S’en rendent-ils compte ? Le remaniement du gouvernement ne suscite pour les Français ni frissons, ni suspens. L’Élysée a beau feuilletonner la séquence, rien n’y fera. C’est le vide que les éditorialistes commentent depuis plusieurs jours. Et pour cause : qu’importe le casting, le quinquennat d’Emmanuel Macron paraît déjà fini. Une femme est remerciée pour avoir mené le sale boulot des « réformes difficiles », comme on dit dans la novlangue pour des lois impopulaires et non justifiées. On se félicite qu’Élisabeth Borne ait duré plus longtemps qu’Édith Cresson. Mais personne n’oubliera qu’elle a surtout fait pires lois encore que ses prédécesseurs. Son nom restera accolé à l’infâme réforme des retraites qui obligent les Français à travailler deux ans de plus, jusqu’à 64 ans. Présentée comme venant des rangs de la gauche, Borne a passé 20 mois à servir une politique à droite toute. S’en débarrasser suffira-t-il à changer de braquet ? Aussi brillant communiquant soit-il, Gabriel Attal ne pourra masquer la nature réelle et l’impopularité de la politique macroniste, dont il est le produit et le fidèle héritier. Personne ne croit que ce pouvoir puisse faire autre chose que de s’enfoncer dans l’autoritarisme, les petits arrangements avec LR et le mépris du peuple comme de la planète.
Après une présidentielle sans projet, des législatives sans majorité, nous assistons au mandat sans souffle de Jupiter. C’est le bout d’un cycle ouvert par la dérégulation économique, poursuivi par l’obsession comptable de la dette publique et conclu par le contrôle social accru. Car le discours néolibéral et les politiques qui vont avec ont pris un sacré coup de vieux. Et ce n’est pas en mettant des visages jeunes et souriants au sommet de l’État que la colère et la désespérance vont cesser. La pilule est devenue trop amère. Tout le monde a désormais compris ce que signifie le « en même temps » : rien d’autre que la compilation radicalisée à droite des choix économiques et sociaux des quarante dernières années. On n’en peut plus, on n’en veut plus.
Si Macron a réussi en 2022 à obtenir une majorité pour un nouveau mandat, c’est uniquement par rejet de Marine Le Pen. Au lieu de le comprendre et de gouverner en conséquence, le Président a choisi de faire passerelle et non barrage à ses idées. Aussi fou que cela puisse paraître, la macronie a contribué à respectabiliser le RN. Elle a fait le choix de lui donner un verni institutionnel en l’intronisant dans la gestion républicaine de l’Assemblée nationale : Monsieur Chenu est même un « excellent vice-président », selon la Présidente Yaël Braün-Pivet ! Quant à la présence banalisée de l’extrême droite à la manifestation contre l’antisémitisme, elle n’a suscité aucune bataille digne de ce nom de la part de Renaissance pour éviter de donner le moindre crédit au RN sur un tel combat, contraire à son histoire comme à ses principes fondamentaux de rejet de l’autre[1]. Macron et les siens ont enfin imposé une loi sur l’immigration qui marche dans les pas de Le Pen. C’est la lie, la honte, le déshonneur. Comment les macronistes peuvent-ils se regarder dans une glace ? Je persiste et signe : il y a du Daladier dans Macron[2].
Alors la composition du gouvernement dans tout ça n’est qu’un petit jeu de bonneteau. L’essentiel est ailleurs. Le pouvoir est aux abois. Il court comme un canard sans tête. Et n’a que la force du 49.3 pour gouverner. Pendant que nous voyons la République dépérir sous nos yeux, c’est le régime de la Ve qui agonise. Élisabeth Borne avait dû renoncer à un discours de politique générale. De vote de confiance il ne fut pas question. Le déni de démocratie fut magistral. Il n’y a qu’en France qu’on peut voir une chose pareille ! Gabriel Attal va-t-il soumettre son Gouvernement à l’approbation du Parlement, comme c’est la règle en démocratie ? Il n’en a pas les moyens. C’est pourquoi la sagesse serait d’en finir avec la Ve République qui permet, nolens volens, de gouverner sans majorité et de tourner la page des politiques qui se suivent, se ressemblent et désespèrent depuis si longtemps.
Si nous sommes en bout de course du régime et de la macronie, c’est que l’heure est à la confrontation entre l’extrême droite et nous. Or ce « nous » n’est pas consolidé. Il subit même des revers. Je formule le vœu pour 2024 que chaque composante de la Nupes, partis et mouvements comme figures de proue, mesure l’ampleur de sa responsabilité historique. Elle est triple : le devoir de s’unir, de tourner le dos aux vieilles recettes politiques néolibérales de tous bords et de sortir des formes de la monarchie présidentielle pour faire vivre la démocratie.
Clémentine Autain
[1] Pour mémoire, à la question « Est-ce que le RN est bienvenu dans la manifestation ? » posée par la présentatrice du JT de TF1 le 8 novembre 2023, Yaël Braun-Pivet ne sait pas répondre un simple « non, le RN n’est pas bienvenu » et Gérard Larcher, à ses côtés, ne dit pas un mot à ce sujet.
[2] Et je continue de recommander la lecture du remarquable Récidive. 1938 de Michaël Foessel (PUF, 2019).