Nous avons entendu l’appel du Collectif Rosa Parks (1) porté par les héritières et héritiers de l’immigration coloniale, dénonçant la persistance du racisme structurel qui frappe notre société. Nous revendiquons d’être leurs alliés et de joindre nos forces aux leurs : le 30 novembre, d’une manière ou d’une autre, nous disparaîtrons. Et le 1er décembre, nous réapparaîtrons et marcherons à leurs côtés.
Que nous soyons nous-mêmes descendants d’immigrés ou non, nous estimons que leur combat est le nôtre : comme elles et comme eux, nous sommes excédés de vivre et travailler dans un pays qui prétend se flatter de porter l’étendard d’un humanisme éclairé – « liberté », « égalité », « fraternité » – et qui, dans les faits, persécute sans relâche les plus faibles, quand il ne les tue pas dans l’ombre d’un fourgon de police, réduisant ces beaux principes à des slogans creux.
Les violences et crimes policiers se succèdent dans l’indifférence des autorités qui devraient les sanctionner et qui, au contraire, tendent de plus en plus à donner toute licence aux appareils de répression. Les migrants hantent désespérément les zones d’où la police ne les a pas encore chassés, sans que les pouvoirs publics proposent d’autre solution que de les en chasser encore, plutôt que d’élaborer les conditions d’un accueil décent. Les discriminations à l’embauche, à la promotion, au logement, à la scolarisation, s’accentuent sans que les « grands » médias y prêtent attention et sans que les gouvernements cherchent à les affronter.
Ces discriminations sont trop persistantes et trop omniprésentes pour ne pas faire système et ne pas impliquer l’État, dans ses pratiques les plus ordinaires. Non seulement celui-ci s’arrange très bien de ce vaste saccage social, qui génère tant de souffrances quotidiennes, mais il ajoute à l’inégalité de traitement la violence de la répression, qui s’abat en premier lieu sur les immigrés et descendants d’immigrés non européens. En outre, les gouvernements successifs n’ont cessé d’alimenter les peurs et la haine susceptibles de maintenir la « menace d’un vote extrême » bien commode pour mobiliser massivement l’électorat en faveur des « partis de gouvernement » à chaque échéance où ils réclament d’être reconduits dans leurs mandats.
Ainsi se poursuit, décennie après décennie, la lente décomposition du tissu social, que les politiques d’austérité aggravent avec constance, au nom d’un prétendu équilibre budgétaire, lequel est dicté uniquement par les impératifs du marché, de la concurrence et du profit. Réforme après réforme, loi après loi, les services publics et le Code du travail sont démantelés, les contre-pouvoirs progressivement réduits à l’impuissance, les inégalités s’accroissent jusqu’à atteindre des niveaux monstrueux, et les classes populaires assignées à l’indignité de formes de vie de plus en plus dégradées et dégradantes.
Comme le souligne avec force le Collectif Rosa Parks, cette situation ne peut qu’être replacée dans un contexte plus vaste où les interventions militaires des grandes puissances économiques ne sont plus même interrogées et passent pour une évidence. Pourtant, la présence militaire et la logique guerrière de ces États reconduisent une domination sur des peuples qui en sont les premières victimes.
Cet état des lieux nous fait honte, comme nous fait honte la criminalisation de celles et ceux qui le dénoncent ou s’efforcent de le combattre. On voit trop bien quelle sinistre logique est à l’œuvre derrière ces dynamiques délétères : l’idée que certaines vies valent moins que d’autres. En nous joignant à la mobilisation des 30 novembre et 1er décembre, nous voulons affirmer que les vies des non-Blancs comptent, que toutes les vies ont un égal droit à la dignité et que le premier devoir de la société est d’assurer à chacune et chacun les conditions d’une existence digne.
Les membres du Collectif Rosa Parks ne disent pas autre chose ; aussi, nous disparaîtrons avec elles et avec eux le 30 novembre, nous marcherons à leurs côtés le 1er décembre, et nous vous invitons à vous associer, le plus nombreux possible, à cet appel.
Vendredi, 2 novembre, 2018. Texte collectif.
Premiers signataires : Clémentine Autain, députée FI, directrice de Regards, Ludivine Bantigny, historienne, Mehdi Belhaj Kacem, écrivain et philosophe, Miguel Benasayag, psychanalyste, collectif Malgré tout, Judith Bernard, metteure en scène et journaliste, Olivier Besancenot, NPA, Éric Beynel, Solidaires, Michel Bilis, conseiller PCF de Paris, Véronique Bontemps, anthropologue, Camille Brunel, écrivain, Emmanuel Burdeau, critique de cinéma, Manuel Cervera-Marzal, philosophe, Yves Citton, enseignant-chercheur, Éric Coquerel, coordinateur du PG, député FI, Annick Coupé, syndicaliste et militante d’Attac, Alexis Cukier, philosophe, François Cusset, écrivain et historien, Laurence De Cock, historienne, Christine Delphy, sociologue, Boubacar Boris Diop, écrivain, Cédric Durand, économiste, Annie Ernaux, écrivaine, Éric Fassin, sociologue, Bernard Friot, sociologue, Fanny Gallot, historienne, Isabelle Garo, philosophe, Franck Gaudichaud, politiste, François Gèze, éditeur, Cécile Gondard-Lalanne, union syndicale Solidaires, Fabienne Haloui, lutte contre le racisme et pour l’égalité du PCF, Samuel Hayat, politiste, Éric Hazan, éditeur, Florence Johsua, maîtresse de conférences en science politique, Nicolas Jounin, sociologue, Pierre Khalfa, Fondation Copernic, Razmig Keucheyan, sociologue, Stathis Kouvélakis, philosophe, Denis Lachaud, écrivain, Mathilde Larrère, historienne, Stéphane Lavignotte, pasteur, Sébastien Lepotvin, codirecteur du théâtre l’Échangeur, Frédéric Lordon, philosophe-économiste, Camille Louis, artiste dramaturge et philosophe, Henri Maler, philosophe, Philippe Marlière, politiste, Myriam Marzouki, metteure en scène, Mehdi Mokrani, adjoint au maire d’Ivry PCF, José Moury, conseiller municipal PCF de Bobigny, Dominique Natanson, militant antiraciste, Olivier Neveux, professeur d’études théâtrales, Albert Ogien, sociologue, Ugo Palheta, sociologue, Christine Poupin, NPA, Philippe Poutou, NPA, Nathalie Quintane, écrivaine, Laura Raim, journaliste, Jacques Rancière, philosophe, Sandra Regol, porte-parole d’EELV, Théo Roumier, Solidaires, Abdel Sadi, conseiller départemental PCF de Bobigny, Catherine Samary, économiste, Raphaël Schneider, réalisateur, Danielle Simonnet, coordinatrice PG, conseillère de Paris, Isabelle Stengers, philosophe, Jacques Testart, biologiste et essayiste, Julien Théry- Astruc, historien, Rémy Toulouse, éditeur, Enzo Traverso, historien, Maryse Tripier, sociologue, Marie-Christine Vergiat, députée européenne Front de gauche, Nicolas Vieillescazes, éditeur, Marie-Pierre Vieu, députée européenne PCF.
Appel du Collectif Rosa Parks :
Contre la gestion raciale des populations qui ne peut que provoquer la dislocation du lien social, voire injecter le poison de la guerre civile, NOUS, citoyens français, militants associatifs, politiques ou syndicaux, travailleurs, chômeurs, NOUS, Noirs, Marrons, Rouges, Jaunes, Gris, Blancs et pas très clairs, décidons de faire la grève de la France le 30 novembre et le lendemain, de célébrer une France de la justice et de la dignité, à l’appel le collectif Rosa Parks.
Fusillade à Beaune cet été faisant plusieurs blessés graves aux cris de « sales bougnoules, vous n’êtes pas chez vous ici » dans l’indifférence des autorités publiques et dans un climat où l’extrême-droite la plus virulente est de plus en plus décomplexée,
Recrudescence des violences et crimes policiers encouragés par l’état d’urgence et ciblant en particulier les habitants des quartiers,
Propagande de masse contre l’immigration post-coloniale accusée en vrac et sans discernement d’être une 5ème colonne à l’origine du désordre social dont le terrorisme, l’antisémitisme, le sexisme et l’homophobie seraient les caractéristiques fondamentales comme si le reste de la population en était vacciné,
Aggravation de toutes les formes de discriminations : à l’emploi, au logement, à l’éducation tant dans le public que dans le privé,
Chasse aux migrants et aux sans-papiers dans une Europe aux prises avec ses démons fascistes qui grâce aux renoncements et complicités des pouvoirs en place mais également des formations de gauche « nationales-républicaines », étendent leur emprise petit à petit faisant craindre le pire,
Une justice aux ordres, indulgente avec les puissants et impitoyable avec les faibles et un système carcéral à son image : surpeuplé et destiné aux pauvres et aux « métèques »,
Répression du mouvement social (Nuit debout, La Zad, manifestations contre le Loi Travail…) et criminalisation de l’antiracisme politique, de BDS et de l’antisionisme,
Gestion coloniale des territoires et département d’outre-mer
Enfin et surtout, poursuite des guerres impérialistes qui redoublent de férocité dans une période de forte compétition avec les nouvelles puissances régionales comme la Russie, la Chine, l’Iran ou l’Inde. Les vieilles puissances impérialistes effrayées par leur déclin mais toujours mues par leur appétit insatiable poursuivent leur infernal dessein : accaparer les richesses du monde et asservir les peuples provoquant guerres, famines et exodes forcés de populations. Dès lors, d’un côté, elles produisent les conditions d’où émerge et qui nourrissent le terrorisme ciblant cruellement les pays arabes et africains mais aussi les métropoles occidentales, et de l’autre, provoquent l’exil de millions de gens dont une infime partie vient frapper aux portes de l’Europe forteresse. En conséquence de quoi, celle-ci multiplie les lois, accords, dispositifs pour les empêcher de retrouver ici, une part de ce qui leur a été volé là-bas.
C’est un cycle infernal et mortifère dont personne ne sortira indemne car l’ultra libéralisme dont Macron, Trump, May, Merkel sont les chantres couplés à la logique des Etats-nations dont la mission principale est d’assurer l’ordre et le contrôle via entre-autres une gestion raciale des populations ne peuvent que provoquer la dislocation du lien social, voire injecter le poison de la guerre civile.
Pour toutes ces raisons, il nous faut :
NOUS, militants, habitants des quartiers, femmes et hommes des cités, étudiants, travailleurs précaires ou non, sans papiers, migrants…
NOUS, citoyens français, militants associatifs, politiques ou syndicaux, travailleurs, chômeurs
NOUS, Noirs, Marrons, Rouges, Jaunes, Gris, Blancs et pas très clairs
Réagir collectivement et de manière déterminée comme nous le propose le collectif Rosa Parks.
Ils ne veulent pas de Nous ? Ils ne peuvent plus nous voir en peinture ? Ils veulent nous voir disparaître comme par enchantement ? Exauçons ce vœu et disparaissons le 30 novembre de nos facs, de nos boulots, des réseaux sociaux, des grandes surfaces. Faisons la grève de la France pendant 24 heures.
Disparaissons le 30/11 le plus visiblement possible pour dire notre colère devant l’injustice et la hogra !
Et réapparaissons, plus visibles que jamais, le 1er décembre, jour anniversaire du « NON » de Rosa Parks, un « NON » de dignité réclamant la justice et l’égalité citoyenne. Un « NON » qui allait marquer le début du mouvement des droits civiques aux Etats-Unis et populariser la figure du célèbre pasteur Martin Luther King. Un « NON » qui allait marquer l’histoire américaine d’un souvenir indélébile.
Réapparaissons, le 1er décembre 2018, pour fêter le 35e anniversaire de la Marche pour l’Egalité et contre le Racisme de décembre 1983.
Réapparaissons le 1/12, visibles et ostentatoires, plus beaux et plus déterminés que jamais pour dire et réaliser nos espoirs de justice, et surtout notre refus absolu de la guerre civile en particulier et de la guerre en général.
Départ à 14h, Nation, Paris.
Rejoignez-nous, participez en signant sur le site !
Premiers signataires :
Norman Ajari (philosophe, université Toulouse Jean Jaurès),
Adel Amara (militant antiraciste),
Sihame Assbague (journaliste et militante antiraciste),
Ibrahim Bechrouri (doctorant à l’université Paris 8),
Farid Bennai (militant au FUIQP, Front Uni de l’Immigration et des Quartiers Populaires),
Mohamed Bensaada (militant du Syndicat des Quartiers Populaires de Marseille),
Aziz Bensadek (militant du FUIQP Marseille),
Hourya Bentouhami (maitresse de conférence, université de Toulouse Jean-Jaurès),
Amal Bentounsi (co-fondatrice du collectif Urgence Notre Police Assassine),
Wiam Berhouma (enseignante et militante antiraciste),
Said Bouamama (sociologue, membre du FUIQP),
Alima Boumediene Thiery (membre de Femmes Plurielles),
Youssef Boussoumah (membre du Parti des Indigènes de la République),
Houria Bouteldja (membre du Parti des Indigènes de la République),
Ismahane Chouder (militante féministe et antiraciste, membre de Participation et Spiritualité Musulmanes),
Raphaël Confiant (universitaire et écrivain martiniquais),
Rokhaya Diallo (journaliste et réalisatrice),
Elie Domota (LKP),
Nacer El Idrissi (membre de l’Association des Travailleurs Maghrébins de France),
Mireille Fanon Mendès-France (Fondation Frantz Fanon),
Ouissame Ghmimat (AMDH-Paris /IDF),
Kamel Guemari (délégué syndical FO Mac Donald, St Barthélémy, Marseille),
Nacira Guénif (professeure à l’Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis, militante décoloniale),
Rédouane Ikil (Liberté et justice pour Redouane Ikil),
Malika Hamidi (sociologue),
Anasse Kazib (cheminot, militant Sud-Rail),
Radouane Kebdi (président de Droit à la différence sans différence de droits),
Franco Lollia (porte-parole de la Brigade Anti-Négrophobie),
Madjid Messaoudene (élu en charge de la lutte contre les discriminations),
Marwan Muhammad (fondateur de Foul Express),
Saadane Sadgui (co-fondateur du MIB et des JALB / ANC, membre du CNDP),
Michèle Sibony (membre de l’UJP, Union Juive Française pour la Paix),
Anzoumane Sissoko (membre de la Coordination sans-papiers de Paris et du CISPM),
Omar Slaouti (enseignant et militant antiraciste),
Pierre Stambul (coprésident de l’UJFP),
Maboula Soumahoro (fondatrice du Black History Month),
Opal Tometi (co-fondatrice de Black Lives Matter),
Françoise Vergès (Théoricienne décoloniale, militante),
Sihem Zine (militante membre de l’ADM, Association de Défense des Musulmans)