Le 4 juillet dernier, au Royaume-Uni, les élections générales se sont donc traduites par l’effondrement des Conservateurs au pouvoir depuis 14 ans, la victoire écrasante d’un Parti travailliste largement « recentré » et l’entrée au Parlement de quelques députés d’extrême droite. Mais aussi par l’élection de 4 candidats indépendants de gauche, dont celle de Jeremy Corbyn qui a été élu en tant que candidat indépendant, malgré la présence d’un candidat travailliste « officiel ».
Le document qui suit est une traduction (François Coustal) de la résolution adoptée le 5 juillet par AntiCapitalist Resistance (ACR), une petite organisation britannique qui se réclame de la gauche révolutionnaire et de l’écosocialisme.
1. La grande majorité des gens vont se réjouir en constatant l’humiliation et l’effondrement des Conservateurs. La perte en nombre de sièges est la plus importante de toute leur histoire. Les gouvernements conservateurs nous ont offert 14 années de mauvaise gestion, de corruption et de malhonnêteté. L’austérité de Cameron et des Libéraux Démocrates ont mis fin à l’existence ou endommagé la vie de millions de personnes. En 2010, il y avait 35 banques alimentaires ; en 2024 on en compte 3572. Le système de santé, l’éducation, les services locaux et sociaux et bien d’autres ont été privés de financements vitaux et pillés au profit du privé. Nos rivières et nos mers puent et sont impropres à la baignade, alors que les actionnaires des compagnies d’eau ont été généreusement récompensés. Le mépris cynique de Johnson pour la santé publique est responsable de milliers de morts inutiles lors de la Covid. Des règles nous ont été imposées, mais elles n’étaient pas respectées par le gouvernement. Ce dernier a donné des millions à ses copains conservateurs pour la fourniture de masques de protection inefficaces. Le budget marqué par un néo-libéralisme extrême de Liz Truss a conduit des millions de gens à souffrir de l’augmentation des taux des prêts hypothécaires. La mise en œuvre du Brexit a frappé durement la croissance et paralysé la liberté de mouvement en Europe. Sous la direction de Sunak, les prix de l’énergie ont grimpé et nous avons été confrontés à la pire augmentation du coût de la vie depuis des décennies. La diabolisation des demandeurs d’asile, des migrants et des transsexuels s’est intensifiée. Nous pouvons au moins savourer pendant un moment la défaite politique des politiciens qui sont responsables de tout cela. Truss, Shapps, Mordaunt, Gullis, Rees-Mogg, Jenkyns et les autres ministres sont tous partis. Sunak a souffert d’un processus symétrique par rapport à 2019 : cette fois-ci, le parti de Farage a handicapé les Conservateurs, pas les Travaillistes.
2- Le nouveau gouvernement de Starmer a été bien accueilli par le grand capital. Pour cette élection, l’Economist, le Financial Times et la presse de Murdoch ont soutenu les travaillistes. Quand Starmer dit qu’il a changé le Parti pour pouvoir changer le pays, c’est une demi-vérité. Un moyen sûr d’arriver au pouvoir est de détruire tout défi potentiel de gauche au pouvoir de la classe capitaliste qui dirige vraiment les choses. Oui, il a changé le parti mais son nouveau partenariat avec le capital en faveur de la « création de richesses » ne va pas changer le pays pour la grande majorité. Il va rationaliser la création de profits pour une petite minorité. L’argent public va être prodigué aux hommes d’affaires afin d’encourager la « croissance » qui est supposée ruisseler magiquement en augmentations de salaires et dépenses sociales. Les états-majors des grandes entreprises ont déjà été embarqués au sein de son cabinet ministériel pour s’assurer que cette vision serait bien mise en œuvre.
3- La grande victoire électorale travailliste succède à une contre-attaque vicieuse de la droite et du centre du Parti travailliste contre toute trace de contestation de gauche même modérée contre le pouvoir du capital. La mainmise de Starmer sur le mouvement ouvrier s’est renforcée. Toute réédition d’une majorité de gauche de type Corbyn a été noyée et le restera dans un avenir prévisible. Pendant un temps, le gouvernement va probablement bénéficier d’une période d’état de grâce durant laquelle l’émergence de tensions ou de conflits avec les syndicats ou la gauche sera difficile.
4 – Néanmoins, il s’agit plus d’un effondrement des Conservateurs que d’une victoire des Travaillistes. Un journaliste l’a caractérisé très justement comme « un glissement de terrain sans passion ». Le système injuste du scrutin majoritaire à un tour déforme massivement l’ampleur du triomphe du Parti travailliste. Hier, celui-ci a obtenu 9,6 millions de suffrages, soit à peu près 34% des voix. Le parti de Corbyn dont les dirigeants actuels du Parti travailliste prétendent qu’il empêchait toute victoire électorale avait obtenu 13 millions de voix (40%) en 2017 et 10 millions (32%) lors de l’élection de 2019 qui était déformée par le Brexit et la coalition électorale de fait entre Johnson et Farage. Il y a eu peu d’enthousiasme pour Starmer au Pays de Galles. En fait, même s’il remporte 27 sièges sur 32, le Parti travailliste a bénéficié de 150.000 votes de moins qu’en 2019, lorsqu’il était dirigé par Jeremy Corbyn. Dans les communautés les plus pauvres, comme Ely ou Caerau, le taux de participation n’a été que de 23%. Tout le monde a noté ce manque d’enthousiasme pour le projet de Starmer. Avec un taux de 60%, la participation est inférieure de 7% à ce qu’elle était en 2019. Néanmoins, ce nouveau gouvernement a déjà annoncé qu’il n’allait pas accorder un salaire décent aux travailleurs du secteur public ni augmenter les impôts des riches pour financer la santé, l’éducation, la protection sociale ou les besoins financiers des conseils municipaux. Il est probable que les travailleurs feront grève contre ce gouvernement et que d’autres se mobiliseront contre les limites de ce programme. Il est peu probable que ce gouvernement rompe avec l’impérialisme américain du fait des rapports avec l’apartheid d’état d’Israël. Contrairement à l’Espagne ou à l’Irlande, il ne va pas reconnaître maintenant l’Etat de Palestine. Les votes significatifs à gauche du Parti travailliste montrent qu’existe un potentiel de résistance à ces politiques modérées.
5- Nous devons soutenir toute lutte ou toute action de résistance aux politiques de ce gouvernement social-libéral. Nous ne reconnaissons aucun état de grâce. Pour commencer, nous revendiquons la mise en œuvre immédiate de son programme très limité, sans futur retour en arrière : augmentation dès le premier jour des droits des travailleurs, mise en œuvre des impôts progressifs qu’ils ont proposé pour les écoles privées et les contribuables qui ne sont pas domiciliés au Royaume Uni, l’enterrement du projet Rwanda, les mesures promises pour l’éducation, la santé et l’environnement.
6- Mais ce n’est là que le point de départ du mouvement ouvrier pour forcer le gouvernement à prendre de nombreuses mesures plus radicales : le développement des droits des travailleurs par l’abolition de toute la législation répressive de Thatcher ; un impôt sur la fortune et une augmentation des impôts sur les profits pour financer le système de santé (NHS), l’éducation et les services municipaux ; la mise des entreprises énergétiques et de service public sous le régime de la propriété commune ; l’utilisation de tous les surplus dégagés pour développer un plan de transition énergétique ambitieux et s’opposer aux crises climatiques et écologiques de telle sorte que l’on s’assure que ce soient les pollueurs qui paient ; l’abolition immédiate des plafonds de prestations au-delà de deux enfants et des autres plafonds de prestations ; le renforcement de la Loi sur l’égalité de 2010 afin de mieux protéger les personnes discriminées (y compris les transsexuels) ainsi que l’enterrement des lois répressives relatives à l’Ordre public. Ce ne sont là que quelques exemples, mais de telles propositions vont de pair avec la mobilisation des travailleurs de ces secteurs pour élaborer des plans d’action. Nous ne devons pas seulement faire pression sur le Parti travailliste mais aussi essayer de développer des actions indépendantes et auto-organisées sur ces questions.
7- Les résultats des élections générales d’hier montrent que 3 millions de personnes ont voté à gauche du Parti travailliste, soit en faveur des Verts dont le manifeste était plus radical que celui des Travaillistes, soit pour des candidats de gauche indépendants qui concurrençaient le Parti travailliste sur la Palestine. A eux seuls, les Verts ont recueilli 6.8% (une augmentation de 4 points), soit près de 2 millions de suffrages et ils ont maintenant 4 députés. Les candidats indépendants pro-Gaza ont gagné 4 sièges et talonné le Parti travailliste dans certaines circonscriptions comme Wes Streeting à Ilford Nord. Andrew Feinstein a recueilli plus de 8.000 suffrages dans la circonscription de Starmer ; à Stingford, Faiza Shaheen a fait 25% et aurait gagné si les travaillistes n’avaient pas divisé les votes contre Duncan Smith. Enfin, Corbyn a été élu confortablement. Il n’y a jamais eu autant de candidats indépendants élus au Parlement. Au sein du Parti travailliste subsiste une gauche affaiblie, avec des regroupements comme l’Alliance de Base, Momentum (l’Elan), ou le Groupe de campagne pour le socialisme. Ces milliers de militants à l’intérieur ou à l’extérieur du Parti travailliste constituent la base potentielle d’un réseau plus structuré ou d’un mouvement des militants pour le climat et l’écosocialisme, préparé à résister à l’incapacité de Starmer à proposer le changement dont nous avons besoin. Le courant d’intervention directe du mouvement écologiste, comme Just stop Oil ou Extinction Rebellion occupent également cet espace politique. Les résultats (meilleurs que ceux qui étaient attendus) de toutes ces forces alimentent quelques espérances sur le fait que Starmer ne va pas avancer sans aucune opposition. Au début de la campagne, il voulait éliminer la première femme noire élue députée. Il a été bloqué par une campagne à la base en lien avec des députés de gauche, des syndicats et des personnalités du monde de la Culture. La nette majorité dont bénéficie le Parti travailliste peut rendre plus facile pour les députés de contester la direction du Parti dans la mesure où leur rébellion ne risque pas de faire tomber le gouvernement. Tous les commentateurs et tous les sondages ont souligné à la fois un puissant désir de se débarrasser des Conservateurs et le fait que ce sentiment était mêlé à un faible enthousiasme pour Starmer et son projet. Aussi les gens pourraient bien vouloir contester le gouvernement plus tôt que nous ne l’imaginons. Même le succès des Libéraux Démocrates (71 sièges) reflète en partie la volonté de financer correctement la Santé et la Protection sociale, bien au-delà des prévisions limitées de dépenses qui sont celles du Parti travailliste.
8- Reform, le parti raciste de Farage, a constitué, après Starmer, le vainqueur-surprise de la nuit dernière. Il a remporté 4 sièges et plus de 4 millions de suffrages. Ce résultat est supérieur de 3 points à son meilleur résultat précédent (en 2015). Reform est arrivé second dans une centaine de circonscriptions, y compris certaines circonscriptions travaillistes. Le principal message de Farage après le scrutin a été d’affirmer que son objectif était d’être la principale opposition au Parti travailliste. Il est en position de jouer un rôle dans la recomposition de la droite, soit à travers une OPA hostile sur le Parti conservateur, soit à travers un nouveau mouvement qui entrera en confrontation avec le Parti conservateur traditionnel et gagnera une partie de sa base et de ses élus. C’est un processus qui a déjà commencé. C’est également une menace pour le gouvernement Starmer. Farage a indiqué qu’il voulait être une véritable opposition, dirigeant des protestations de masse. Au vu de son faible nombre de députés au regard des millions de suffrages recueillis, il est en bonne position pour exploiter les frustrations de sa base qui se sent écartée du processus politique. Pour des raisons étroitement électorales, le Parti travailliste ne s’est pas confronté à Farage, pensant que ce dernier ferait plus de mal aux Conservateurs qu’aux Travaillistes. Starmer a même retiré son candidat dans la bataille de Clacton. Le Parti travailliste porte tout autant que les Conservateurs la responsabilité de la montée de Reform. Le Parti travailliste a normalisé le cadre raciste du débat sur les migrants. Il appartiendra à la gauche et au mouvement ouvrier de se confronter au courant ascendant de Farage. Sn succès va également renforcer la confiance en eux des gangs de rue néofascistes dirigés par Tommy Robinson et quelques autres.
9- Les questions écologiques ont été quasiment absentes de la campagne électorale. Le Parti travailliste a déjà dilué son projet de campagne de Grande Energie Britannique et ne l’a pas remis en avant, terrifié par la pensée que les électeurs pourraient être effrayés par son coût. A la fois les Libéraux Démocrates, qui ont grimpé même dépassé les résultats des sondages « sortie des urnes » pour atteindre 71 sièges, et les Verts ont profité d’avoir mis l’environnement à l’ordre du jour. La Gauche doit intensifier et mettre en avant une stratégie écosocialiste. Gaza a été l’autre grand absent de la campagne électorale. Les partis dominants l’ont à peine évoqué, mais cela a été complètement perturbé par la présence de candidats indépendants. Nous saluons de travail de tous ces militants qui ont réussi à faire entendre la voix des Palestiniens dans cette élection.
10- ACR (Anti Capitalist Resistance) va se mettre au service de la construction de la résistance au social-libéralisme du Parti travailliste. Nous soutiendrons toutes les campagnes en défense des transsexuels, des femmes et des droits démocratiques, de la Palestine, du niveau de vie des travailleurs, des services publics et en faveur de mesures fortes pour réduire les crises climatiques et écologiques, en lien avec une transition juste vers des emplois verts. Au sein du mouvement large, nous défendrons la nécessité d’un courant anticapitaliste et écosocialiste capable d’offrir la base d’une alternative stratégique au travaillisme.
AntiCapitalist Resistance (ACR)