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Insoumis-es blessé-es mais pas mort-es

Un pouvoir qui s’en sort bien, une extrême droite toujours très menaçante et un gros revers pour la liste de la France insoumise, la potion des européennes 2019 est dure à avaler. Sans nier ces éléments, il y a aussi des raisons d’espérer et de poursuivre le combat.

Première mauvaise nouvelle, même si sa liste arrive en seconde position, Macron s’en sort bien. Il garde la possibilité d’aggraver encore la politique libérale ultra-agressive qu’il conduit depuis 2017. Comme un symbole, le prix de l’essence à la pompe vient d’ailleurs de retrouver son niveau de novembre 2018, au moment où se lançait l’inédit, tenace et impétueux mouvement des Gilets jaunes. La position centrale que Macron occupe sur l’échiquier politique lui permet jusqu’ici de louvoyer en dépit de ses décrochages dans l’opinion. Elle lui permet de démolir la protection sociale et la Fonction publique, usant du mensonge pour enjoliver ses projets de lois, de la ruse lors du grand « débat » et d’une ignominieuse répression politico-judiciaire.

Pouvoir et extrême-droite sont les grands gagnants de cette séquence.

Le bloc central bourgeois tient. Après avoir étrillé le PS dont il est servi comme d’un marchepied en 2017, Macron a siphonné la droite. La liste des Républicains est ainsi la grande perdante de cette élection. Quant au PS, il en est réduit à pousser un « ouf » de soulagement parce qu’il a franchi la barre des… 5 %, c’est dire !

Reconnaissons-le sans nous y résoudre, le Président des riches a de sérieuses raisons d’espérer se faire réélire en 2022.

Pour plomber un petit peu plus l’ambiance, l‘opposition à la politique de Macron s’est principalement cristallisée autour de l’extrême-droite. Parmi cet électorat, les « fachos » sont les plus nombreux et c’est un premier souci car cela donne un socle électoral élevé et des marges de manœuvres considérables aux racistes de tous poils et autres « fous de Dieu », tenants d’un ordre moral réactionnaire. Mais le vote « facho » se double d’un vote « fâché », de gens qui considèrent désormais que voter pour le Pen n’est pas le pire et que c’est le seul moyen de montrer sa colère, son opposition résolue au gouvernement, une sorte « d’utilisation tactique » du vote RN. Mais c’est un jeu très dangereux car désormais, un « accident » électoral, comme on l’a vu en d’autres lieux ou en d’autres moments de l’histoire, peut se produire en leur faveur.

Ni rire ni pleurer, comprendre.

Comme cela ne suffisait pas, la déception fut immense pour tous les Insoumis-es lorsque nous avons vu à l’écran s’afficher le résultat de 6,3 % enregistré par notre liste. Pourtant, la plupart d’entre nous avions le sentiment que notre jeune tête de liste avait mené une campagne à la fois tonique et juste sur le fond. Cela n’a visiblement pas suffi car les choses viennent de plus loin.

Le premier réflexe est sans doute de comparer l’écart très important entre le score de Jean-Luc Mélenchon en 2017 et celui de la liste menée par Manon Aubry.

C’est l’élément sur lequel se sont précipités nos adversaires pour nous étriller. Sans nier la réalité de cet échec mais sans céder à la panique, nous devons d’abord analyser ce qui s’est passé.

En 2017 le terrain était beaucoup plus favorable sur quatre points importants :

  • L’abstention était moins importante, or les études sociologiques sur les Européennes montrent que parmi les votant-es de 2017, ce sont ceux de Jean-Luc Mélenchon qui se sont le moins mobilisé-es en 2019. Selon une étude de l’IFOP1 par exemple, on voit que 53 % des électeurs de Jean-Luc Mélenchon ne se sont pas rendus aux urnes, contre 43 % de ceux de Macron, 38 % de ceux de Fillon et 40 % de ceux de Marine Le Pen. Cela constitue un écart très substantiel et montre que nous avons été les premières victimes de l’abstention. Une abstention qui a été supérieure à la moyenne dans la jeunesse et les classes populaires.

  • La concurrence était moindre en 2017. Si Hamon était déjà candidat, c’était au titre du PS, son mouvement Génération(s) n’existant pas encore. Le PCF ne présentait pas de candidat et appelait à voter Mélenchon. Tout comme le Parti animaliste dont les réseaux – ceux de l’intellectuel Aymeric Caron ou de l’association L214 – avaient choisi la France insoumise en 2017. Il n’y avait pas non plus de candidature EELV. Or l’étude de l’IFOP montre que, parmi les électeurs de Mélenchon qui se sont déplacé-es en 2019, 13 % ont préféré opter pour la liste du PCF et 17 % pour celle de EELV.

  • La popularité de Jean-Luc Mélenchon était plus forte et plus rassembleuse en 2017 dans les classes populaires et dans le peuple de gauche. En effet, il était alors, aux yeux de larges franges de la population, « taillé pour la fonction », crédible pour diriger l’action d’un gouvernement au service d’un programme répondant aux aspirations sociales, écologiques et démocratiques. La séquence politico-judiciaire et l’offensive médiatique qui ont eu lieu en novembre ont écorné cette image et celle de notre mouvement. Les Insoumis-es qui sont allé-es à la rencontre de la population l’ont bien ressenti. Nous avons perdu nombre d’électeurs de gauche qui nous en ont voulu. Le côté rassembleur de la FI a lui aussi été mis en cause d’autant qu’entre 2017 et 2019, le discours dominant de la FI a oscillé entre une affirmation assez identitaire et des tentatives d’ouverture qui ont manqué d’intensité (réduits à la désignation de Manon Aubry et à un l’annonce d’un compagnonnage avec quelques anciens dirigeants du PS).

  • Le vote Mélenchon est apparu en 2017 comme le seul vote utile car le seul susceptible de devancer Macron et/ou Le Pen et de se qualifier pour le second tour. Le succès de la FI en 2017 s’est construit en deux temps. Le premier était celui d’une méthode efficace pour faire décoller un mouvement puissant et définir un programme sérieux sur les questions sociales, écologiques, démocratiques. Le second était celui de la démonstration que Mélenchon est mieux placé, face à la droite et au FN, que Hamon, son principal concurrent à gauche. Cette fois-ci, « pas d’alignement des étoiles », la majorité d’un électorat très volatile et assez imprévisible, s’est partagée autour de deux idées centrales : d’une part devancer la liste de Macron pour sanctionner sa politique antisociale,d’autre part exiger des politiques écologiques à la hauteur de l’enjeu. Pour le premier de ces enjeux, la liste RN est hélas apparue comme la mieux placée. Pour le second, c’est celle de EELV. Nous avons voulu incarner les deux à la fois et cela n’a pas fonctionné. Malgré la qualité de la campagne que nous avons menée – et disons-le très franchement, nous avons été impressionnés par le talent de Manon Aubry pour défendre nos idées –, le score obtenu est beaucoup plus bas que nous ne le pensions. Mais à l’impossible nul n’est tenu.

Et maintenant qu’allons-nous faire ?

Bien sûr, on peut toujours mieux faire et il faut en débattre. Sereinement, car renvoyer simplement la responsabilité de l’échec à tel ou tel d’entre nous, loin de nous offrir des solutions, ne fera que rajouter des problèmes supplémentaires. Il faut un débat sans tabous sur le fond mais bienveillant sur la forme qui, s’il sera nécessairement public, doit pouvoir aussi et surtout s’organiser au sein de notre formation politique, à tous les niveaux. C’est cela la démocratie.

Il faut parler concret. Le débat n’est pas aussi simple que « tournant unitaire à gauche » versus « populisme ». Ces deux slogans ne résolvent pas grand-chose. Comme il s’agit d’une élection européenne, regardons ce qui s’est passé du côté de nos partenaires de « Maintenant le peuple » dans les autres pays : partout le résultat est plus ou moins décevant et parfois même très mauvais. Et pourtant, même parmi nos partenaires, unis par le programme que nous avons cosigné, il y a toute la variété des choix que nous pouvons faire, du profil « populiste de gauche » au profil « vraie gauche ». Les listes communistes ne s’en sont pas mieux sorties et si les électeurs nous reprochaient massivement et uniquement notre parcours « solitaire », ils auraient trouvé moyen de le dire en propulsant plus haut les listes Hamon ou Brossat par exemple. Quant au succès d’EELV, on ne peut pas dire qu’il se soit construit sur une base unitaire ! Enfin, le profil « populiste de gauche », mis en avant par Podemos depuis sa fondation, n’a pas empêché cette organisation de rencontrer elle aussi des difficultés… qu’elle n’a pas pour autant résolu en s’alliant avec Izquierda Unida. Et en Allemagne, Sahra Wagenknecht a dû tout simplement renoncer face à l’insuccès de son mouvement.

Loin de théorisations hasardeuses ou parcellaires, mieux vaut de faire preuve de pragmatisme et d’une nécessaire lucidité : la marche vers le pouvoir, combine selon nous la conquête de l’hégémonie politique sur les valeurs, l’irruption sociale et politique des masses, la participation à la mise en œuvre d’alternatives concrètes, les stratégies électorales d’implantation locales et régionales, autant de tâches qui sont encore devant nous. Il existe un plafond de verre pour notre jeune formation politique. Il faudra le faire exploser pour espérer conquérir le pouvoir central.

Tout cela renvoie d’abord à l’état d’esprit des masses. Et qu’on les nomme « classes populaires » ou « les 99 % » ne change rien au fait que le rapport de force est favorable aux « 1% », la haute bourgeoisie. Notre camp social est toujours marqué par la confusion idéologique consécutive de l’échec cuisant des expériences de pouvoir sociale-démocrates et staliniennes, de l’offensive libérale à tous les niveaux et du poids cumulé des défaites sociales. Il faut réinventer un espoir émancipateur. Bien sûr, il ne faut pas non plus désespérer car des points d’appui existent : on les perçoit à travers le mouvement des gilets jaunes qui « veulent du soleil », celui des profs qui défendent le service public, ou dans la jeunesse qui réclame qu’on prenne les mesures écologiques indispensables pour l’avenir de l’humanité. Espérons que demain, la bataille pour un référendum concernant les aéroports permette de lever un puissant mouvement citoyen qui mette de nouveau le gouvernement en difficulté.

Cet espoir on l’a entrevu un peu dans les urnes aussi, à travers le vote pour nos listes ou d’autres et, ne soyons pas sectaires, à travers le vote des jeunes en faveur de l’écologie, se saisissant pour cela du bulletin de vote EELV.

Et puis nous ne partons pas de rien. Nous disposons de militant.e.s actifs, d’un bon réseau de sympathisants d’un groupe d’élus centraux imaginatifs et percutants. Et maintenant aussi de 6 députés européens qui sont loin d’être dépourvus de talent.

La lucidité n’implique pas la sinistrose. Notre mouvement doit s’adapter à la conjoncture politique que nous traversons et opérer les ajustements nécessaires : les Insoumis-es ont besoin d’agir mais aussi de débattre et de maîtriser collectivement les orientations qu’ils choisissent en assumant davantage leur diversité. De ce point de vue, nous devons chercher à nous élargir plutôt qu’à nous rétracter et avoir enfin un mode de débats et de prises de décisions qui s’appuient sur une respiration démocratique de la base au sommet. La France insoumise devrait selon nous fonctionner avec des structures de base aux échelons fonctionnels, des structures de coordination intermédiaires (locales, régionales, nationales) permettant de les représenter dans leur diversité de façon non figée, des procédures de débat et de vote qui permettent de discuter et de trancher les principales questions d’orientation. Cela n’est pas contradictoire avec un mouvement tourné vers l’action car le débat est formateur et l’on est d’autant plus motivé à agir que l’on a le sentiment d’avoir été associé aux décisions et à l’élaboration.

Notre mouvement doit enfin rapidement affronter les prochaines échéances, à commencer par les élections municipales dont le coup d’envoi est déjà donné. Le rapport de force dont nous disposons dans les grandes villes s’est amoindri mais il n’a pas été annihilé.

Dans les grandes villes, nous avons réalisé par le passé de très bons scores et lors de cette élection, ils ont souvent été supérieurs à la moyenne nationale. C’est dans les quartiers populaires de ces grandes villes que nous avons réalisé nos meilleurs scores et que nous disposons des réserves les plus importantes. Or les municipales sont une élection qui voit une participation plus grande des classes populaires que les européennes.

Il faut les aborder rapidement avec une méthode qui a fait ses preuves, la mobilisation par en bas. Il sera dans de nombreuses villes toutefois difficile et risqué d’en être seuls à l’initiative. Nous ne partirons pas des 19 % de la présidentielle, comme aux législatives de juin 2017. C’est pourquoi il faut en même temps favoriser la convergence unitaire. C’est sans doute une façon concrète de tester la « fédération populaire » que Jean-Luc Mélenchon appelait récemment à juste titre de ses vœux. En effet, lancée durant la campagne, cette proposition à l’initiative de FI peut être un moyen majeur de contribuer à fédérer le peuple de gauche dans une dynamique unitaire. Ainsi, pour les municipales, autour d’une construction citoyen.ne.s du programme et de la liste, il est possible de faire converger toutes les forces associatives et politiques qui ne sont pas compromises par les gestions libérales précédentes et qui veulent que les villes prennent enfin en charge la triple urgence sociale, écologique, démocratique.

Myriam Martin (Conseillère Régionale France Insoumise d’Occitanie), Frédéric Borras (Ensemble 31, France Insoumise), le 1er juin 2019.

  1. Nous avons utilisé plusieurs études et articles d’analyse pour compiler des éléments qui nous semble incontestables et pertinents. Celle de l’IFOP, fouillée et précise, se trouve ici : https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2019/05/116339-Rapport-JDV-COMPLET-d%C3%A9taill%C3%A9_2019_05.27.pdf
  2. Les résultats pays par pays : https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2019/05/116339-Rapport-JDV-COMPLET-d%C3%A9taill%C3%A9_2019_05.27.pdf