Parmi les conditions d’armistice et de capitulation, figure l’organisation d’élections pour désigner un nouveau parlement. L’élection va se dérouler le 8 février. A Paris ce que l’on peut appeler la gauche du mouvement, la gauche ouvrière et sociale – l’Association internationale des travailleurs, les chambres fédérales des sociétés ouvrières qui sont des organisations de type syndical, le Comité central républicain des vingt arrondissements – se rassemble et publie un manifeste commun pour soutenir ce que ces organisations appellent « des candidats présentés au nom d’un monde nouveau par le parti des déshérités ». Ce Manifeste précise : « Ces candidatures socialistes révolutionnaires signifient dénégation à qui que ce soit de mettre la République en discussion, affirmation de la nécessité de l’avènement politique des travailleurs, chute de l’oligarchie gouvernementale et de la féodalité industrielle, organisation d’une République qui rendant aux ouvriers leur instrument de travail comme celle de 1792 rendit la terre aux paysans, réalisera la liberté politique par l’égalité sociale ».
Le résultat de l’élection n’est pas exactement à la hauteur des espérances. Quatre députés socialistes révolutionnaires sont élus, dont Guiseppe Garibaldi, un vieux révolutionnaire italien qui n’était même pas candidat. Mais, ce ne sont que 4 députés sur 43 à Paris, même s’il y a aussi des députés républicains élus à Paris. Mais l’élément le plus spectaculaire est évidemment le résultat national, lequel illustre le décalage voire la coupure qui existent entre Paris et la Province. Même s’il vrai que, par la suite, il y aura des Communes dans des villes de Province, l’isolement de Paris va peser très lourd, y compris sur la fin tragique de la Commune de Paris.
Au total, sur 750 députés élus, on dénombre 450 monarchistes, sans compter de nombreux bonapartistes. Autant dire que la France rurale et conservatrice vient de désigner une assemblée particulièrement réactionnaire, totalement aux antipodes de l’effervescence révolutionnaire que l’on a connue à Paris.
Paris est assiégé, mais ce n’est sûrement pas la principale raison pour laquelle l’assemblée qui vient d’être élue ne va pas siéger à Paris… mais à Bordeaux. C’est-à-dire loin, le plus loin possible du Paris populaire et ouvrier. Les députés parisiens, socialistes révolutionnaires ou républicains, doivent donc se rendre à Bordeaux pour siéger. L’historien de la Commune, P-O Lissagaray décrit ainsi l’accueil fait aux malheureux députés parisiens : « quand les échappés de Paris, frémissant encore de patriotisme, les yeux caves mais brillants de foi républicaine, arrivèrent au Grand Théâtre de Bordeaux où l’assemblée se réunit, ils trouvèrent devant eux quarante années de haine affamée, notoriétés des bourgs, châtelains obtus, mousquetaires écervelés, dandys cléricaux, tout un monde insoupçonnés de villes rangées en bataille contre Paris. Paris l’athée, la révolutionnaire qui avait fait trois républiques et bousculé tant de dieux ».
Immédiatement, un premier incident se produit, qui en dit long sur l’ambiance. G. Garibaldi qui porte sa légendaire chemise rouge se lève. Il a simplement l’intention d’annoncer qu’il est certes très honoré du vote des électeurs parisiens qui l’ont élu mais qu’il n’était pas candidat et qu’il ne compte pas siéger à l’assemblée. Avant même d’avoir pu prendre la parole, Garibaldi est insulté ; les hurlements de la majorité réactionnaire couvrent sa voix. Pour protester contre ce traitement Victor Hugo, qui a lui-même élu député à Paris comme républicain modéré, démissionne.
Le 19 février, un nouveau gouvernement est formé, avec Adolphe Thiers à sa tête. Paris est en butte à l’hostilité de la nouvelle assemblée et du nouveau gouvernement. Une autre menace se précise : l’entrée des Prussiens qui entendent marquer le rapport de force et défiler dans Paris. C’est alors que se produit l’évènement fondateur qui, comme souvent dans l’histoire des révolutions, est un évènement totalement imprévu. Jusqu’alors le mouvement populaire a été puissant mais sans direction. En parallèle, il existe des groupes et des sensibilités politiques qui cherchent à donner une représentation et une direction au mouvement : les blanquistes qui sont à l’affût de toute occasion de « prise du pouvoir », l’Association internationale des travailleurs, qui cherche à donner un contenu revendicatif de classe, le Comité central républicain des vingt arrondissements, né des aspirations à la liberté communale pour Paris. Mais ce processus ne débouche pas.
Finalement, l’issue politique va venir de là où ne l’attend pas, c’est-à-dire de la Garde nationale. A la mi-Février, une idée commence à émerger au sein des bataillons de la Garde nationale : donner une organisation de représentation à la Garde nationale, qui de fait constitue le seul cadre existant où se regroupent tous ceux qui veulent poursuivre la lutte et, de fait, mener le mouvement populaire le plus loin possible. Le 15 février, à la salle du Vauxhall, rue de la Douane, une réunion débouche sur la conclusion suivante : il faut fédérer les bataillons. Fédérer est un terme à retenir : le Mur des Fédérés, etc. C’est le terme sous lequel vont ensuite être désignés les Communards : les « Fédérés ». La matérialisation de cette idée sera la création d’une structure : le Comité central de la Garde nationale. La Garde nationale est alors organisée sur une base géographique, par quartiers et par arrondissements. Lors de cette réunion, il y a déjà 18 arrondissements sur 20 qui sont présents. Chaque arrondissement a désigné un représentant qui va siéger dans une commission chargée de rédiger des statuts, les nouveaux statuts de la Fédération de la Garde nationale.
Le 24 février, nouvelle réunion dans la même salle. Cette fois-ci, il y a 2.000 participants. L’assemblée évoque à nouveau l’élection d’un Comité central de la Garde nationale, sans véritablement aboutir. Par contre, elle adopte plusieurs résolutions. La première, très importante, est l’affirmation que « la Garde nationale ne reconnaît pour chefs que ceux qu’elle a élus. » La seconde est qu’elle promet « de résister au besoin par les armes à toute tentative qui serait faite pour la désarmer ». A l’issue de cette réunion, la foule se rassemble dans un autre lieu symbolique de l’histoire révolutionnaire de Paris : la place de la Bastille. Pour la première fois depuis 1848, le drapeau rouge fait son apparition.
Deux jours plus tard, le 26 février, nouvelle manifestation pour éviter que les canons qui appartiennent à la Garde nationale ne soient livrés aux Prussiens par le gouvernement. La Garde nationale les transporte en un certain nombre d’endroits qui sont les bastions du Paris populaire, le Paris des quartiers de l’Est et du Nord : Montmartre, La Villette, Belleville, la place des Vosges, etc. Le gouvernement envoie des régiments de l’armée régulière pour disperser les manifestants et empêcher que la Garde nationale ne conserve les canons. Mais, assez vite, les soldats fraternisent avec la foule. La prison Sainte-Pélagie est prise d’assaut et l’ensemble des prisonniers politiques sont libérés. Alors qu’il est toujours prévu que les Prussiens défilent dans Paris, ce sont 40.000 hommes de la Garde nationale en armes qui remontent les Champs-Élysées, ce qui constitue une véritable démonstration de force. Cela provoque des discussions au sein des comités et des assemblées sur la possibilité de s’opposer par la force à l’entrée des troupes allemandes. Finalement, cela ne se produira pas, car cela aurait évidemment provoqué un massacre. La décision est prise de se retrancher dans les quartiers de l’Est parisien et de ne pas empêcher l’entrée des Prussiens dans la partie Ouest de Paris. Les Prussiens entrent dans Paris le 1er mars.
Le 3 mars, nouvelle réunion au Vauxhall : 200 bataillons de la Garde nationale sont représentés. Les statuts sont adoptés et un Comité central provisoire de la Garde nationale est constitué sur la base de 3 représentants par arrondissement, sans distinction de grade, ce qui est évidemment très important. Comme des rumeurs persistantes font état d’un projet de réunir durablement l’assemblée nationale ailleurs qu’à Paris, la réunion affirme que « le département de la Seine se constituera en République indépendante » au cas où l’Assemblée « décapitaliserait » Paris. Durant toute cette période, la presse de Province mène une campagne intense contre Paris et décrit la capitale comme livrée aux pilleurs et aux incendiaires.
Adolphe Thiers et son gouvernement décident alors de nommer comme général de la Garde nationale un général particulièrement brutal et réactionnaire, Daurel de Baladine. Sitôt nommé, celui-ci entend purger la Garde nationale de ses éléments subversifs. Il convoque donc les chefs de bataillon. Sur 260 chefs de bataillon, seulement une trentaine se rend à la convocation. De son côté, le Comité central de la Garde nationale appelle les citoyens à organiser des « cercles » ou des « comités » dans chaque bataillon et à désigner des représentants au Comité central
Pendant ce temps, à Paris, la situation économique et sociale se dégrade considérablement, d’autant que le 10 mars, l’Assemblée nationale vote la fin du moratoire des dettes, des loyers et des effets de commerce. La conséquence est immédiate : ceux qui ont emprunté pour survivre ne peuvent pas rembourser ; ceux qui ne peuvent pas payer leur loyer sont désormais menacés d’être expulsés et jetés à la rue. Thiers vient de réaliser l’unité de toutes les fractions réactionnaires : ceux qui veulent réinstaurer la monarchie – ou l’Empire – mais ne sont pas d’accord sur le candidat monarque. Cet accord est désigné comme le « Pacte de Bordeaux » ; fondé sur une idée simple : il faut d’abord régler la situation parisienne ; après on verra pour ce qui est du rétablissement de la monarchie.
L’Assemblée décide de ne pas revenir à Paris et de s’installer à Versailles. Le gouvernement suspend des journaux républicains tels que « Le Cri du peuple », « Le mot d’ordre », « Le Père Duchesne », « Le Vengeur ». Il ne s’agit pas de petits journaux confidentiels. Comme le précise Lissagaray, ce sont des journaux populaires dont certains tirent à plus de 200.000 exemplaires. Enfin est annoncée la condamnation à mort de plusieurs révolutionnaires, dont Auguste Blanqui et Gustave Flourens. Ce sont autant de préparatifs pour une confrontation, une épreuve de force.
Cette épreuve de force va se produire le 18 mars, à propos du contrôle des canons de la Garde nationale. C’est le début de la Commune de Paris.
François Coustal