C’est l’absence de majorité au parlement pour résoudre le Brexit qui, après des mois d’impasse, a forcé à l’organisation d’élections anticipées pour le 12 décembre. Mais si cette crise politique est d’une ampleur historique, ce n’est pas la seule qui touche la Grande-Bretagne.
Il s’agit de la cinquième puissance économique mondiale, et pourtant les usager·e·s des « banques alimentaires » (dons de nourriture) se comptent par millions. Après la Grèce, la Grande-Bretagne est le pays développé où les salaires ont le plus baissé après la crise de 2008. Les services publics ont été ravagés par des années d’austérité. Le système du « Crédit universel », regroupement de plusieurs allocations (chômage, logement…) a permis une politique particulièrement cruelle de contrôle, de sanction et de baisse des revenus des personnes les plus pauvres. Le montant des loyers a explosé, ainsi que le nombre de personnes sans-abri ou sans logement digne. Cette crise sociale, absente des grands médias, est un facteur essentiel. Elle nourrit une colère anti-système qui a contribué au vote de 2016 pour la sortie de l’Union européenne, mais en se tournant davantage contre l’immigration que pour la justice sociale. Les élections seront-elles dominées par le Brexit, ou permettront-elles de mettre en avant le partage des richesses ?
À l’heure actuelle, les pronostics sont très difficiles. Le Parti conservateur est en tête des sondages, le débat médiatique tourne autour du Brexit, mais la campagne peut changer bien des choses.
Les conservateurs (droite), emmenés par Boris Johnson, promettent de « réaliser le Brexit ». L’accord de sortie qu’ils proposent ouvre la voie à un rapprochement avec les États-Unis, à la réduction des normes environnementales et du droit du travail, et au renforcement des politiques racistes déjà en place. Le Parti du Brexit le concurrence sur sa droite en défendant une sortie brutale de l’Union européenne. Au contraire, les démocrates-libéraux (Lib Dems, « centristes » mais qui ont gouverné avec les conservateurs de 2010 à 2015) se veulent le parti du maintien dans l’Union européenne.
Le Parti travailliste (gauche) arrive aux élections avec une double orientation. D’une part, un programme de progrès social qui rompt avec les politiques passées. En 2017, son programme radical (pour le contexte britannique) et une campagne très dynamique lui avaient permis d’obtenir un résultat bien meilleur qu’attendu. Pour 2019, le programme devrait être encore renforcé. Par exemple, la neutralité carbone en 2030 et peut-être la réduction de la semaine de travail à 32h devraient rejoindre les engagements de hausse des salaires, de renationalisation progressive du rail et de la poste, et de gratuité de l’université. D’autre part, le Parti travailliste propose de négocier un accord de sortie de l’Union européenne qui préserve le droit du travail et les normes environnementales, et de le soumettre à un référendum en proposant également la possibilité de rester dans l’UE.
Cette orientation reflète des divergences au sein du parti : faut-il s’opposer au Brexit ou respecter le vote de 2016 ? peut-on se concentrer sur les questions sociales et esquiver celle du Brexit ? Mais elle peut aussi rassembler deux électorats partiellement distincts, les personnes qui font passer les revendications sociales en priorité, et celles qui souhaitent un nouveau référendum pour rester dans l’UE.
Cinq semaines de campagne vont précéder l’élection. On peut s’attendre à un déferlement de propagande et de calomnies de la part des grands médias, en particulier contre les travaillistes. En face, des dizaines de milliers de militant·e·s de gauche se préparent au porte-à-porte, à mener campagne sur les réseaux sociaux et à tirer partie de leur nombre, de leur motivation et de l’espoir porté par leur programme.
Le résultat est très incertain. Une majorité pour les conservateurs serait désastreuse et démoralisante. Une victoire travailliste est possible, mais risque de ne pas donner de majorité absolue au parlement. Un gouvernement travailliste risquerait d’être fragile, d’une part s’il dépendait du soutien des indépendantistes écossais (centre-gauche) ou s’il faisait le choix de s’allier aux démocrates-libéraux, et d’autre part du fait de ses divisions internes.
La gauche a beaucoup progressé dans le Parti travailliste depuis que Jeremy Corbyn en a été élu président, mais la droite domine encore le groupe parlementaire. Le fonctionnement du parti a peu changé et la culture dominante, même à gauche, est l’obéissance fidèle à la direction plutôt que la réflexion critique. L’activité du parti tourne presque totalement autour des élections et des institutions. En cas de victoire, de nouveaux défis se dresseront et l’application du programme nécessitera forcément une bataille politique à l’extérieur comme à l’intérieur du parti, ce qui pour l’heure n’a pas été préparé.
Les mobilisations sociales sont les grandes absentes de la situation britannique. Battu durant les décennies néolibérales, le mouvement syndical est faible et mise majoritairement sur un changement par les élections. Signe encourageant toutefois, plusieurs grèves victorieuses ont été menées à Londres par des travailleurs·ses migrant·es et précaires, souvent organisé·es dans de petits syndicats combatifs. Par ailleurs, une grève nationale pourrait également avoir lieu à la fin de l’année à la Royal Mail (poste) et faire l’objet d’une campagne de soutien dans la population. Une victoire électorale pourrait aussi encourager les luttes. En tout cas, une vraie rupture avec l’austérité ne semble possible qu’avec la pression de mobilisations.
Nicolas V.