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François, Juan… et les autres

J’veux du soleil de Gilles Perret et François Ruffin

François Ruffin a réalisé avec Gilles Perret le film « J’veux du soleil ». Ils vont à la rencontre des occupants de rond-points puis vont dans les demeures de certains des personnes rencontrées. La détresse sociale qui habituellement est une honte solitaire se raconte à la première personne du singulier et face caméra. Chaque interview est un exemple de ce gaspillage d’humanité que produit cette société capitaliste. Voici quelques extraits du récit, tout en sensibilité, qu’en fait le journaliste Antoine Perraud dans Mediapart :

« Du cinéma populaire, politique et social. Au coude à coude. Avec une pulsation de solidarité, de fraternité, d’émotion, qui passait de l’écran au public et, semblait-il, vice versa. »

Ce film « est aussi conçu comme un jeu de massacre par le rusé Ruffin. Celui-ci prend un malin plaisir, itératif, à se mettre à la place du chef de l’État, engageant ses interlocuteurs à lui parler comme s’il était Emmanuel Macron en personne… » Ce Macron qu’une personne interrogée décrit en « réplique du musée Grévin ». Cela fait aussitôt mouche. » (…)

« « La pudeur ne devenait plus impudique. » Les gorges se serrent et des sanglots s’insèrent, dans la salle du cinéma Utopia, quand Cindy relate, sans fard, sans honte, avec la dignité du 36e dessous inconnue des hautes sphères, le ravitaillement impossible à rapporter faute d’argent, les assiettes et les ventres vides, les dépressions qui guettent puis s’abattent ; « avec toujours, pourtant, l’amour, la sédition, la volonté d’en découdre… » (…) « ce documentaire, de bric et de broc, atteint au point de vue et aux accents néo-hugoliens (…) C’est aussi  un cinéma « qui fait allégeance à une insubordination, qui acquiesce à la contestation, qui ne cherche point querelle au charivari. »

« Ce pays que tu ne connais pas » de François Ruffin

Ce livre est édité par ce député qui aime aller au milieu du peuple à n’en pas douter. Et il témoigne, avec un sens de l’opportunité politique aiguisé. « Voici que la honte privée est devenue une colère publique. »

Il cite les capitalistes que côtoie Macron dès ses premiers apprentissages : Claude Bénéar de AXA, Anne Lauvergeon de Areva, Petre Brabeck de Nestlé, Serge Weinberg d’Accor puis de Sanofi, René Carron du Crédit agricole, etc

Lui qui se faisant le porte voix de ces messages entendus sur les rond points où la haine de Macron s’exprimait crûment précise : « je vous hais moins maintenant. L’imposture est finie : vous êtes officiellement de droite, « le président des riches ». Il rappelle que la presse concourut à dresser un portrait énamouré de l’habile intrigant, du Nouvel Obs au Figaro en passant par Challenges.

« Le Monde résumait vos prouesses : « Pacte de compétitvité en 2012, Accord national interprofessionnel en 2013 Pacte de responsabilité en 2014 : la tonalité économique du Président lui doit beaucoup » ; il s’agissait du président Hollande.

Puis voilà le petit homme des grands capitalistes propulsé sur l’arène médiatique, qui écrit un livre qu’il ose titrer « Révolution » tant avec ses amis ils croient avoir éradiqué l’idée même de révolution sociale. Souligner la médiocrité du style de l’ami des Capitalistes est assassin sous la plume de Ruffin. Lequel fait référence aux sociologues Pinçon et Pinçon-Charlot : « la structuration conviviale de la grande bourgeoisie s’étend à la sphère politique ». Et l’auteur dit les noms de ces capitalistes : Henri de Castries (AXA, institut Montaigne), Bernard Collomb (commission Trilatérale), Patricia Barbizet (holding de la famille Pinault), etc. Et aussi : Henri de Castries qui est un ami de Jean-Pierre Jouyet lequel est l’époux d’une héritière de la famille Taittinger et ce Jouyet est en même temps l’ami de Hollande et de Sarkozy et d’autres familles familles capitalistes. Plus tard, la route de Macron rencontre Jean Peyrelevade (Bouygues) qui est un des acteurs de la mise en action des donateurs capitalistes.

Le nouveau petit marquis de la politique a besoin de milliards pour concrétiser ses ambitions qui sont celles de ses amis dont il exprime de façon ventriloque les intérêts jusque dans le détail.

Alors, Ruffin continue la liste. Voila Xavier Niel, 10ème fortune du pays, qui rachète le groupe de presse Le Monde (Le Monde, Télérama, Courrier international, La Vie, Le Monde, Le Monde Diplomatique, le Huffington Post, l’Obs).

L’amitié entre le couple Niel et le couple Macron est soulignée.

Bernard Arnault (Le Parisien, etc) est une vielle connaissance de Ruffin qui dans son film-documentaire « Merci patron » l’avait dénoncé et ridiculisé.

Puis, voici Drahi (Numericable puis Libération, RMC, BFM, etc) très favorisé par l’entregent de Macron et puis Bolloré (Canal +, C8, etc), Bouygues enrichi comme jamais grâce à la « braderie d’Alsthom » , TF1 et Lagardère (Europe1, JDD, etc)

Citant ces noms du capitalisme et de la presse, Ruffin écrit : « Vous êtes leur jockey mais ils possèdent les écuries ». « Tous ligués en une opération Macron ».

« Dix milliardaires qui se partagent 90 % des quotidiens, 55 % des chaines de télévision et de radio. »

Les 26 personnes les plus riches détiennent autant que la moitié la plus pauvre selon Oxfam.

Ruffin et sa bande c’est la participation des investigations multiples dont dernièrement celle sur Sanofi (le scandale de la Depakine prescrite durant la grossesse), alors qu’est réaffirmé le soutien total de la présidence à « nos » industries pharmaceutiques.

Juan Branco, Crépuscule

Crépuscule a paru en mars 2019. Je ne connaissais ni l’auteur, Juan Branco, ni le fait qu’il était fort lu depuis des mois. Il est plus jeune que Macron ou Ruffin ; il fut candidat FI aux législatives, a pris ses distances avec cet univers gazeux ; il est un des avocats de Julian Assange.

Ce jeune homme de 29 ans est présenté ainsi : « il dénonce et expose les preuves d’une captation de la démocratie par des oligarques puissants, en faveur d’intérêts de castes ». Voila qui est résolument sympathique, même si la démonstration m’en avait semblé faite dès auparavant par de nombreux essayistes et écrivains, par des journalistes, dont Ruffin et ceux de Mediapart. Sans oublier les productions de Dardot et Laval ou de Naomi Klein, ou les milliers d’analyses de militants discrets. Et par des sociologues dont les plus célèbres en la matière sont les Pinçon et Pinçon-Charlot. Sur l’endogamie des bourgeois.

La lecture du livre de Branco est un peu difficile. Nous en sommes prévenus par le préfacier Denis Robert : « un style abscons », intéressant « malgré les digressions et le style parfois emphatique ». Ce n’est pas un livre au style éblouissant donc mais un livre qui a un succès considérable.

La présentation de Juan Branco est celle-ci : il fut condisciple des bourgeois à l’École alsacienne à Paris, puis à Science Po , à Normale sup. Il les connait bien, et il balance. : « c’est avant tout à ceux qui avaient essayé de m’introniser que je m’apprête à m’attaquer ». Les puissants du monde lui ont murmuré à l’oreille et ils va tout nous « révéler ». Ici et là il dit qu’il a proposé ses services à l’une ou l’autre de ces importants, (« Elle », Bernard Arnault), qu’il a été « adopté » par ce milieu. Il l’affirme « s’insérer au sein d’une fabrique à élites est une chose difficile », eh bien il sut le faire. Son coup de génie est de transformer cette évolution des plus banales en un accès à de l’inédit.

Cette présentation pré-suppose que la non fréquentation des bourgeois (on dit « les oligarques ») est un manque cruel pour qui veut comprendre le monde, et que seul quelqu’un issu de ce milieu peut éclairer ses concitoyens. Présupposition très contestable. Ce qui manque, ce ne sont pas les informations sur les capitalistes, c’est la stratégie pour les décrédibiliser et renverser leur ordre social.

Branco promet donc des « révélations » : « contons ici la mise en place de ce pouvoir », car auparavant « aucun récit fidèle n’a été écrit ou partagé ». Il nous invite à plusieurs reprises à retenir notre souffle tant son audace coupe manifestement le sien. C’est son argument d’autorité : « ces individus, je les ai vus, rencontrés, fréquentés ».

Si François Ruffin nous a rappelé qu’il fut condisciple de Macron dans un lycée privé d’Amiens, Branco s’attarde longtemps sur l’École alsacienne de Paris. La cour de récréation de l’École alsacienne semblerait être le lieu où l’on fait son carnet d’adresses de bourgeois et où on aime à se trahir. Ce qui n’est pas prouvé avec une grande rigueur.

L’auteur présente la révolte des Gilets jaunes – sans entrer dans le détail ni de son historique ni de ses courants multiples -, comme « ayant compris sans avoir à l’entendre ce que les Macronleaks finiraient par révéler » : que « la suppression de l’ISF, la flat tax » étaient « simplement redistribution de prébendes », « et ils l’ont compris seuls, sans l’aide d’intermédiaires, qui de la presse aux partis politiques, sont pourtant censés les y aider et sont pour cela grassement financés ». Mouvement décrit comme « source de joie et de régénération massive ». Et Juan Branco arriva et il nous dit que son livre « permet de démontrer – le mot est fort, il est justifié – qu’ils ont eu raison ». L’intuition populaire serait confirmée par sa géniale et unique démonstration.

Il a fréquenté Gabriel Attal à l’École alsacienne. Il le décrit arrogant, intrigant, sans principe, orgueilleux, se nommant Attal puis Attal de Couriss puis Attal. Il intrigue si bien qu’il reçoit un des salaires les plus élevés dès l’âge de 23 ans. Séjourné dont il est dit qu’il fut étudiant à Poitiers et au MJS. Sans préciser ni qu’il fut strauss-kanien, ni que l’Université de Poitiers est moins illustre que l’École alsacienne de Paris ; cela conduirait à complexifier le raisonnement.

Bernard Arnault (LVMH) est le père de Delphine Arnault qui est mariée à Xavier Niel. Ils vont sponsoriser Macron. Bernard Arnault, « première fortune de France, quatrième fortune du monde, propriétaire de LVMH ». Qui fut enrichi par le « rachat des entreprises de tissage Boussac », avec l’appui de Larent Fabius. C’est lui qui aurait organisé, principalement, presque exclusivement, l’arrivée au pouvoir de Macron. Ruffin affirme de façon plus convaincante que c’est l’ensemble des capitalistes et de leurs multiples et hégémoniques relais journalistiques qui mirent en scène cette accession au pouvoir. Alors que Hollande se retrouva coupé de toute base à gauche après la Loi Travail, que Fillon à la réputation d’intègre ennuyeux s’avéra fort malhonnête, il y avait une place politiquement en un « et de gauche et de droite ». Avec les soutiens financiers et éditoriaux, sans mésestimer les qualités propres de Macron – ce que fait Branco -, le pari était très jouable.

On en arrive ensuite à la révélation des révélations de Branco : « Xavier Niel et Emmanuel Macron sont amis de longue date », et cela fut caché pendant la campagne présidentielle et au-delà, et cela explique que la montée en puissance de Macron fut irrésistible. Vraiment ? Niel avait soufflé à l’oreille du jeune Branco, « dès janvier 2014 » que Macron serait président de la république, cela est déterminant pour Juan Branco. Alors que Ruffin nous rappelle comment Macron fut présenté comme un ami des capitalistes dès la commission Attali, Branco insiste sur l’obscurité dans laquelle serait resté le futur président de la république , même lorsqu’il fut ministre. Ce qui est faux mais permet à l’auteur de rendre plus épais le sentiment de mensonge organisé.

Pourtant, Mediapart, l’Humanité, Là bas si j’y suis, Regards, Le Monde Diplomatique, Reporterre, et aussi les députés de la France insoumise et du PCF et bien d’autres ont contribué à faire savoir que les milliardaires se sont enrichis aux dépends du commun. La liste qu’il fait de capitalistes recoupe celle de Ruffin : Arnault, Pinault, Niel, Drahi, Dassault, Bolloré, Bouygues, Lagardère.

Créer un intellectuel collectif est toujours d’actualité

Le succès du livre Crépuscule et de son auteur, comme celui de J’veux du soleil et du livre qui suivit, montre que la politique radicale cherche à s’incarner en une personne reconnue comme porteuse d’un discours alternatif. Les noms se multiplient sur les réseaux sociaux : Mélenchon, puis Ruffin et sa petite équipe. Maintenant Branco et ses fans. Des clubs radicaux voient aussi le jour et se multiplient : parmi ceux ci, notre regroupement et celui de nos amies Clémentine Autain et Elsa Faucillon avec leur bulletin « le Fil ».

Nous ne saurions ignorer qu’il nous reste à construire un intellectuel collectif, véritablement collectif, à partir d’une analyse précise du champ des forces sociales et politiques en France, que cela n’est pas réalisé actuellement. Nous constatons que des opportunistes, tels que Juan Branco, peuvent très vite occuper un terrain idéologique que nous, issus d’une lutte marxiste révolutionnaire de longue durée, aurions été incapables d’occuper.

Pascal Boissel, le 28-4-2019