La séquence électorale complète qui vient de se dérouler reflète bien la fin du cycle politique ouvert par les « Indignés », le mouvement du « 15M », les Marées… Ce cycle avait bouleversé l’ensemble du paysage politique en mettant en crise le régime issu de la Transition et en permettant l’émergence de Podemos puis un peu plus tard des confluences gagnantes dans des villes très importantes avec en particulier Madrid et Barcelone.
Si la crise politique est forte, avec, à droite un affaiblissement du PP dû au développement de Ciudadanos et à l’apparition de Vox, à gauche, une progression du PSOE, qui sans avoir retrouvé toute sa force, réussit à se situer dans les 30% alors qu’Unidas Podemos recule fortement et les confluences perdent plusieurs villes emblématiques.
Toutes les élections (municipales, autonomiques, législatives et européennes) viennent de se dérouler, les prochaines 4 années vont se dérouler sans élections, sauf crise bien évidemment. Les rapports de force électoraux sont donc stabilisés pour 4 ans.
Un PSOE déterminant
Nous devons comprendre pourquoi, alors que le PS s’effondre en France et recule significativement dans plusieurs pays européens, le PSOE est le grand vainqueur des élections espagnoles. L’idée la plus fréquente est que le PSOE a rompu partiellement avec l’austérité. Il est vrai qu’il y a eu une augmentation conséquente du SMIC, des avancées sur la question féministe et des déclarations de gauche, mais dire que le gouvernement PSOE sera un point d’appui dans la lutte contre le libéralisme et pour un regain de la démocratie (voir la loi « mordaza » intouchée et la décision de suspendre les députés catalans) serait aller bien vite en besogne.
Pour comprendre son succès, nous devons intégrer le fait que le PP, concurrent historique du PSOE, est un parti de corrompus et cela au plus haut niveau. Le PP a réussi le tour de force d’avoir, avant les élections, 12 ministres et 9 présidents de Région accusés ou inculpés pour corruption. La motion de censure qui a fait chuté le gouvernement Rajoy faisait suite à la condamnation du PP, en tant que tel, pour corruption. Ciudadanos s’est d’ailleurs dans une grande mesure construit, contre le PP, profitant d’une image de « parti propre ».
Autre élément est le faible niveau du mouvement social et de l’activité gréviste. La radicalité sociale est peu au rendez vous. Si le mouvement féministe est exemplaire et massif, le temps des « mareas » puissantes et du souffle du mouvement des indignés est passé. Dans cette situation, alors que le PP, Ciudadanos et bien sûr Vox se sont extrêmement radicalisés et réveillent les peurs du franquisme, le PSOE récupère un espace important.
La radicalisation de la droite suite à la crise catalane a atteint des sommets. A mesure que la corruption du PP se fait jour, l’Unité de l’Espagne est devenue l’étendard de leur politique avec le pendant de l’ennemi intérieur indépendantiste et les « traitres » comme Sanchez qui ne combattent pas suffisamment l’indépendantisme. LeL’article 155 de la Constitution qui permet de mettre une région sour la tutelle de Madrid, l’emprisonnement des élu-es et des militant-es catalans, les peines demandées de 25 ans, la suspension des député-es élu-es emprissonnés…. tout cela ne suffit pas. PP, Ciudadanos et Vox ont instauré un climat d’extrêmes tensions qui a d’ailleurs largement profité à Vox (surtout aux élections législatives en avril, un peu moins aux européennes et autonomiques en mai). Le PSOE est ainsi devenu un refuge démocratique dans un pays où le souvenir du franquisme n’est pas si éloigné.
Il reste au moins deux éléments que nous allons traiter : le retour d’électeurs de Podemos vers le PSOE et la constitution du futur gouvernement qui montre bien les limites du « tournant » à gauche.
PODEMOS à la croisée des chemins
Podemos a une histoire courte, de tout juste 5 ans. Le parti nait en 2014 dans une période d’effervescence politique et de montée des luttes. Depuis, le soutien de plusieurs dizaines de milliers de personnes et la percée électorale jusqu’au 20% semblent bien loin.
Nous devons chercher des explications à ce retournement de situation. Podemos a, dans un premier temps un profil « antisystème » pour reprendre l’expression espagnole. Tout d’abord, c’est la guerre éclair avec l’objectif d’arrivée au pouvoir en 2 ans et de changer radicalement le système. Ce scénario ne fonctionnera pas, Podemos ne renversera pas la table. Le deuxième scénario, après être arrivée tout juste derrière le PSOE avec 20%, sera le « sorpaso ». Là non plus, cela ne fonctionnera pas, Podemos ne passera jamais devant le PSOE. Touteois, nous sommes alors dans une situation où Podemos est puissant, avec Izquierda Unida ils ont un groupe de 71 député-es (sur 350), ils ont 5 députés européens et dans le cadre des « confluences » ils sont à la tête des principales villes du pays. Ce n’est pas rien !
Malgrè tous ces points positifs, le déclin va s’accélérer élection après élection. Nous pouvons envisager plusieurs raisons. Tout d’abord, le recul du mouvement social et la baisse de la conflictivité, le poids des échecs dans sa conquête rapide du pouvoir et son incapacité à passer devant le PSOE pour un réseau militant large basé sur internet, son électoralisme au détriment de la construction des cercles et du lien avec les acteurs sociaux, l’absence de vie démocratique interne et les nombreux changements d’orientation stratégique….
Evidemment la crise catalane en a rajouté. Pris en tenaille entre le bloc de l’unité de l’Espagne (PP, Ciudadanos, PSOE) et celui des indépendantistes, il n’a pas su ou pas voulu retrouver la bataille fédéraliste traditionnelle de la gauche contre la monarchie, pour la république et pour un état fédéral ou confédéral. Le prix à payer sera haut et en particulier la fin des confluences municipales. Pas de victoire éclair, pas de dépassement du PSOE, pas d’orientation prioritaire sur « ceux d’en bas », pas d’affrontement pour la république et la fin de la monarchie…. un recentrage va s’opérer et l’électoralisme va s’imposer.
Depuis plusieurs mois, l’unique orientation est d’entrerée dans un gouvernement du PSOE avec l’exigence d’avoir des ministres proportionnellement aux résultats électoraux (c’est-à-dire dans un rapport de force très défavarobable à Unidas Podemos). Alors qu’il y a peu le principal reproche fait à Izquierda Unida était sa participation à des gouvernements régionaux avec le PSOE, et que Podemos a éclaté en trois morceaux (courant Iglesias, courant Errejon, courant Anticapitalistas), ce nouveau tournant apparait comme une fuite en avant. Alors que l’option portugaise, un soutien au gouvernement depuis l’extrieure, n’est même pas envisagée. Et ce n’est pas le triste épisode de la mairie de Barcelone qui peut rassurer les plus combatifs (pour rappel, Ada Colau élue avec les voix du PSC et de Valls).
Podemos est donc à un moment crucial de son histoire et en zone de tempête. Affaibli à 10%, pourtant allié à IU dont il serait absurde de sous-estimer le poids, il n’est plus incontournable pour le PSOE. Le courant Errejon a réussi à écraser Podemos dans la Communauté autonomne de Madrid, obtenant presque le triple de voix, mais en l’absence de la popularité de Manuela Carmena, sa volonté de construire un nouveau parti à l’échelle de l’état apparait difficile Anticapitalistas s’est beaucoup autonomisé mais en l’absence de conflits sociaux d’ampleur, les limites pour une sortie de Podemos sont visibles comme en atteste l’élection municipale de Madrid ou la liste d’Anticapitalistas en alliance avec IU n’a obtenu que 2,6%.
Qu’attendre du gouvernement PSOE ?
Le vote pour la constitution du gouvernement espagnol se tiendra à la mi-juillet. D’ici là, le PSOE a deux questions essentielles à résoudre : un gouvernement avec qui et un gouvernement avec quelle majorité.
Le PSOE a écarté un gouvernement d’union de la gauche avec Podemos. Toute la discussion avec Podemos porte sur quelle place leur accorder dans le prochain gouvernement. Podemos, à l’inverse de la gauche portugaise Bloco et PC, veut des ministres et une vice présidence. A l’heure actuelle, le PSOE ne veut pas de Pablo Iglesias comme ministre et s’oriente plutôt vers des secrétariats d’État pour Podemos. Les tensions entre les deux sont fortes. Le PSOE veut pour l’avenir laisser la porte ouverte à Ciudadanos et donc ne pas se lier les mains avec Podemos. Nous verrons bien, si dans le cadre d’un gouvernement d’ouverture, des personnalités issues de la droite ou du centre sont présents dans le gouvernement. En tout état de cause, nous pouvons considérer que Valls est « disponible ».
L’autre question à résoudre est qui facilite par son vote la constitution du gouvernement. PSOE plus Unidas Podemos plus PNV (nationalistes basques de droite) ne suffit pas pour atteindre la majorité de 176 député-es requis.
Au nom de la raison d’état, le PSOE met la pression sur le PP et Ciudadanos, leur demandant de de ne pas voter contre mais de s’abstenir, afin de ne pas dépendre des voix des indépendantistes catalans et de EH Bildu (nationalistes Basques de gauche). Pour l’instant, ces deux partis se refusent à s’abstenir. Les indépendantistes, eux, n’ont aucun intérêt à faire tomber ce gouvernement pour se retrouver avec la droite accompagnée de Vox. Le plus probable est donc que les députés indépendantistes s’abstiendront. Ils permettront ainsi, au deuxième tour, qu’il y ait plus de pour que de contre et le gouvernement de Pedro Sanchez sera constitué.
Sur l’orientation de ce gouvernement, nous avons déjà des signes. Tout d’abord leur refus de constituer une coalition de gauche et préférer un gouvernement d’ouverture même si Podemos aura possiblement une place en tant que tel. Significatif aussi est la visite de Pedro Sanchez chez Macron dès son élection pour parler Europe et rapprochement. Croire à un tournant social, démocratique et antilibéral a toutes les chances d’être une illusion naïve.
Le futur gouvernement va avoir dès l’automne une épreuve majeure avec les peines prononcées contre les dirigeants politiques et associatifs catalans. Il devra décider que faire face à des peines de prison qui ont toutes les chances d’être fortes vu le procès et trouver une solution politique en Catalogne.
Francis Viguié – Pierre Marion. Le 23 juin 2019.