, parmi les plus noires de ce pays qui en a pourtant connu un certain nombre, va continuer à être écrite par les mêmes protagonistes. La Grèce a été quasiment détruite par les plans d’austérité successifs que les institutions et les gouvernements européens lui ont imposés. Cette saignée censée guérir le malade a abouti à une catastrophe économique et sociale.
Depuis 2010, le PIB du pays a diminué d’un tiers, 35 % de sa population vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, et la baisse massive du niveau de vie s’est accompagnée d’un désastre sanitaire qui voit des pans entiers de la population privés de tout soin médical.
Non seulement l’accord conclu le 21 juin ne permettra pas de sortir de cette situation, mais il risque fort de l’aggraver. Tout d’abord, remarquons qu’à la différence des autres plans imposés à la Grèce, qui étaient limités dans le temps, celui-ci court jusqu’en 2069, puisque les remboursements auprès du Mécanisme européen de stabilité (MES) ne seront théoriquement terminés qu’à cette échéance.
Pire, le pays doit dégager un surplus primaire (excédent budgétaire avant paiement des intérêts de la dette) de 3,5 % du PIB jusqu’en 2022 et de 2,2 % pendant les trente-sept années suivantes. S’il a été un peu repoussé dans le temps, le remboursement de la dette grecque reste le seul objectif des institutions européennes. Pour tenir ces engagements, la Grèce s’est condamnée à être asphyxiée par une austérité permanente qui ne peut que l’enfoncer encore plus dans un marasme économique dont la population continuera à payer le prix fort.
Va-t-elle au moins récupérer à ce prix son indépendance politique ? Pas immédiatement en tout cas, car jusqu’en 2022, la Grèce devra subir un audit de ses comptes publics quatre fois par an. Autant dire que le pays reste sous tutelle. Il le sera d’autant plus qu’il va être livré en pâture aux marchés financiers, sur lesquels, en effet, il va maintenant devoir se financer.
Au vu de la tempête qu’a subie récemment l’Italie, qui a vu ses taux d’intérêt s’envoler, avec des répercussions sur l’Espagne et le Portugal, on ne voit pas comment la Grèce pourrait se financer, si ce n’est à des taux exorbitants. Le risque d’un nouveau scénario catastrophe ne peut être exclu, même si l’accord prévoit que le pays pourrait bénéficier d’un filet de sécurité de 15 milliards d’euros pour faire face à ses prochaines échéances.
L’arrivée de Syriza au gouvernement avait représenté l’espoir que le pays serait capable de sortir de la spirale infernale dans laquelle les institutions et les gouvernements européens l’avaient enfermé.
Face à l’étranglement financier du pays consciemment organisé par la Banque centrale européenne (BCE) et l’Eurogroupe, Alexis Tsipras a refusé de les affronter et n’a pas pris les mesures unilatérales qui lui auraient permis de desserrer l’étau. Il a choisi de capituler, espérant pouvoir négocier au mieux l’avenir de son pays.
Alors qu’un plan de reconstruction et d’investissements massifs était nécessaire, la Grèce est condamnée aujourd’hui au mieux à péricliter, au pire à continuer à s’enfoncer dans la pauvreté et le dénuement. Une leçon pour toute la gauche européenne.
Pierre Khalfa, publié sur le Le Monde.fr