L’assassinat raciste de Georges Floyd a relancé aux Etats Unis mais aussi en Europe la question des anciens esclavagistes et autres colonisateurs honorés par des noms de rues et/ou des statues.
À Périgueux comme à Excideuil, l’honneur fait au Maréchal Bugeaud doit être mis en question.
Il faudrait, nous dit-on, donner la parole aux historiens ? Ils l’ont prise et les faits sont établis.
Non seulement Bugeaud a été comme bien d’autres sabreurs de son siècle un colonisateur de l’Algérie, mais il a été un maître de la politique de la terre brûlée. Ce n’est pas une image ! Pour Bugeaud, il s’agit « d’empêcher les Arabes de semer, de récolter, de pâturer (…) de jouir de leurs champs . Allez tous les ans (disait-il en juin 1845 à ses officiers partant en « mission ») leur brûler les récoltes (…) ou bien exterminez les jusqu’au dernier (…). Si ces gredins se retirent dans leurs casernes, imitez Cavaignac aux Shébas ! Fumez-les à outrance comme des renards. »
Appliquant fidèlement ces consignes, le colonel Pélissier n’hésite pas à asphyxier plus de 1000 hommes, femmes et enfants de la tribu des Ouled Riah qui s’étaient réfugiés avec leur bétail dans une grotte du Dahra, près de Mostaganem.
C’était les 18, 19 et 20 juin 1845, il y a 175 ans jour pour jour, terrible anniversaire !
« À l’entrée gisaient des bœufs, des ânes, des moutons (…). Parmi ces animaux et entassés sous eux, se trouvaient des femmes et des enfants. J’ai vu un homme mort, le genou à terre, la main crispée sur la corne d’un bœuf. Devant lui était une femme tenant son enfant dans ses bras… »(1)
Le massacre bouleverse et indigne à Paris et dans toute l’Europe, mais le Gouverneur Général de l’Algérie, le maréchal Bugeaud, loin de condamner son subordonné, le soutient et assume ce crime de guerre :
« Fallait-il que le colonel Pélissier se retirât et abandonnât la partie ? Aurait-il dû attaquer de vive force ? Se résigner à un simple blocus, qui pouvait durer 15 jours, c’était perdre un temps précieux pour la soumision du Dahra. Après avoir pesé ces diverses parties, il se décida à employer le moyen qui lui avait été recommandé par le Gouverneur Général pour les cas d’extrême urgence.(…) Les répressions énergiques produisent les mêmes effets chez tous les peuples, dans la guerre ordinaire, dans la guerre civile, dans les émeutes. Il vaut mieux pour la politique et pour l’humanité frapper fort une fois que de frapper souvent… »(2)
Pour le politologue et historien Olivier le Cour Grandmaison, « Bugeaud est le théoricien et le praticien d’une guerre qui doit être qualifiée de totale puisqu’elle débouche sur l’effondrement de deux distinctions majeures, liées entre elles et constitutives des guerres réglées, comme on les nomme alors. La distinctions entre civils et militaires, destinée à préserver autant que faire se peut les premiers de la violence des combats, et celle entre sanctuaire et champ de bataille, indispensable pour permettre aux populations de trouver refuge en des lieux qui doivent être épargnés par les affrontements. » (3)
« Ense et aratro » (par l’épée et par la charrue), sa devise, a fait de Bugeaud un précurseur de la révolution nationale, ce qui a évité à sa statue périgourdine d’être fondue en 1941 comme celle de Daumesnil, ainsi sauvée par un autre maréchal, Pétain, dont on a débaptisé toutes les rues.
Que disent Périgueux et Excideuil à leurs enfants et à leurs visiteurs en faisant de Bugeaud un de leurs héros, en leurs centres ? S’il s’agit de faire œuvre éducative, que ces statues soient rangées au musée !
Que les Périgourdins qui partagent cet avis se regroupent sans tarder.
Contact : Bernard Collongeon
Mail : bernard.collongeon2@laposte.net
(1) Extrait d’une lettre adressée à sa famille par un soldat de la colonne Pélissier, cité par P. Christian in L’Afrique française, Paris, 1846
(2) Extrait du Moniteur Algérien, journal officiel de la colonie du 15 juillet 1845
(3) Olivier Le Cour Grandmaison, Coloniser. Exterminer : sur la guerre et l’État colonial, Paris, Fayard, 2005, cité in Guide du Bordeaux colonial et de la métropole bordelaise, Paris, Syllepse, 2020.