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Fabien Roussel : camarade ? Pas camarade ?

Pour contrer l’argument effectivement très discutable du « vote utile », les partisans des « petits candidats » le soulignent, souvent à bon escient : ce qui est vraiment utile, c’est de « voter pour ses idées ». Bien sûr ! Reste à voir si cet argument fonctionne ou pas s’agissant du candidat de la « France des jours heureux » et du Parti communiste français.

Avant d’examiner les « idées » portées par Fabien Roussel et censées justifier une candidature communiste indépendante – à la différence des deux campagnes présidentielles précédentes où le PCF avait soutenu Jean-Luc Mélenchon – il convient cependant de la remettre en perspective avec l’évolution politique récente de ce parti. La candidature Roussel résulte d’une consultation des adhérents et des adhérentes communistes, réalisée début mai 2021. Mais ce vote se situait bien dans la continuité du 38éme congrès du PCF. Tenu en novembre 2018, ce congrès avait vu la mise à l’écart de l’ancien secrétaire général, Pierre Laurent, et l’arrivée aux commandes d’une coalition de responsables qui se sont alors donné pour mission de restaurer l’identité du PCF – qu’ils jugeaient mise à mal – et surtout de réaffirmer sa place sur la scène politique. Une place réduite selon eux à la portion congrue du fait de l’effacement du PCF devant Mélenchon, notamment lors des deux précédentes élections présidentielles. Parmi les convictions qui cimentent cette coalition figurent en bonne place la nostalgie des accords électoraux avec le Parti socialiste et la nécessité d’une présence communiste à l’élection présidentielle.

Dans les domaines économiques et sociaux, Fabien Roussel défend donc une série de mesures progressistes en ce qu’elles relèvent de la rupture au moins partielle avec les politiques d’austérité en vigueur depuis plusieurs décennies, qu’il s’agisse des salaires, des retraites, des services publics, de l’emploi et, plus généralement, de la redistribution des richesses. Cela, certes, suffit à faire la différence avec ce que proposent Anne Hidalgo ou Yannick Jadot. Mais cela ne le distingue nullement des mesures préconisées par l’Avenir en commun et Jean-Luc Mélenchon. Quant à la réaffirmation de la fameuse « identité communiste » dans ces domaines, la situation est nettement plus ambiguë que les prétentions de départ du PCF. Ainsi le candidat communiste à la Présidentielle affirme ne pas être « pas opposé aux dividendes que se versent des petits patrons ». De même, il n’est « pas favorable à ce que tous les secteurs de l’économie soient mis sous la coupe d’un État patron ». Et de conclure : « nous ne partageons pas du tout cette philosophie-là ; ça, c’est l’époque soviétique, le kolkhoze ». Donc, si Fabien Roussel se risque bien parfois à critiquer le programme des Insoumis, ce n’est pas une critique « de gauche »… loin s’en faut ! Mais il est vrai que sur d’autres questions Fabien Roussel se distingue nettement. Cela, peut-être, justifie sa candidature. Mais sûrement pas que l’on vote pour lui ! Prenons donc trois exemples d’inégale importance mais tous significatifs d’une réelle dérive : le nucléaire, la chasse, la police.

On se souvient de la participation honteuse, en mai dernier, du dirigeant communiste au rassemblement d’extrême droite policière devant l’Assemblée nationale : principalement organisée par Alliance – on hésite quand même à écrire le « syndicat » Alliance… – et destinée à faire pression sur l’Assemblée nationale pour renforcer les mesures sanctuarisant l’impunité des éborgneurs et des mutileurs en uniforme, cette manifestation a surtout consisté en une dénonciation du laxisme judiciaire : « le problème de la police, c’est la justice ». Certes, Roussel n’était pas seul à gauche à défiler aux côtés de Gérard Darmanin et Marine Le Pen, puisqu’Anne Hidalgo et Yannick Jadot étaient aussi de la fête. Mais, clivage tout sauf secondaire, des forces de gauche – une partie importante des écologistes, la France insoumise, l’extrême gauche – ont heureusement sauvé l’honneur en refusant de participer et en continuant à dénoncer le racisme et les exactions policières.

Concernant les questions énergétiques, Fabien Roussel s’est prononcé pour un «investissement massif dans les énergies renouvelables (solaire, éolien et surtout hydraulique)». Mais à propos du recours à l’énergie nucléaire, il se situe dans la stricte continuité du positionnement du PCF depuis des décennies, contre la fermeture des centrales (anciennes) et pour la construction d’au moins six EPR (nouveaux). Il n’hésite pas à dénoncer les mises en garde de Mélenchon sur les conséquences d’un incident (ou d’une attaque) à la centrale de Nogent : « Agiter les peurs du nucléaire de cette manière est irresponsable ». Ainsi, alors qu’en 50 ans aucune solution n’a toujours été trouvée concernant les déchets radioactifs et que le monde a connu les catastrophes de Tchernobyl et Fukushima, Roussel s’en tient au dogme pro-nucléaire.

Le positionnement sur la chasse est sans doute moins important que celui sur la police ou le nucléaire, mais tout aussi significatif de certaines dérives. Ainsi, lors du Salon de l’Agriculture, Fabien Roussel a cru bon d’aller faire allégeance auprès de la très réactionnaire – mais très puissante – Fédération nationale des chasseurs (FNC) et de déclarer : « J’en ai assez d’entendre certains candidats faire des propositions démagogiques, vouloir se payer les chasseurs à chaque accident dramatique (…) Interdire la chasse, interdire les voitures, interdire la viande, interdire les sapins de noël, le tour de France, bref, interdire tout ce qui est populaire. Qu’est ce qui va rester à la fin? ». Et, pour faire bonne mesure, il n’a pas hésité sur France Info à préciser ses idées et dire tout le mal qu’il pense de l’écologie (forcément) punitive : « J’en ai un peu marre de ces intellectuels condescendants qui n’arrêtent pas de nous donner des leçons sur nos pratiques, sur nos manières de faire, qui nous disent ce qu’il faut manger et comment il faut conduire. »

Dénigrement des « intellectuels », flatteries pour les chasseurs et les automobilistes : ces dernières sorties de Fabien Roussel sont quand même assez grossièrement démagogiques, non ? Elles renvoient en tout cas à une manière de considérer les couches populaires qui, finalement, se situe en miroir du mépris de classe déversé par la Marcronie. En tout cas, de telles saillies auraient donc pu assez logiquement attirer sur Roussel l’accusation de « populisme » dont la caste médiatique n’est jamais avare, du moins lorsqu’il s’agit de certains autres candidats de gauche. Mais… pas du tout ! Au contraire, nombre de commentateurs des chaînes d’information en continu se sont (temporairement) extasiés sur la « bonne campagne » de Fabien Roussel, insistant sur le caractère sympathique et populaire du candidat – il aime le vin et la viande (rouge) – valorisant les 4,5% d’intentions de vote atteints dans certains sondages (on était alors début 2022). Au point d’avoir quand même le sentiment d’en faire un peu trop et, finalement, de s’interroger sur l’origine et la signification du « phénomène Roussel ». Ou du « paradoxe Roussel » ? D’où des titres et des accroches assez semblables pour des médias aussi différents que France TV Info (« Fabien Roussel : une candidature qui plaît à droite »), La Voix du Nord (« Fabien Roussel, le candidat ’hype’ qui réjouit la droite »), Libération (« Fabien Roussel : idiot utile de la droite ou génie politique ») ou encore Le Parisien (« Fabien Roussel : le communiste qui plaît à la droite »). Ce dernier journal précise d’ailleurs : « De nombreux élus LR, mais aussi de la majorité, comme Gérald Darmanin, ne tarissent pas d’éloges sur le candidat PCF ».

Parmi ses remarques qui lui valent autant d’éloges, on peut également noter les références appuyées de Roussel à la laïcité, sans beaucoup de prudence vis-à-vis des multiples instrumentalisations dont celle-ci est l’objet. Roussel semble d’ailleurs privilégier une version de la laïcité très « Printemps républicain », lequel vient justement d’annoncer son soutien à Macron. En résumé, si l’on écarte les interprétations complotistes, reste une explication qui a le mérite de la simplicité : et si Roussel plaisait à la droite tout simplement parce qu’il dit (parfois)… des trucs de droite !

Depuis le lancement en fanfare de la candidature Roussel et ses premiers développements, l’affaire a quand même connu quelque couacs, dont la participation du candidat communiste à l’émission « Au tableau » où, devant des écoliers, il hésita longuement à classer Staline dans la case « camarade » ou « pas camarade », arguant que certes « il a été responsable de millions de morts dans son pays » mais aussi, reprenant la mythologie soviétique, qu’il « est celui qui a été le chef de guerre contre le nazisme ». Donc, plus de trente ans après la chute du Mur de Berlin et l’explosion de l’Union soviétique, le secrétaire général du PCF reste hésitant sur le bilan « globalement positif » – ou pas ? – du stalinisme.

Ca fait envie, non ?

François Coustal