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Grande-Bretagne, le moment Corbyn

Les choses politiques en Grande-Bretagne ont bien sûr partie liée à l’état du mouvement social et syndical, son dynamisme, ses formes et ses axes thématiques, ses articulations dans le champ intellectuel et éditorial, et ainsi de suite. Avant d’en venir à certains aspects au moins de ces questions dans la période actuelle, une précision ou un rappel est peut-être nécessaire quant à ce qui structure le champ politique par le haut. Lors des principales élections, les législatives (tous les cinq ans), le système électoral britannique fonctionne sur la base d’un scrutin majoritaire uninominal (first past the post). Cette pratique a eu vocation à produire un certain nombre d’effets relativement prévisibles. Il a d’abord tendu à favoriser une polarisation bipartisane entre conservateurs (tories) et travaillistes (labour), et ce de longue date. Ce système a permis la formation de majorités parlementaires fortes avec des électorats faibles. M. Thatcher et T. Blair, par exemple, ont paru avoir dominé et coloré la vie politique durant leurs trois mandats respectifs de Premier ministre (au cours des années 1980 pour Thatcher, et entre 1997 et 2007 pour Blair). La compréhension des effets idéologiques de leur rhétorique est certes nécessaire, d’autant que la première comme le second ont incarné et promu avec vigueur et un certain succès, à échelle internationale, les termes d’un consensus familier. Il demeure que le soutien électoral à Thatcher et à Blair n’a jamais été, et de loin, à la mesure de l’hégémonisme institutionnel, de type monarchique, que confère le poste de Premier ministre (qui prélève et isole les dirigeants de partis, une fois majoritaires, en leur attribuant nombre de fonctions, pouvoirs, prérogatives échappant à tout contrôle parlementaire, et moins encore démocratique).

La politique par le haut. Note sur les effets du système électoral en Grande-Bretagne

Pour rappel, même du strict point de vue de la simple comptabilité électorale, M. Thatcher, haute figure de la guerre froide tardive, référence politique internationale auréolée du prestige d’un « -isme », n’a jamais obtenu de majorité absolue des votants, et donc encore moins du corps électoral. Ce qui n’a en rien empêché l’obtention de larges majorités parlementaires. En 1979, Thatcher obtint une majorité parlementaire de 339 sièges (pour 318 requis) avec plus de deux millions de voix cumulées de moins que ses deux principaux adversaires. La situation fut la même pour ses « victoires » suivantes. Blair fut élu dans les mêmes conditions, même lors du « raz de marée » de 1997. Cette échéance fut certes marquée d’un enthousiasme palpable après 18 années de domination (sans majorité) tory. Particulièrement remarquables furent ses réélections en 2001 et 2005. Celle de 2001 enregistra le taux de participation le plus faible depuis près d’un siècle : 59,4 % des inscrits, soit, 26,4 millions de votants sur 44,4 millions d’inscrits. Avec 2,5 millions de voix (soit 10 %), soit 200 sièges de plus que les deux partis d’opposition réunis. Beau résultat pour une adhésion électorale de 10,5 millions d’électeurs sur 44,4 millions (soit moins de 25 % du total). Lors des législatives de 2005, la distorsion s’apparenta plus encore, peut-être, à une forme de prestidigitation : 61,4 % des inscrits se déplacèrent. Blair et les néo-travaillistes, cette fois avec 35,2 % des votes, obtinrent une majorité de 355 sièges (324 étant requis), soit, 157 sièges de plus que les conservateurs (198 sièges) qui avaient pourtant obtenu 32,4 % des voix (770 000 voix de moins). Les tories et les démocrates libéraux (lib-dems) totalisaient alors 52,4 % du vote et 5,2 millions de voix de plus que les détenteurs de la majorité absolue parlementaire.

Ces distorsions massives et systématiques appellent plusieurs observations. D’une manière générale, le système électoral constitue un formidable obstacle à l’apparition et à la représentation de forces politiques alternatives. En dépit du progrès de leur audience et de leurs effectifs, le parti anti-UE et xénophobe Ukip, ou les Verts, n’ont aucune ou quasiment aucune représentation parlementaire. Le parti démocrate-libéral, après une percée significative lui permettant de décider de la formation du gouvernement en 20101, en est revenu à une présence parlementaire confidentielle. Seul le SNP (parti nationaliste écossais) a connu une progression majeure en remportant la quasi-totalité des sièges écossais en 2015, largement aux dépens des travaillistes qui en perdirent quarante sur quarante et un2.

Mais depuis le début des années 2000, c’est, comme on l’aura compris, l’abstention de masse qui a été le principal succès électoral du blairisme. Les travaillistes, incidemment, ont perdu au cours de cette période plus de cinq millions d’électeurs. Ce qui n’a pas empêché les membres du parti parlementaire travailliste de tenter par tous les moyens de se débarrasser de Jeremy Corbyn à l’argument que ce dernier, pourtant nanti d’un mandat plus fort que celui de Blair vingt ans plus tôt, devait inévitablement les entraîner à la défaite.

Le blairisme s’est donc accompagné des pires taux d’abstention de l’histoire de la Grande-Bretagne (celui de 2001 rejoignant le niveau atteint en 1918 à l’issue de la guerre ; dans nombre de bastions ouvriers historiques du travaillisme, la participation était autour des 45 %). Après l’avoir rendue si peu attrayante, on s’étonne peut-être moins du fait que ce même dirigeant ait alors jugé approprié d’exporter sa version de « la démocratie occidentale » à l’aide de bombardiers dernier cri, forme militarisée et sanglante de vente forcée, en quelque sorte. Au-delà de cette simple spéculation, cependant, un fait reste donc certain : la social-démocratie blairiste, la modernité néo-travailliste, la « troisième voie », n’ont jamais fait l’objet de quelque adhésion de masse que ce soit. La grande réussite du blairisme a tenu non pas dans des formes d’adhésion politiques populaires nouvelles, mêmes chargées d’illusions, mais dans le délestage et l’abandon de tout un monde social maintenant à traiter dans le cadre d’un État providence mué en vaste ingénierie évaluative et punitive. Il n’y a pas eu de « droitisation du monde » autre que celle des classes dirigeantes politiques et éditoriales si enclines à confondre leurs lubies (et celles de leurs employeurs respectifs) avec l’« opinion publique » et des aspirations collectives réelles qu’il est, en vérité, toujours urgent d’ignorer. En l’occurrence, malgré les émois et les paniques officielles déclenchées par l’élection et la réélection de Corbyn à la tête du Labour en septembre 2015 puis en septembre 2016, le fait demeure qu’une majorité de Britanniques sont depuis longtemps favorables à, par exemple, la renationalisation des chemins de fer, à des taux d’imposition de plus de 50 % sur les hauts revenus3, au non renouvellement du programme nucléaire militaire Trident, au contrôle des loyers dans le parc immobilier privé, à l’instauration d’un salaire d’existence (living wage, supérieur au salaire minimum), à une réduction drastique ou à une suppression pure et simple des frais d’inscription à l’Université ; et qu’ils étaient très majoritairement opposés à la guerre en Irak, puis aux bombardements sur la Syrie. Ce « monde »-là, en tous cas, loin d’être simplement droitisé, a été réduit – entre distorsions institutionnelles chroniques et social-démocratie « post-démocrate » pour « Temps nouveaux » – à une forme d’inexistence symbolique (quand le « monde droitisé » doit, lui, avoir à peu près les dimensions d’un paillasson d’institution financière spécialisée dans l’optimisation fiscale). Ses résurgences en deviennent autant de hantises et il n’est alors plus si surprenant que le parti parlementaire travailliste, la BBC, ou le Guardian (entre quelques autres) en éprouvent un effroi qui, dans une certaine mesure, doit être sincère.

Le système électoral britannique a donc sa propre méthode pour contenir et décourager l’émergence de forces alternatives, et inversement pour créer les conditions de coups de forces politique par le haut, institutionnels et rituels. Cumulé à une quinzaine d’années de politiques réactionnaires conduites au nom de la modernisation social-démocrate de l’État providence, il faut essayer de prendre la mesure de la démoralisation qui a régné sur les nombreuses composantes de la gauche outre-Manche depuis la fin des années 1990, et plus encore depuis le déclenchement de la guerre d’Irak. Dans ces conditions, les organisations de la gauche radicale britannique, à la différence de ce que l’on connaît en France, sont placées devant deux options principales. L’une consiste à tenter de faire exister des dynamiques politiques élargies à distance du parti travailliste. La chose a paru possible et dans tous les cas nécessaire dans les conjonctures créées autour de telle ou telle figure importante liée au Labour et en rupture avec lui. Ce fut le cas, par exemple, avec la création du Socialist Labour Party créé en 1996 par le dirigeant du Syndicat National des mineurs, Arthur Scargill, sur la vague de sympathie créée par la prise de conscience publique du sort politique et médiatique qu’avaient subi l’industrie minière, le NUM et Scargill lui-même. Une autre occasion fut l’émergence de Respect, autour de la figure de George Galloway, élu travailliste de Londres et exclu du parti en 2004. Respect et Galloway étaient, eux, portés par l’immense contestation populaire de la guerre en Irak. Ces deux expériences n’ont pas connu de dynamiques significatives pérennes. La première persiste de manière confidentielle, la seconde s’est interrompue en 2016. L’autre option consiste a investir le cadre large et diversifié que présente le parti travailliste. Un exemple classique en fut la place prise par l’organisation trotskiste « Militant » à Liverpool au début des années 1980, avant l’exclusion du groupe fin 1982.

La situation de Jeremy Corbyn au sein du parti travailliste est elle-même à l’image de ce scénario. Corbyn appartient, avec son bras droit, John McDonnell, et quelques autres, au Socialist Campaign group, une des composantes de la gauche du parti, dans l’héritage de Tony Benn4, figure tutélaire de la gauche radicale britannique depuis un demi-siècle. Le groupe Socialist Campaign est depuis longtemps très minoritaire et en dépit de l’activité considérable de ses membres dans les mouvements sociaux et syndicaux depuis des décennies, il fut, jusqu’à 2015 au moins, considéré comme une forme résiduelle hébergée au sein du Labour et en voie d’extinction. La gauche n’avait plus la moindre place effective dans le parti. La chose paraissait suffisamment acquise pour que les membres de ce groupe en soient eux-mêmes convaincus. Pour John McDonnell en 2015, à quelques semaines du dépôt (in extremis) de la candidature de Corbyn, c’était « l’heure la plus sombre pour les socialistes en Grande-Bretagne depuis la chute du gouvernement Attlee en 1951 » : « Le fait que les candidates et candidats à la direction du Labour ont jusqu’ici été incapables de proposer la moindre contestation du capital montre l’état abject d’abandon quasi-total du parti travailliste. Plus un seul principe travailliste n’est à l’abri de la précipitation avec laquelle on en revient non seulement au blairisme, mais même pour aller au-delà. La redistribution de la richesse par l’impôt est dénoncée parce qu’elle serait animée par l’envie. La privatisation du NHS est acceptable dès lors que ça marche. On soutient le plafonnement des aides sociales et le durcissement à l’égard des migrants parce que c’est le retour que l’on a quand on fait du porte-à-porte. »5

Le mouvement social et The People’s Assembly

L’élection et la réélection de Corbyn à la tête du parti, et la consolidation de sa légitimité depuis l’élection législative de juin 2017 ont créé une situation inédite depuis l’époque où Tony Benn avait été président du parti travailliste (1971-1972) puis au poste stratégique du ministère de l’industrie en 1974-1975, inédite et plus favorable encore. Corbyn, qui a passé incomparablement plus de temps dans d’innombrables mobilisations sociales (souvent sur des questions internationales et internationalistes) que dans les activités parlementaires, forme le point de convergence d’une multiplicité de luttes anti-austéritaires et de mouvements dont Corbyn lui-même est le produit politique. Sa campagne pour la direction du parti a d’emblée rencontré un mouvement social déjà largement actif, en partie fédéré par la contestation de l’austérité, et à la recherche d’une expression politique commune jusqu’alors introuvable. Le succès de Corbyn en 2015 est à la rencontre de trois principaux facteurs. Il y a d’abord eu la volonté du Socialist Campaign Group de faire entendre (comme à chaque occasion de ce type) une autre voix, même minoritaire, même marginale, dans le débat interne du parti. Et si d’aventure, une fois les trente-cinq parrainages de parlementaires travaillistes obtenus, Corbyn recevait quelques voix, une tractation avec un autre candidat devait éventuellement permettre de faire entendre certaines priorités programmatiques. Il s’avéra qu’à l’intérieur même du parti travailliste, l’attente d’une telle candidature était déjà largement répandue et nombre d’adhérents et composantes étaient d’emblée disponibles pour dynamiser cette campagne pour laquelle les réseaux sociaux devaient être un outil crucial.

Le second facteur tenait donc à la résurgence des mouvements sociaux depuis les premières grandes manifestations d’octobre 2010 contre l’annonce du plan d’austérité de la coalition dirigée par les tories et au pouvoir depuis le mois de juin précédent. Les étudiants avaient en partie inauguré cette dynamique avec de grandes mobilisations contre l’augmentation des frais d’inscription universitaires.6 Le rejet de l’austérité trouva bientôt un terrain argumentaire et d’intervention militante complémentaire et nouveau autour des questions de la justice fiscale. Les accusations de faveurs fiscales d’ampleur industrielle des services britanniques à l’égard de l’entreprise Vodafone fut à l’origine de la création de l’organisation UK Uncut qui lança une série d’occupations de magasins de la marque Vodafone. Uk Uncut entreprit ensuite de dénoncer la fraude fiscale du milliardaire du prêt-à-porter, Sir Philip Green, qui se trouvait également avoir été embauché par le Premier ministre, David Cameron, pour ses conseils en matière d’économies liées aux « gains d’efficacité ». Uk Uncut parvint à conférer une résonnance inédite aux enjeux de l’inégalité fiscale. On vit apparaître dans ce même contexte de la première année de la politique austéritaire le groupe Disabled People Against the Cuts (les personnes handicapées contre les coupes budgétaires). Ces mobilisations venues de milieux divers croisèrent et se renforcèrent d’une importante participation syndicale dans des initiatives communes ou convergentes dans un cycle de grandes manifestations.

L’ensemble de cette mouvance se dota bientôt d’un cadre pérenne avec la création de « l’Assemblée du peuple » (The People’s Assembly). The People’s Assembly prit forme en 2013 et fut lancée durant l’été 2012 lors d’une conférence réunissant plusieurs milliers de participants. Elle prolongeait une initiative déjà lancée depuis 2008, « la Charte du Peuple » (The People’s Charter7), en réponse à la crise financière et aux coûts du sauvetage du secteur bancaire, l’un et l’autre signifiant l’effondrement de l’édifice institutionnel et principiel du monde de la finance et du « marché ». La Charte était déjà soutenue par une large périmètre syndical (dont le Trade Union Congress lui-même), nombre d’associations et de groupes militants locaux. Ses promoteurs se retrouvèrent assez naturellement investis dans l’Assemblée du Peuple.

Présidée par Tony Benn en personne, ses soutiens et signataires regroupaient les représentants de près d’une quinzaine d’organisations syndicales (dont les plus grandes, Unite et Unison qui à elles deux réunissent plus de 2,6 millions d’adhérents), des élus parlementaires (dont Corbyn, McDonnell, Caroline Lucas des Verts britanniques, nettement plus à gauche que le Labour) des figures aussi emblématiques de la gauche britanniques que Tariq Ali, Ken Loach, le jeune et très ubiquitaire Owen Jones, mais aussi le célèbre documentariste John Pilger ; et une longue liste de représentants d’associations pour le droit des femmes, des personnes handicapées, pour la défense des services de santé publique, pour la défense des droits du travail, ou de lutte contre la pauvreté. Le texte d’appel de The People’s Assembly disait ceci :

L’Assemblée du peuple contre l’austérité

Ceci est un appel aux millions de personnes qui en Grande-Bretagne sont menacées par l’appauvrissement et l’incertitude au moment où leur salaire, leur emploi, leurs conditions de vie et leur protection sociale sont soumis aux attaques du gouvernement.

Avec encore 80 % des mesures d’austérité encore à venir et un gouvernement qui rallonge la durée des restrictions budgétaires, nous appelons à la formation d’une Assemblée du Peuple Contre l’Austérité, afin de rassembler les mobilisations contre les coupes budgétaires et les privatisations aux côtés des syndicalistes dans un mouvement pour la justice sociale. Notre but est de construire une stratégie de résistance permettant de mobiliser des millions de personnes contre le gouvernement de coalition des conservateurs et démocrates libéraux (Con Dem8).

L’assemblée offrira un forum national aux positions anti-austérité qui, bien que de plus en plus populaires, restent à peine représentées au Parlement. Une assemblée du peuple peut jouer un rôle clé pour faire en sorte que ce gouvernement brutal trouve devant lui un mouvement d’opposition suffisamment large et puissant pour faire émerger des initiatives coordonnées victorieuses, et notamment des grèves. L’assemblée sera prête à soutenir des grèves interprofessionnelles (co-ordinated industrial action) et des manifestations nationales contre l’austérité, si possible dans le cadre d’actions communes à l’échelle européenne.9

Outre la convergence des luttes10, l’ensemble des points du programme défendu par l’Assemblée du peuple ressemble à s’y méprendre à ce que l’on trouve dans le discours politique de Corbyn (ce dernier (et avant lui, Tony Benn) ayant de longue date précédé ce projet à échelle nationale et internationale). Ce texte d’appel et la réalité des mobilisations de masse auquel il correspond effectivement depuis l’automne 2010, ne pourrait plus clairement signifier, au mieux l’inutilité, au pire l’obstacle que représentait encore un parti travailliste pourtant censé avoir commencé à prendre ses distances vis-à-vis de l’héritage des années Blair (1997-2007) / Brown (2007-2010). Et de manière parfaitement explicite, aux mouvements sociaux dépourvus de relais politiques (en dépit de la meilleure audience des Verts et de leur porte-parole, Caroline Lucas) s’ajoutait la vaste majorité du monde syndical dont l’éloignement de fait avec le Labour était particulièrement manifeste ici, Labour qui était censé en être l’émanation institutionnelle historique, malgré tous les aléas et revers de fortune11.

Le lancement de l’Assemblée inaugura la création d’une série d’assemblées similaires au niveau de villes ou des régions associant étudiants, défenseurs du NHS, syndicalistes, etc.. On vit donc apparaître une configuration politique nouvelle et extérieure aux cadres organisés existants et en cela, comparable à d’autres expériences récentes ailleurs en Europe. L’une des conditions préalables en est aujourd’hui bien connue, à savoir la disqualification, et à vrai dire l’autoliquidation, de la social-démocratie ouest-européenne dont Blair a été la figure de proue incontestable et même exemplaire à partir de la fin des années 1990. Mais en l’occurrence, dans le contexte de la Grande-Bretagne, un autre préalable de cette recomposition tient à la situation syndicale, comme le suggère nettement ce qui précède. Le monde syndical britannique (6,4 millions d’adhérent-e-s, majoritairement de femmes depuis quelques années12) a fait l’objet d’attaques législatives et médiatiques incessantes depuis les années 1980 (13,2 millions de membres en 1980). Les années du néo-travaillisme, en dépit de quelques compromis, ont laissé ce cadre général intact, Blair n’hésitant pas à afficher son mépris. En 2010, l’arrivée d’Ed Miliband à la tête du parti parut marquer une inflexion. Ed Miliband devait d’ailleurs cette élection au soutien syndical quand les autres composantes électorales préféraient le frère, David Miliband, nettement plus représentatif de l’héritage blairiste. Deux choses sont alors à observer. La première est d’ordre conjoncturel : en 2012, la commission exécutive du plus grand syndicat britannique, Unite, produisit un document de « stratégie politique » énonçant clairement un projet volontariste de réappropriation du parti travailliste, pour la cause du monde du travail et dans une perspective explicitement socialiste. Les relations entre le syndicat et le Labour se détériorèrent à nouveau rapidement autour des questions de sélection de candidatures syndicales pour les circonscriptions parlementaires. Cette déconvenue supplémentaire justifiait d’autant plus l’investissement dans les mobilisations et constructions nouvelles avec et autour de l’Assemblée du Peuple, mais aussi à travers la création (toujours par Unite) de branches de secteurs ou de quartiers (Community Branches) destinées à aider et conseiller des personnes au chômage et plus généralement à rapprocher de l’organisation syndicale des personnes à distance ou exclues du monde du travail.

Ruse de cette histoire : la mise à distance des forces syndicales, répétée, insistante, tendant vers des ruptures terminales souhaitées par les courants les plus droitiers du Labour, a certainement produit son lot de démoralisation. Mais elle a aussi incité une part importante de ces organisations à commencer à se départir de leur modération congénitale pour faire un choix politique nouveau et inattendu : jusqu’ici, pour les syndicats britanniques, l’objectif aura toujours été, en dernière instance, de s’assurer une voie d’accès vers le pouvoir d’État par le biais d’une majorité travailliste au Parlement, quoi qu’il en coûte. D’où une propension chronique ancienne à se détourner des candidats moins consensuels. Corbyn en 2015, attendu sur le registre du témoignage, n’avait en rien le profil du candidat syndical. Ses adversaires y virent même d’abord l’intérêt que sa participation formelle permettrait à la fois d’établir la preuve de la liberté de parole dans le parti (contrairement à ce que l’on pouvait couramment dire de son fonctionnement) et donnait l’occasion de laisser cette gauche « d’un autre âge » se marginaliser un peu plus et contempler sa propre fin dans un score voué à rester dérisoire. Les choses, comme on le sait, tournèrent bien différemment. En choisissant de soutenir le candidat Corbyn au bout du compte, Unite et Unison apportèrent une contribution décisive à la légitimité de l’outsider, le seul des quatre candidates et candidats à avoir été un participant et un soutien indéfectible de toutes ces initiatives syndicales et « citoyennes » (comme on le dirait probablement en français) du mouvement social contre l’austérité. Une coïncidence de calendrier vint sceller cette alliance inédite : le 20 juin 2015, cinq jours après l’obtention de ses parrainages et son entrée officielle en campagne pour la direction du parti, Corbyn, avec d’autres (dont Caroline Lucas pour le Green Party, ou Len McCluskey pour Unite, par exemple) devait prendre la parole devant la foule gigantesque d’une manifestation à l’appel de l’Assemblée du Peuple. Là où 70 000 personnes étaient attendues, dans l’atmosphère de morosité profonde occasionnée par la reconduction des tories au pouvoir six semaines plus tôt, ce sont 250 000 manifestants qui vinrent envahir la rue. Comme le rappelle Alex Nunns, Corbyn qui avait pris la parole dans quantité d’occasions similaires, « faisait son premier grand discours de candidat, devant une foule immense, et dans le contexte d’un évènement qui faisait écho au principal message politique de sa candidature. Pour un lancement officieux de sa campagne, il aurait été difficile de faire mieux »13.

Ce qui m’amène à la deuxième observation concernant les organisations syndicales d’une manière plus générale, et d’ordre plus structurel. L’affaiblissement quantitatif et qualitatif du monde syndical britannique, les évolutions de l’organisation du travail mais aussi de sa réglementation14, ont eu pour conséquence une contraction, certes pas terminale, mais très significative, des luttes centrées sur les lieux de travail et portées par les grèves15. Dans ces conditions, si le syndicalisme a vocation à continuer d’intervenir dans l’espace et dans le temps du travail, il est aussi contraint de s’inscrire dans les mobilisations et les revendications exprimées hors du monde du travail que la coercition néolibérale a partiellement vidé de ses conflits classiques (bien entendu, l’épuisement professionnel, les risques psychosociaux, les suicides sur les lieux de travail, sont autant de signaux d’un affrontement lourdement inégal qui prospère au détriment physique, psychique et vital des salariés). Pour reprendre les termes de Chris Nineham à propos de cette relation nécessaire entre syndicat et mouvements sociaux, disons que, « à sa manière, la Grande-Bretagne se conformait à une tendance plus générale. Les mouvements sociaux de masse exprimaient une colère que les gens ressentaient sans toutefois être en mesure de l’inscrire dans des voies habituelles. Ces mouvements mobilisaient dans les rues des travailleurs qui dans la plupart des cas ne se sentaient pas suffisamment en confiance ou n’étaient pas organisés de façon à permettre de construire une résistance sur le lieu de travail ».16 Autrement dit, les relations du travail britanniques de l’après-guerre offraient tout un ensemble de médiations codifiées et rituelles, peu ou pas gouvernées par le droit, et présupposant une centralité incontestée du travail dans la reconnaissance et l’articulation des conflits. Avec l’avalanche législative antisyndicale des années 1980, les dernières décennies ont vu l’érosion rapide de cette norme institutionnelle et le décentrement de la confrontation entre capital et travail vers sa dissémination à travers le monde social. D’où, depuis 2008 en particulier, la montée d’une multiplicité de critiques radicales de la domination du capital, du « néolibéralisme », de l’austérité, du pouvoir des banques, ou des grandes entreprises, ce à partir notamment de la question fiscale, de la question environnementale, de la santé mentale, pour une large part, mais aussi du problème de l’emploi discontinu et de la pauvreté au travail.

On a expliqué que l’arrivée de Corbyn était à la convergence de trois facteurs : campagne interne et attente latente dans le parti, résurgence des mouvements sociaux et syndicaux face à l’austérité. Troisièmement, donc, il y a les 3 £, soit, le coût de l’inscription pour participer au processus de désignation de la nouvelle direction travailliste. Il y a là une ironie considérable. Le Labour a, dans son histoire, eu recours à diverses modalités électorales pour désigner ses dirigeants dans des variations du partage entre PLP, adhérents et blocs syndicaux : privilège exclusif du PLP dans la désignation du dirigeant, puis à partir du début des années 1980, principe d’un collègue électoral intégrant le vote des directions syndicales, par exemple. Le blairisme organisationnel a consisté à contenir l’intervention des composantes plus politisées au sein du parti et en vint à promouvoir une logique plébiscitaire en diluant ces composantes dans une participation accessible à tous (à la manière des primaires françaises). La démarche reposait sur la conviction que, contrairement au fait qu’on rencontrait encore des milieux militants et organisés au sein du Labour, on pouvait compter sur un grand public, lui modéré, centriste et naturellement en phase avec le terrain de consensus « extrême centriste » formé depuis des années entre la droite néo-travailliste et la droite tout court. En instaurant le vote à 3 livres sterling pour la direction du parti, les stratèges « modérés » au sommet du Labour ouvrirent grand la voie à toutes celles et ceux – ces manifestant.es du 20 juin 2015, pour commencer – de longue date dissuadés de rejoindre le Labour, et impatients de pouvoir trouver un autre relais politique, conforme aux programmes et priorité déjà énoncés et défendus dans ces croisements des mobilisations locales et nationales qu’étaient déjà la Charte du Peuple puis l’Assemblée du Peuple17.

La gauche radicale de Syriza à Momentum : parti et mouvement social

Sans pouvoir développer, mais la chose n’est sans doute pas vraiment nécessaire ici, Corbyn et la nouvelle direction travailliste sont dans tous les cas figures certains d’être confrontés à un large ensemble de forces hostiles. Ces limites et obstacles viendront du PLP lui-même malgré l’accalmie due aux résultats électoraux des législatives de juin 2017. Comment imaginer par exemple que ces parlementaires liés aux activités de lobbying pour le compte de grandes entreprises du secteur de la santé mènent la confrontation indispensable pour sortir le NHS des mécanismes de captation par le privé dans lesquels l’ont jeté les gouvernements néo-travaillistes puis la coalition ? La majorité pro-nucléaire et pro-arsenal nucléaire du PLP rejoindra-t-elle les positions du dirigeant engagé depuis quarante années dans la campagne pour le désarmement nucléaire (CND) ? La liste des questions du même ordre serait trop longue. Et hors du PLP, il y a tout l’éventail de forces capitalistes avec lesquelles les néotravaillistes ont si bien composé et ont si activement promu. Entre puissances bancaires, rentiers des partenariats public-privé et des délégations de services publics, des privatisation ferroviaires, vente à la découpe du secteur de la santé publique, barons de l’immobilier privé, on peut sereinement attendre le genre de contre-offensive dans lesquelles ces talentueux praticiens du front de classe ont à peu près toujours excellé.

Il paraît entendu, dès lors, qu’un simple pari sur la capacité d’une majorité travailliste au Parlement de Westminster à infléchir significativement l’ordre des choses du capital est un pari perdu d’avance. Cette question de la voie parlementaire, de l’impasse et des risques d’involution qu’elle fait courir, est une affaire ancienne mais dont l’actualité a été tristement mise à jour par la trajectoire de Syriza dont la douloureuse expérience a fait entendre un âpre avertissement. Cet enjeu est posé avec beaucoup de clarté et d’à-propos par John Medhurst dans une remarquable anticipation, à la veille même des bifurcations sur le point de se produire, tant du côté de Syriza que de celui de Corbyn18. C’est cet exemple grec qui incite Chris Nineham a rappeler que « les partis qui mettent l’accent sur le travail parlementaire ne sont pas aptes aux tâches d’organisation des forces populaires nécessaires au dépassement de leur propre inertie, de leur propre isolement et intégration institutionnelle. Dans le cas de la Grèce, le parti réformiste de gauche Syriza a infligé une spectaculaire déroute aux aspirations au changement. Cette expérience, dans le pays européen qui a eu affaire à la crise la plus intense, est particulièrement instructive. Elle révéla, à la fois, la capacité des mouvements de masse à changer la politique ; et en même temps les dangers d’un retour au processus parlementaire comme principal levier pour changer la société »19. La question qui se pose à nouveau frais est donc de savoir comment pérenniser et accroître la dynamique de mouvement social extra-parlementaire qui a elle-même produit le moment-Corbyn, et de faire en sorte qu’elle s’articule à un relais institutionnel – sans précédent dans l’histoire du Labour – sans s’y résorber, dans l’oubli ou la sous-estimation de la puissance et de la nocivité mortelle de l’arc des forces bel et bien extra-parlementaires, formées par et pour le capital, fortes de leur règle du secret et de la logistique de surveillance et de coercition que l’État a coutume de lui fournir20. Question dont la difficulté est accrue du fait que l’histoire du Labour et de la majeure partie de sa composante syndicale est celle d’un instinct génuflecteur viscéral devant la liturgie westminstérienne.

La campagne de Corbyn pour la direction du parti a été conduite par l’organisation Momentum mise sur pied pour l’occasion. Momentum, qui compte environ 30 000 membres, est une organisation interne au Labour comme il en existe nombre d’autres. Sa vocation, et sa difficulté, a été d’agir au sein du parti tout en restant tournée vers les mobilisations et forces sociales apparues hors du parti. Ce rôle nécessairement double de Momentum s’est invariablement attiré des accusations d’entrisme venues de toutes parts. Pour Richard Seymour, par exemple (écrivant dans un moment d’offensive tous azimuts au sein du Labour et dans la plupart des médias), « il est difficile de dire ce qu’il adviendra de Momentum. Ce groupe a encouragé ses membres à s’engager dans des formes classiques de militantisme de rue et de manifestation, mais il a également cherché à venir occuper des places dans les organes internes du parti travailliste, avec des succès modestes, jusqu’ici. Ce pourrait être un mouvement démocratique authentiquement populaire, ou un équivalent de gauche de groupes de pression comme Progress le fut pour le New Labour, ou comme Compass, au centre gauche, ou ce pourrait être une courroie de transmission au service de briscards de l’extrême-gauche au sein des comités travaillistes. Comme dans toute organisation nouvelle et encore fragile de ce genre, elle trahit une propension à attirer les groupuscules, factions et arrivistes, et les choses pourraient finir assez mal. »21

Outre cette ambivalence dont certaines des difficultés au moins ont peut-être été ajournées par le récent renforcement de la position de Corbyn, d’autres problèmes se posent au sein même de Momentum, et d’autres groupes comparables dans la gauche du parti tels que Labour Representation Committee, ou Red Labour. Comment faire cohabiter les plus « inexpérimentés et ceux dont l’expérience relève du traumatisme. La barrière culturelle entre ceux et celles qui chantent encore Le drapeau rouge quand ils se retrouvent ensemble et celles et ceux sortis des mouvances plus contemporaines des mobilisations pour le climat, du mouvement étudiant et d’Occupy, est un obstacle manifeste ». Seymour voit du côté des plus jeunes une génération culturellement plus à l’aise, qui a intégré l’usage des réseaux sociaux et se dispense des rituels militants plus anciens, sait défendre les arguments de la gauche sans jargonner, et dans le même temps, reste insuffisamment préparée aux tâches de direction, incertaine quant à la direction que le Labour devrait prendre et de leur rapport aux questions syndicales.22 En d’autres termes, se pose la question du fond de sociabilité militante à faire vivre dans l’hétérogénéité de ces héritages et expériences.

Le constat de ce rôle crucial de Momentum et de cette difficulté qui lui est inhérente est aussi celui d’Alex Nunns23 ou de Mark Thomas.24 La hargne infatigable anti-Corbyn déployée pendant deux années aura peut-être eu l’intérêt de laisser entrevoir ce que pouvait envisager ces forces extra-parlementaires du camp adverse, alors prêtes à retirer les gants, à se débarrasser des politesses convenues, et à annoncer de possibles mutineries de l’armée elle-même si « Corbyn-le-marxiste » devait accéder au poste de Premier ministre. Le para-parlementarisme et l’a-légalisme fondamental des dominants se cache à peine. L’avertissement est d’une clarté indéniable et se passerait presque des explications savantes.

Dans ce contexte, ce n’est plus par résignation ou par calcul florentin que la gauche radicale investit ou entoure le Labour mais bien par enthousiasme devant l’occasion historique donnée de tirer le parti, non pas vers de quelconques racines ou une quelconque authenticité trahie, mais vers quelque chose qu’il n’a jamais été, ou du moins jamais été autrement que sous forme de projets et d’aspirations minoritaires restées – à quelques rares moments près – à distance de toute possibilité de mise en œuvre politique effective. En cela, les anticapitalistes peuvent se rappeler et rappeler que si Corbyn est aujourd’hui à la tête d’un parti au mieux réformiste de centre gauche, il est lui-même le continuateur d’un courant politique qui a produit en version anglaise une critique radicale, tout à fait claire et explicite, des limites anti-démocratiques du système parlementaire, des multiples formes et forces de domination du capital, à travers une série de références à la tradition du socialisme chrétien mais aussi au marxisme, et dans la perspective d’un projet autogestionnaire inspiré par les expériences yougoslaves ou portugaises de leur temps, autrement dit dans la perspective d’un projet réconcilié avec cette part d’inadmissible que comporte la démocratie. Cette critique et ce courant politique furent incarnés par Tony Benn qui devrait être considéré comme une figure centrale du socialisme du 20e siècle, et pas seulement pour la Grande-Bretagne.

Aujourd’hui, pour les organisations parfois anciennes, souvent fortes d’une culture politique et théorique importante et souvent faibles de leurs penchants et reflexes sectaires, la question n’est pas de savoir s’il faut agir dans ou hors d’un parti qui, en ayant gagné plus de 350 000 nouveaux membres en quelques mois, s’est doté d’une porosité inédite aux mobilisations sociales qui tendent à le réinvestir. Le propos de J. Medhurst paraît avoir gagné en justesse depuis sa parution : « En 2014, le fait demeure qu’à moins et jusqu’à ce que des groupes comme Coalition for Resistance, Left Unity, le SWP, le Socialist Party, le Socialist Labour Party, et le Trade Union Socialist Coalition (TUSC) créent leur propre espace de dialogue et, crucialement, de coordination de l’action électorale et politique, ils laisseront intact l’édifice du capitalisme néolibéral »25.

Reste alors à savoir si les uns et les autres sont collectivement en capacité de contribuer à construire une dynamique de mouvement à même de soutenir et de renforcer une direction travailliste dans une situation qui reste critique et dont la place, le programme, les orientations, la capacité de mobilisation et le vocabulaire même constituent, en retour, un encouragement déterminant pour tous les mouvements sociaux et pour la combativité renaissante du monde du travail et de ses organisations syndicales. Reste à savoir si les porteurs des diverses traditions liées au marxisme sont en capacité de renforcer les convergences des expériences particulières cloisonnées par la vie quotidienne en une critique inclusive et partagée du monde du capital, et en cela de contribuer à décontaminer le terrain de la friche idéologique laissée dans le sillage de bientôt trente ans d’une social-démocratie dont le social s’est évaporé et la visée démocratique a été ajournée.

Thierry Labica. Publié dans le numéro 36 de Contretemps.

1 57 sièges pour 23 % des votes.

2 Ceci intervint une année après le référendum sur l’indépendance de l’Écosse pendant lequel le dirigeant travailliste d’alors, Ed Miliband, fit campagne aux côtés de D. Cameron et des conservateurs en faveur du maintien de l’Écosse dans le Royaume-Uni et après avoir soutenu la brutalité austéritaire du gouvernement de coalition (conservateurs, démocrates libéraux) contre laquelle le SNP avait défini sa position. Le vote SNP en 2015 était aussi un vote anti-austérité.

3 56 % étaient favorables à un taux de 75 % en 2015 selon l’institut YouGov. « The 9 charts that show the ‘left-wing’ policies of Jeremy Corbyn the public actually agrees with », The Independent, 22 juillet 2015, http://www.independent.co.uk/news-14-5/the-jeremy-corbyn-policies-that-most-people-actually-agree-with-10407148.html

4 Décédé en mars 2014.

5 John McDonnell, « What now ? Three tasks for the Left », Labour Briefing, 27 mai 2015, cité dans Alex Nunns, The Candidate : Jeremy Corbyn’s Improbable Path to Power, Londres, O/R Books, 2016, p.85.

6 Sur le plan d’austérité et ces mobilisations, cf. T. Labica, « Anatomie du plan d’austérité au Royaume-Uni », Contretempsweb, avril 2011, http://www.contretemps.eu/anatomie-du-plan-dausterite-au-royaume-uni/

7 Il va à peu près de soi qu’il y avait une référence directe au mouvement chartiste apparu entre les années 1836 et 1848. En faisant appel à la mémoire de ce mouvement fondateur de la politique ouvrière moderne, les nouveaux chartistes proposent alors un projet de refondation radicale du mouvement ouvrier et populaire de masse en Grande-Bretagne, suggérant par là même que les conditions sociales de ce projet contemporain présentent des ressemblances frappantes avec ce qui prévalait il y a plus d’un siècle et demi : interdiction/empêchement des organisations, exclusion/dissuasion du droit de vote, cruauté sociale du système de la Workhouse et punition des « pauvres non-méritants », absence de tout relais institutionnel parlementaire.

8 Jeu de mots alors courant sur « Con » qui est l’abréviation ordinaire de « conservative » et « dem » en référence au parti « lib-dem » alors au gouvernement : le gouvernement qui (nous) « condamne » (condemn).

10 Chacune et chacun fera les rapprochements et les distinctions nécessaires (place des directions syndicales, conjoncture politique…) avec les initiatives – ou les tentatives – lancées en France depuis peu (du Front social, ou de la Fondation Copernic, notamment).

11 Cette même année 2013, la direction du Labour demanda une enquête de police contre Unite (son principal syndicat et financeur syndical) dans une affaire de désignation de candidat parlementaire travailliste pour une circonscription écossaise. Ed Miliband et la direction du Labour comptaient surtout montrer ainsi que le Labour n’était en rien aux mains des directions syndicales, qu’il n’était en rien le parti des organisations ouvrières qui en sont une constituante organique, même modérées, même loyalistes, même ligotées dans un enserrement législatif thatchérien que le Labour au pouvoir n’a jamais jugé opportun de remettre en question.

12 Compte tenu de ceci et du fait que les bas échelons salariaux de la Fonction publique sont majoritairement occupés par des femmes, les attaques législatives répétées contre les organisations syndicales et contre la Fonction publique valent depuis plusieurs années comme autant d’attaques directes et de caractère systématique contre le salariat féminin et ses organisations.

13 A. Nunns, op. cit., p. 144.

14 En matière d’inspection ou d’accès aux prudhommes, par exemple.

15 Les années 2010 ont enregistré, à ce jour, parmi les plus faibles chiffres de journées de travail non effectuées en raison de grèves. 2015 fut la pire année de ce point de vue avec un total 170 000 journées de travail non effectuées. L’activité des grèves avait cependant été plus importante en 2011 (1,39 million de journées) ou en 2014 (788 000). On est très loin de la moyenne des années 1970, pour prendre la période de référence la plus marquante dans l’après-guerre.

16 Chris Nineham, How the Establishment Lost Control, Winchester, Zero Books, 2017, p. 86.

17 On doit noter, même trop rapidement, l’importance prise dans cet environnement par le livre de l’historienne Selina Todd, The People : The Rise and Fall of the Working Class, 1910-2010, paru en 2015, et qui a rencontré un grand succès dès sa sortie, prolongeant le très vendu Chavs : The Demonization of the Working Class, d’Owen Jones (Verso, 2011). Ces deux ouvrages, leur succès respectifs, avec quelques autres, signalent aussi un moment éditorial et intellectuel qui mériterait un commentaire spécifique.

18 John Medhurst, That Option No Longer Exists : Britain 1974-76, Winchester, Zero Books, 2014, p. 150-151, un livre absolument indispensable pour connaître et comprendre la radicalité britannique des années 1970 et l’importance de la figure de Tony Benn pour l’expérience socialiste en général, loin de leur légende noire bientôt au service de la disqualification de l’idée même de « la gauche » depuis quarante ans en Grande-Bretagne.

19 Chris Nineham, op. cit., p. 94-95. Cf. aussi Mark L. Thomas, « A House Divided : Jeremy Corbyn and the Labour Party », International Socialism 149, hiver 2016, p. 62-63 et 65.

20 En ce sens, les riches donations au parti conservateur (d’entreprises, de grandes fortunes) valent comme autant d’abonnements prépayés à un panier de services d’activité antisubversives et contre-insurrectionnelles.

21 Richard Seymour, Corbyn : The Strange Rebirth of Radical Politics, Londres, Verso, 2016, p.195.

22 Ibid. p. 196.

23 Op. cit., p. 333-334.

24 Mark L. Thomas, op. cit., p. 58-59.

25 John Medhurst, op. cit. 149.