Le 21 mai, les premières troupes versaillaises entrent dans Paris par la Porte de Saint-Cloud. Le Conseil de la Commune apprend la nouvelle alors qu’il est en réunion, mais sans véritablement prendre la mesure de l’évènement. Lissagaray, l’historien que l’on a déjà beaucoup cité, racontent les évènements en ces termes : « des groupes se forment. On commente la dépêche. Tout se passe en causeries. Il n’y a ni motions ni débats. Personne ne demande d’établir une permanence. Personne ne somme ses collègues de mander le Comité de Salut public. Le Président Jules Vallès lève la séance ». C’est en réalité la dernière séance du Conseil de la Commune.
Le 22 mai, Charles Delescluze – qui est alors le responsable militaire de la Commune – finit par publier une proclamation très lyrique, mais assez décalée par rapport à la situation : « Assez de militarisme ! Plus d’État-major galonné et doré sur les coutures ! Place au peuple, aux combattants aux bras nus ! L’heure de la guerre révolutionnaire a sonné. Le peuple ne connait rien aux manœuvres savantes, mais quand il a un fusil à la main et du pavé sous les pieds, il ne craint pas tous les stratégistes de l’école monarchiste ». Comme le note Lissagaray qui est peu suspect d’engouement pour le militarisme : « quand le Ministre de la Guerre flétrit toute discipline, qui pourra désormais obéir ? Quand il méprise toute méthode, qui voudra raisonner ? On verra des centaines d’hommes refuser de quitter le pavé de leur rue et ignorer le quartier voisin qui agonise, attendre immobiles que l’ennemi continue de les encercler ». C’est en effet l’un des principaux problèmes : la résistance des Communards sera héroïque mais, pour l’essentiel, elle va prendre la forme d’un repli sur les quartiers et la construction de barricades. Avec comme seule stratégie : tenir les barricades.
Les troupes versaillaises occupent maintenant les Champs-Élysées, ainsi que les quartiers Saint-Lazare et Montparnasse. Seize fédérés capturés rue du Bac sont conduits dans la caserne Babylone où ils sont fusillés dans la cour. C’est le début des exécutions sommaires qui vont s’amplifier les jours suivants et durer toute une semaine. Le lundi 23 mai se produit la chute de la Butte Montmartre (là où avait commencé l’insurrection) et le début des incendies qui vont embraser Paris. Assez rapidement, il devient évident que les Versaillais vont l’emporter. Les massacres qu’ils commettent n’ont donc que peu de fonctionnalité proprement militaire. Il s’agit de faire « expier » aux Parisiens leurs fautes, dont l’exécution des généraux Leconte et Thomas le 18 mars. Sur un plan plus stratégique, il s’agit de terroriser durablement les couches populaires en leur montrant ce qui arrive lorsqu’elles se soulèvent.
Un exemple parmi d’autres, rapporté par P-O Lissagaray : « à peine installé rue Montmartre, l’État-major versaillais comment les holocaustes en hommage à Leconte et Clément Thomas. Quarante-deux hommes, trois femmes et deux enfants, ramassés au hasard sont conduits rue des Rosiers, contraints de fléchir les genoux, têtes nues devant le mur au pied duquel les généraux ont été exécutés et puis on les tue ». A nouveau en retard sur les évènements, le Comité de Salut public va afficher un appel aux soldats de l’armée de Versailles de ne pas tirer et de fraterniser. Cet appel sera sans effet.
Les Versaillais continuent inexorablement à avancer. Pour les retarder, les Communards incendient les bâtiments publics et les monuments qui, à leurs yeux, symbolisent le vieil ordre injuste comme les Tuileries, la Légion d’Honneur, le Conseil d’État, la Cour des comptes. Le 24 mai, c’est au tour de l’Hôtel de ville qui pendant 70 jours a été le siège du pouvoir révolutionnaire. Les femmes qui combattent dans les rangs de la Commune sont accusées d’avoir provoqué les incendies. Les vainqueurs les dénonceront comme des « Pétroleuses ». A partir du 24 mai, les Communards répondent aux massacres des Versaillais par quelques exécutions d’otages, dont des espions versaillais, mais aussi l’archevêque de Paris ainsi que 5 Dominicains et 9 employés du couvent d’Auteuil.
Le 25 mai, des combats acharnés se déroulent place de la République. Delescluze, le responsable militaire de la Commune, est tué. Seuls les quartiers du Nord-Est de Paris sont tenus par les Communards. L’agonie de la Commune va encore durer trois jours. Le 26 mai, les Versaillais prennent le contrôle du Faubourg Saint-Antoine. Le 27 mai, les combats sont très durs à Belleville, aux Buttes-Chaumont et au Père-Lachaise où se trouve aujourd’hui le principal monument d’hommage aux morts de la Commune : le Mur des Fédérés. C’est là que le 28 mai 1871, cent-quarante-sept fédérés – des membres de la Commune, de la Garde nationale – sont fusillés puis jetés dans une fosse commune.
Ce même jour, dans le quartier de Belleville, la dernière barricade, celle de la rue Ramponneau, est démantelée. Il est sans doute inutile d’en rajouter dans l’énumération des horreurs commises par les Versaillais. Mais laissons une dernière fois la parole à Lissagaray, à propos de la mort d’Eugène Varlin, l’une des figures emblématiques de la Commune : « le dimanche 28, il fut reconnu par un prêtre qui courut chercher un officier. Le lieutenant Sicre saisit Varlin, lui lia les mains derrière le dos et l’achemina aux Buttes où se tenait le général Laveaux-Croupet. Par les rues escarpées de Montmartre, ce Varlin qui avait risqué sa vie pour sauver les otages fut traîné pendant une grande heure. Sous la grêle des coups, sa jeune tête méditative qui n’avait jamais eu que des pensées fraternelles devint un hachis de chairs, l’œil pendant hors de l’orbite. Quand il arriva rue des Rosiers, à l’État-major, il ne marchait plus ; on le portait. On l’assit pour le fusiller. Les soldats crevèrent son cadavre à coup de crosses. Sicre lui vola sa montre ».
La capitulation au fort de Vincennes, le 29 mai, marque la fin de la Commune, mais pas la fin des massacres ni de la répression. Tous ceux et toutes celles qui ont joué un rôle pendant la Commune ou sont soupçonnés de l’avoir fait vont être poursuivis, recherchés, trainés en justice, condamnés et parfois exécutés. Signalons – cela aussi fait partie des leçons de la Commune – que de nombreuses personnalités, des intellectuels, des poètes, des écrivains raffinés, vont applaudir aux massacres commis par les Versaillais, souvent en des termes ignobles. Leconte de Lisle qualifie ainsi les Communards : « une ligue de tous les déclassés, les incapables, les envieux, les assassins, les voleurs, mauvais poètes, mauvais peintres, journalistes manqués, romanciers de bas étage ».
Gustave Flaubert, le grand romancier, écrit à George Sand : « je trouve que l’on aurait du condamner aux galères toute la Commune et forcer ces sanglants imbéciles à forcer à déblayer les ruines de Paris, la chaîne au cou, en simples forçats ». Ce qu’ils expriment est la haine de classe ; c’est aussi la haine des femmes. Alexandre Dumas fils, l’auteur de la Dame aux Camélias, n’est pas en reste lorsqu’il parle des femmes de la Commune, c’est-à-dire des femmes ayant participé à la Commune ou des femmes des Communards : « nous ne dirons rien de leurs femelles, par respect pour les femmes à qui elles ressemblent quand elles sont mortes ».
Quelle a été l’ampleur de la répression ? Comme toujours, il a discussion sur les chiffres. Selon l’évaluation faite par de nombreux historiens, le nombre des victimes des Versaillais avoisine les 30.000 morts, auxquels il faut rajouter 40.000 Communards (ou présumés tels) qui seront emprisonnés. Pour les juger, on dénombre vingt-quatre conseils de guerre qui vont fonctionner pendant plusieurs années : en fait, jusqu’en 1878. C’est-à-dire 7 ans après la fin de la Commune. Ces tribunaux d’exception vont prononcer 10.000 condamnations à des peines de mort, des peines de prisons, des peines de travaux forcés. D’autres seront déportés en Nouvelle-Calédonie – en Kanaky – comme Louise Michel, par exemple.
Puisque l’on a commencé à citer des écrivains, on va conclure cette évocation de la Semaine sanglante par une citation d’Edmond de Goncourt – l’un des frères Goncourt qui ont donné leur nom au… prix Goncourt – qui donne un éclairage à la fois cynique et pertinent, finalement très politique sur les raisons d’une répression aussi brutale que systématique : « C’est bon ; il n’y a eu ni conciliation, ni transaction. La solution a été brutale ; ça été de la force pure. La solution a retiré des âmes les lâches compromis. La solution a redonné confiance à l’armée qui a appris dans le sang des Communeux qu’elle était capable de se battre. Enfin, la saignée a été une saignée à blanc et les saignées comme celle-ci en tuant la partie bataillante de la population ajournent d’une conscription la nouvelle révolution. C’est vingt ans de repos que l’ancienne société a devant elle si le pouvoir ose tout ce qu’il peut oser en ce moment ».
Edmond de Goncourt sera entendu : le pouvoir va oser tout ce qu’il peut oser ! Il faudra de fait plusieurs décennies – une « conscription », c’est-à-dire une génération – pour que se reconstituent des organisations syndicales, pour que se créent les Bourses du travail, pour qu’émergent de nouveaux courants qui se réclament du socialisme.
En fait, il faudra un bon quart de siècle pour que le mouvement ouvrier se relève et se réorganise.
François Coustal