Au cours des épisodes, j’ai essayé de raconter l’histoire de la Commune.
Pour cela, je me suis naturellement inspiré de quelques ouvrages.
Celui qui a été le plus cité est « L’histoire de la Commune de 1871 », de Prosper-Olivier Lissagaray (1). C’est un Communard – la légende veut qu’il ait été le dernier combattant de la dernière barricade – qui a échappé à la répression et, ensuite, fait un travail d’historien. Il a recensé de nombreux témoignages pour écrire une histoire de la Commune. Cet ouvrage constitue donc un document extrêmement précieux, écrit dans le style de l’époque. Mais ce qu’il raconte est absolument passionnant.
Le second ouvrage utilisé est « La Commune de 1871 » de C. Talès (2) ; c’est un ouvrage à la fois d’histoire et de réflexions. Il est paru dans les années 20 et essaie de tirer les leçons de la Commune. Le troisième ouvrage utilisé est « Paris Libre, 1871 » (3) de Jacques Rougerie, un historien contemporain : c’est un travail sur les archives, particulièrement pertinent pour comprendre comment les idées des Communards – notamment l’idée de Commune – ont émergé et se sont modifiées au cours des évènements.
Autre ouvrage important : « Inventer l’inconnu » (4) qui est un recueil de correspondances entre Marx et Engels à propos de la Commune de Paris, avec une longue préface de Daniel Bensaïd – « Politiques de Marx » – qui est une réflexion sur la politique, la Commune et le pouvoir. Depuis 2011, d’autres ouvrages sont parus qui, chacun à leur manière, améliorent nos connaissances sur la Commune et en font revivre les combattants et les combattantes. On citera notamment ceux de Kristin Ross (5), Quentin Deluermoz (6) et Ludivine Bantigny (7). On aura l’occasion d’y revenir…
Les petites interventions vidéos – dont les présents articles sont la transcription écrite fidèle – ont été mises en ligne sur le site du NPA au cours de l’année 2011. Elles constituaient alors une manière, pour le courant marxiste révolutionnaire, une manière de rendre hommage aux combattants et aux combattantes de la Commune. Bien d’autres courants, revues et associations ont commémoré cette année-là le cent-quarantième anniversaire et commémorent, aujourd’hui encore, la Commune.
Pourquoi cet impact maintenu de la Commune ? Un siècle et demi plus tard, la Commune a-t-elle quelque chose à nous dire ? Après tout, la Commune n’a duré que 72 jours ; elle est restée pour l’essentiel cantonnée à Paris, les Communes de Province n’ayant duré que quelques jours et même parfois que quelques heures. En pratique, ce fut un désastre dont le mouvement ouvrier français a mis un quart de siècle à se relever… Pourtant, 150 plus tard, la Commune de Paris demeure, pas seulement en France mais à l’échelle internationale, une référence pour toutes celles et tous ceux qui n’ont pas renoncé à changer la société, à la lutte pour l’émancipation. Il existe de nombreuses raisons à cette situation ; attardons sur quelques-unes d’entre elles .
La première raison de cette vivacité de la mémoire de la Commune est celle que l’on vient d’évoquer dans l’épisode précédent : l’écrasement de la Commune. Cet évènement est devenu le symbole par excellence de la sauvagerie de la bourgeoisie quand son pouvoir est menacé. Les massacres commis par les Versaillais ont eu lieu à Paris, au cœur de la capitale moderne d’un des pays les plus développés et les plus civilisés de l’époque. La classe dominante française – la bourgeoisie – n’ a pas hésité à massacrer une partie significative du peuple de Paris – plusieurs dizaines de milliers de personnes – la « partie bataillante » de la population afin de s’assurer « vingt ans de repos », comme l’écrivait alors Edmond de Goncourt . L’un des principaux textes de Marx sur la Commune est intitulé « La guerre civile en France ». Il ne s’agit pas d’une formule rhétorique, d’une exagération. Il y a bien eu une guerre civile. Une guerre de courte durée, mais une vraie guerre civile. Une guerre de classes. Rappeler cette réalité historique n’est pas principalement céder au goût de la célébration des martyrs même si rendre hommage aux combattants de la Commune est une démarche parfaitement honorable. L’écrasement de la Commune est d’abord une leçon à méditer pour ceux qui veulent changer la société : les anticapitalistes, les révolutionnaires. Et, d’ailleurs, tout autant les réformistes.
La deuxième raison de cette postérité de la Commune est précisément que pendant la Commune et surtout après, des militants, des intellectuels, des courants du mouvement ouvrier ont essayé de tirer « les leçons de la Commune ». Au cours même des évnements, dans les années 1870, ce fut le cas de Karl Marx, de Friedrich Engels, de Michel Bakounine. Ainsi, Bakounine se déclare partisan de la Commune « surtout parce qu’elle est la négation audacieuse et bien prononcée de l’État ». Il continue : « La Commune s’est déclarée fédéraliste et, sans nier l’unité nationale de la France qui est un fait naturel et social, elle nia audacieusement l’État qui en est l’unité violente et artificielle ».
Pour sa part, Karl Marx écrit : « Son véritable secret, le voici : c’est essentiellement un gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte des classes entre producteurs et appropriateurs, la forme politique enfin trouvée qui permettrait de réaliser l’émancipation économique du travail ». Ces deux citations permettent de souligner que, au-delà des éclairages différents – dans un cas, on met l’accent sur la négation de l’État ; dans l’autre cas, sur le gouvernement de la classe ouvrière – la Commune de Paris est un héritage commun aux libertaires et aux marxistes révolutionnaires.
Par la suite, Lénine, Trotski et bien d’autres vont nourrir les débats stratégiques sur les leçons de la Commune, notamment la nécessité de détruire l’État ou la nécessité d’un parti pour le faire. Il est important de redire que la Commune n’est pas la première expérience révolutionnaire à laquelle la classe ouvrière et les couches populaires participent et où elles jouent un rôle de premier plan et fournissent le gros du mouvement. Mais c’est la première expérience révolutionnaire où la classe ouvrière agit pour son propre compte au point de prendre le pouvoir. Et c’est effectivement, de façon éphémère, le premier gouvernement de la classe ouvrière. C’est à ce titre que la Commune a pris une série de mesures sociales et politiques. Le temps a évidemment manqué à la fois pour les mettre en œuvre et pour les approfondir.
Rappelons-en quelques-unes : la séparation de l’Église et de l’État ; le contrôle populaire sur l’armée ; l’éducation gratuite, laïque et obligatoire pour les filles comme pour les garçons ; l’interdiction du travail de nuit ; l’égalité des traitements des instituteurs et des institutrices (qui préfigure l’égalité des traitements entre hommes et femmes) ; la citoyenneté – comme on dirait aujourd’hui – pour les étrangers qui servent la Commune. Et, bien sûr, le décret sur les ateliers abandonnés qui constitue un embryon de réflexion sur l’expropriation des capitalistes et la gestion par les travailleurs et les travailleuses, l’autogestion.
Naturellement, depuis cette époque, le monde, la société, le capitalisme ont beaucoup changé. Il serait absurde de penser que l’œuvre de la Commune nous fournit clés en main les réponses politiques aux problèmes politiques et sociaux d’aujourd’hui. Mais on peut considérer que la Commune nous a légué des chantiers ouverts, des pistes tracées, une source d’inspiration.
Quelques réflexions pour conclure. Et d’abord une remarque générale : les Communards ont fait une révolution mais, dans leur grande majorité, ils ont fait une révolution sans l’avoir vraiment voulu, le plus souvent sans même en avoir conscience. Il existe un symptôme de cela : même lorsqu’ils essaient de penser l’action qu’ils sont en train de mener, de penser la révolution qu’ils sont en train de conduire, ils le font avec les mots, les concepts, les symboles, les références, d’une autre révolution. La Révolution française, celle de 1789 à 1793. A vrai dire, ce trait n’est pas spécifique à la Commune. En règle générale, les acteurs des grandes mobilisations sociales et politiques ont tendance à penser leur mouvement en référence à ceux du passé. Ainsi, les bolchevicks russes en 1917 se référeront aux révolutions précédentes : la Révolution française, la Commune. En 1968, on constate beaucoup de références à la Révolution française, à la Commune et… à la Révolutions russe. Ce n’est qu’a posteriori que l’on prend conscience de ce qu’i y avait de nouveau par rapport aux expériences passées.
La seconde remarque est que cette référence omniprésente à la Révolution française a évidemment eu des conséquences politiques. La dimension de révolution prolétarienne, de révolution socialiste est présente dès le début de la Commune et en permanence. Mais elle a du mal à émerger et à se formuler. La référence à la Révolution française produit aussi des discours qui pourraient être perturbants si on les regardait avec des grilles de lecture d’aujourd’hui. Par exemple, les diverses déclarations et proclamations – les décrets de la Commune comme les discours de ses « leaders » – ne laissent aucun doute possible : la première caractéristique des Communards est qu’ils étaient tous profondément anticléricaux et même antireligieux. La seconde remarque est qu’ils étaient patriotes et croyaient à l’universalité de la République française. La troisième remarque est qu’ils étaient farouchement républicains.
Mais il faut y regarder de plus près. Ce que l’on va faire à propos de la République. Formellement, ceux qui se sont auto-proclamés comme étant le gouvernement le 4 septembre, lors de l’abolition de l’Empire, les républicains modérés, toute une partie du gouvernement Thiers – des Versaillais, donc – sont républicains… tout comme les Communards ! Pourtant, leurs convictions sont absolument antagonistes…
La République des Versaillais est la forme politique de la domination de la bourgeoisie ; c’est la République de la politique professionnelle. C’est la République dont la fonction essentielle est d’être garante de la propriété privée. C’est cette République-là qui a triomphé fin mai 1871 et a perduré … jusqu’à nos jours. Pour le dire autrement : formellement, la III° République – la « République française », donc – a été proclamée le 4 septembre 1870. En pratique, elle a été confirmée 4 ans plus tard (en janvier 1875) par l‘Assemblée nationale à une seule voix de majorité. Mais son véritable acte de naissance politique et sociale est précisément l’écrasement de la Commune et le triomphe de la contre-révolution. C’est sur les ruines de la Commune que sera construite la III° République.
Pour les Communards, c’est l’inverse. La République, c’est la Révolution. C’est 1793, la levée en masse, le peuple en armes, les Sans Culottes, les sections parisiennes, « les aristocrates à la lanterne ». C’est aussi la première Commune de Paris, la République par en bas, les assemblées élues, les élus contrôlés et révocables dont les revenus ne dépassent pas ceux de leurs électeurs, les ateliers gérés par les ouvriers comme l’anticipe le décrets sur les ateliers abandonnés.
C’est la République sociale ou, comme on disait à l’époque, la Sociale !
François Coustal
Notes
- Prosper-Olivier Lissagaray, « L’histoire de la Commune de 1871 ». Editions La Découverte
- C. Talès, « La Commune de 1871 ». Editions Les Amis de Spartacus. 1921.
- Jacques Rougerie, « Paris Libre, 1871 ». Collection Points. Mars 2004.
- Karl Marx et Friedrich Engels, « Inventer l’inconnu, textes et correspondances autour de La Commune ». Editions La Fabrique. Novembre 2008.
- Kristin Ross, « L’imaginaire de la Commune ». Editions La Fabrique. Janvier 2015
- Quentin Deluermoz, « Commune(s), 1870-1871, une traversée des mondes au XIX° siècle ». Editions Le Seuil. Novembre 2020.
- Ludivine Bantigny, « La Commune au présent, une correspondance au-delà du temps ». Editions La Découverte. Mars 2021.