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Depuis toujours, c’est comme ça que le Brexit devait se terminer !

Cette issue était inévitable. Le Brexit est utile à l’establishment parce qu’il fournit un récit permettant de trouver des coupables à blâmer pour des années de chute du niveau de vie – les étrangers – et essaie d’imposer ce récit comme celui du camp des vainqueurs de l’Histoire.

L’objectif réel, si vous interrogez n’importe qui ayant été en charge du Brexit, va beaucoup plus loin : attaquer les migrants, abaisser les salaires, déréguler l’économie et nous rapprocher de l’Amérique de Trump.

Quand les psychopathes qui animent la campagne pour la sortie de l’UE se sont emparés des clés du 10 Downing Street, le projet est passé à l’étape supérieure. Mais il n’existe aucune forme de Brexit – laissons de côté celle que veut Boris Johnson – qui nécessite un soutien majoritaire dans le pays ou au Parlement. Alors, évidemment, pour l’imposer, Johnson et son conseiller spécial Dominic Cummings doivent maintenant contourner la démocratie et faire la guerre à notre système libéral et démocratique, même si cette démocratie a des limites.

Le coup – la tentative de Johnson de suspendre le Parlement afin de passer en force son agenda de Brexit – est la conséquence finale du Brexit. Le Brexit dans sa vérité profonde. A défaut d’une politique qui combat les deux, on ne peut pleinement comprendre ni l’un ni l’autre.

Dans les rues, un large secteur de l’opinion publique britannique manifeste qu’il comprend parfaitement ce qui est en train de se passer. Les manifestation #StopTheCoup organisées par une coalition éphémère incluant Another Europe is Possible (dont je suis l’organisateur national), Momentum et le Parti Vert et soutenues par Jeremy Corbyn ont attiré des centaines de milliers de personnes dans les rues. Les manifestations ne sont pas anti-Brexit et sont explicitement ouvertes à tous ceux qui s’opposent au coup. Mais l’état d’esprit de la foule est assez clair. Ce sont des foules qui acclament les discours réclamant un second référendum et des frontières ouvertes. Le slogan « Pas de frontières ! Pas de nations ! Pas de déportations ! » a retenti parmi des foules de d’oriflammes bleus de l’Union européenne et de banderoles syndicales.

Pour la première fois depuis le référendum, le mouvement pour le maintien dans l’Union européenne et le mouvement ouvrier mobilisent explicitement sous le même drapeau et pour le même objectif. Il a fallu une crise constitutionnelle sans précédent pour que ces deux mouvements convergent. Ils auraient dû être alliés depuis toujours et, à la base, des militants se sont parfois organisés ensemble, malgré l’alliance impie entre les centristes sectaires et les partisans de gauche du Brexit qui leur expliquaient qu’ils devaient se haïr. Pour Another Europe is Possible et le reste de la gauche hostile au Brexit, l’euphorie liée à la construction d’un mouvement de rue résonne comme une justification de leur orientation, mais il faut rester prudent : toute cela peut se terminer en catastrophe.

Aussi important que la construction de ces protestations, il y a le fait qu’elles montrent des signes de radicalisation. Pour ceux d’entre nous qui se réclament de la gauche radicale, la désobéissance civile, l’action directe et la rupture font naturellement partie des tactiques que nous souhaitons voir se déployer. Nous avons retenue l’expérience amère de la période de la guerre en Iraq : les mouvements qui ne déploient pas ces tactiques radicales demeurent sans mordant, quels que soient leurs succès numériques. Pour les gens qui ont assuré le succès numérique des manifestations de Samedi dernier, bloquer des ponts et occuper des bâtiments officiels est quelque chose que l’on ne fait que lorsque les voies officielles et légitimes de protestation ont été épuisées.

Depuis le mouvement étudiant de 2010, il n’y a pas eu de démonstration aussi flagrante du fait que notre démocratie est inadéquate et que nos dirigeants politiques n’ont pas de comptes à rendre. C’est à cette époque que les Libéraux Démocrates qui avaient promis d’abolir les droits d’inscription ont, à l’inverse, voté en faveur de leur triplement et de l’abolition des bourses universitaires pour les étudiants pauvres. Aujourd’hui, un Premier Ministre qui n’a pas été élu essaie de suspendre le Parlement parce que ce dernier pourrait être en désaccord avec lui.

Venant après le réveil du mouvement Extinction Rebellion et une formidable campagne de débrayages contre le changement climatique menée par les lycéens, la crise constitutionnelle a créé les conditions d’un mouvement qui peut rendre le pays réellement ingouvernable. Cela donne l’impression d’un mouvement social explosif, y compris avec des aspects vraiment extraordinaires que l’on ne rencontre que dans les grands mouvements.

S’il y a cinq ans, vous m‘aviez dit que je serai aux abords de Downing Street à interrompre le discours du Premier Ministre, sous la conduite de Paul Mason, en scandant des slogans comme « votre suspension, vous pouvez vous la mettre dans le … », probablement que je ne vous aurais pas cru… et que je n’aurai même pas su ce que voulait dire « suspension ». Et pourtant, cela s’est produit hier soir !

Depuis l’émergence du corbynisme en 2015, le rôle des mouvements sociaux avait été totalement mis en sourdine. Le transfert de dizaines de milliers de militants vers le Parti travailliste avait signifié que bien plus de temps était consacré au lobbying téléphonique en vue de l’élection du Comité Exécutif National travailliste qu’à organiser les mouvements de résistance contre l’austérité. Une grande partie de la génération qui a passé sa jeunesse à maudire les hommes politiques et la politique traditionnelle atteint maintenant la trentaine et s’investit dans une défense vigoureuse de la direction travailliste. Le mouvement travailliste a glissé à gauche, mais il est dans un état terrible sur le plan organisationnel. Les dernières années qui viennent de s’écouler ont connu le plus bas taux de grève depuis la fin du XIX° siècle, lorsque l’on a commencé à enregistrer ces données statistiques, alors que l’on se trouve dans une période d’attaques constantes contre les travailleurs. Si le coup continue, peut-être que, finalement, la nouvelle gauche travailliste va reprendre la rue.

Naturellement, Dominic Cummings va dire que c’est exactement ce qu’il souhaitait : la canaille dans la rue contre la force et la tranquillité incarnée par les anciens d’Eton qui savent exactement quelle fourchette il faut utiliser pour chaque plat servi. Mais le pouvoir des mouvements sociaux est qu’ils peuvent entrer en résonnance auprès d’électeurs improbables. Les mouvements de masse donnent confiance aux gens et transforment des supporters passifs en militants. Ils rassemblent les gens dans l’action. S’il y a une élection anticipée, le Parti travailliste doit obtenir le soutien des électeurs partisans de rester dans l’Union européenne. Avoir une politique correcte est essentiel, mais numériquement et symboliquement, rassembler les deux groupes peut également s’avérer déterminant.

Boris Johnson l’a appris hier soir lorsque sa déclaration a été huée par la foule pourtant polie rassemblée à l’extérieur : il peut très bien de pointer du doigt la canaille et de prétendre qu’elle représente une menace contre tout gouvernement raisonnable. Mais quand cette foule est composée de gens qui n’auraient jamais imaginé ce qui est en train de se passer et que c’est Boris Johnson qui plonge le pays dans la crise constitutionnelle, alors ça ne colle plus ! Et les slogans qu’ils scandent le fragilisent…

Michaël Chessum. Article publié le 4/09/2019 sur le site de Socialist Resistance. Traduction : François Coustal.

http://socialistresistance.org/this-is-always-how-brexit-was-going-to-end/17946