Depuis l’échec de La France insoumise (LFI) à l’élection au Parlement européen, le débat est engagé sur les causes de cette déconfiture. Plusieurs explications sont avancées tant par les soutiens du groupe dirigeant de LFI que par des commentateurs. Pour les premiers, la cause serait entendue : l’échec serait dû à la fois à une campagne électorale qui aurait entretenu l’ambiguïté sur la question de l’Union européenne et au fait que le choix de la tête de liste ne permettait pas d’avoir une campagne «disruptive» qui aurait permis de prolonger le «dégagisme» originel de LFI. Pour les seconds, tout tiendrait à la personnalité de Jean-Luc Mélenchon qui, notamment par son attitude lors de la séquence des perquisitions, aurait effrayé l’électorat potentiel de LFI. Pour les premiers, il faudrait revenir au «populisme» originel, pour les seconds, tout se réduit à une question de personne et de supputer sur les remplaçants possibles.
Ces deux explications font fi de ce qui s’est passé entre l’élection présidentielle et aujourd’hui. Jean-Luc Mélenchon a fait près de 20% à l’élection présidentielle. Ce résultat venait de l’addition de deux électorats : celui du Front de gauche et d’une partie de l’électorat qui avait voté François Hollande en 2012 (environ 25%). C’est donc un électorat de gauche qui a fait le succès de Jean-Luc Mélenchon. Ce succès a été permis par la très bonne campagne du candidat et par le fait que, la candidature de Benoît Hamon s’écroulant, Jean-Luc Mélenchon est apparu en situation d’être au second tour et donc de gagner. Il a été ainsi le vote utile à gauche.
Or les législatives du mois de juin 2017 montrent la fragilité de ce résultat puisque LFI ne fait que 11% et se trouve être la force politique de loin la plus désertée par rapport à l’élection présidentielle : elle perd, selon les enquêtes d’opinion, environ 60% de son électorat. Cela aurait dû alerter la direction de LFI sur la fragilité du vote pour Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle. Cela n’a pas été le cas et, succombant à l’hubris, péché mortel du succès, comme nous le savons au moins depuis Thucydide, LFI s’est comportée comme une force hégémonique se voulant un mouvement total englobant toute la société. La morgue de cette orientation a commencé à se fracasser lors des élections législatives partielles, où LFI a fait des résultats pour le moins très décevants, et avec le constat de son incapacité à être à l’initiative de mobilisations de masse, ce qui l’a heureusement conduit à participer au collectif unitaire «marée populaire».
Projet émancipateur
Combinée à une rétractation militante due à la fois à l’épuisement de l’activisme quotidien et à l’inexistence d’une démocratie interne permettant une réelle discussion, cette situation a produit des tensions inévitables qui, faute de lieux pour trancher les débats, se sont traduites par des exclusions arbitraires dont la presse a fait ses choux gras. Or quel que soit ce que l’on peut penser des positions des responsables exclus – et l’auteur de ces lignes en pense pis que pendre –, on ne peut construire un mouvement politique durable qui fonctionne de cette façon.
Au-delà, il faut interroger le fond de l’orientation. Elle renvoie à une vision de la politique conçue uniquement sur la base de la désignation d’un ennemi, l’objectif étant de «fédérer le peuple» contre l’oligarchie. Or si la désignation d’un ennemi est certes la condition du combat politique, la politique ne peut s’y réduire. L’espace politique est aussi un espace où se construit du commun à travers notamment l’élaboration de projets politiques et la politique ne peut se réduire à un strict rapport de forces. La référence au peuple ne construit en elle-même aucun projet politique. Ainsi le RN pouvait, dans la dernière campagne électorale, proclamer sur ses affiches «Donnons le pouvoir au peuple.» Pour que la référence au peuple puisse être féconde, il faut qu’elle soit surdéterminée par un projet émancipateur porteur d’un imaginaire social de transformation, comme l’a été en son temps l’idée de communisme, au-delà même de la réalité du «socialisme réellement existant». Mais cela suppose de comprendre que l’on ne peut pas simplement surfer sur la colère et le ressentiment, ou pire sur la haine. Un mouvement politique visant l’émancipation doit être capable d’être porteur d’une espérance qui permet de se projeter dans l’avenir et pas simplement d’un refus de l’ordre existant.
Syndrome hégémonique
C’est dire si le débat que tentent de nous imposer certains commentateurs et paradoxalement certains dirigeants de LFI entre «le populisme dégagiste» et «l’union de la gauche» est dépourvu de sens. Populisme dégagiste vraiment ? Il ne semble pas que le succès d’EE-LV, qui a bénéficié d’une bonne part de l’électorat de LFI (20%), soit dû à cette orientation. Quant à l’union de la gauche, on ne voit pas comment l’union de forces en déclin ou marginales résoudrait le problème qui nous est posé. Si la gauche d’émancipation a certes été incapable de présenter un front commun, elle a surtout été incapable d’être porteuse de l’espérance d’une société désirable, d’un projet qui soit capable de transformer la colère populaire, qui s’est notamment manifestée lors du mouvement des gilets jaunes, en un espoir de changement politique.
Même avec les écologistes, dont certains dirigeants semblent eux aussi atteint aujourd’hui du même syndrome hégémonique que LFI naguère, elle s’avère incapable de présenter une alternative politique un tant soit peu crédible. Il faut donc aujourd’hui engager un processus dont l’objectif est de refonder/reconstruire une gauche aux prises avec les réalités économiques, sociales et écologiques du XXIe siècle. Une telle gauche ne peut simplement être le produit de la convergence pourtant nécessaire des forces politiques existantes mais devrait pouvoir agréger toutes celles et ceux qui, au quotidien, luttent contre le néolibéralisme autoritaire et contre toutes les formes de dominations et d’oppressions, ce qui suppose pluralisme et démocratie. La direction de LFI y est-elle prête ?