Paris, Lyon, Marseille, la Rochelle, Nimes, Saint-Etienne, des dizaines de milliers de personnes ont défilé contre la loi Immigration le 14 janvier à l’appel de plus de 400 collectifs et organisations. Derrière les premiers concernés, les collectifs de sans-papiers, il y avait la marche des solidarité, Droit Devant, la LDH, Attac, la FSU, Solidaires, mais aussi la France Insoumise, les Ecologistes et l’ensemble des organisations de gauche radicale.
Le 14, ce sont donc les premiers concernés, les collectifs de soutien, et même quelques lycées mobilisés autour de leurs enseignant·es qui ont constitué le cœur de la mobilisation. Et pour la première fois depuis longtemps, des gens non organisés, qu’on ne voit pas dans les actions de solidarité étaient présents en nombre dans la rue pour exprimer eux aussi leur colère contre cette loi. C’était donc une réussite au regard des mobilisations de ces dernières années mais ce n’était pas le raz-de-marée qu’il aurait fallu pour renverser la table.
Le 21 janvier, une autre journée de mobilisation est organisée à l’appel de 201 personnalités avec les représentants des principaux partis de gauche de Olivier Faure du PS à Manuel Bompard de la France Insoumise en passant par Marine Tondelier des Ecologistes, les représentants des principales centrales syndicales (Sophie Binet de la CGT, Marylise Léon de la CFDT…) mais aussi des artistes comme Josiane Balasko, des écrivains comme Patrick Chamoiseau ou l’ancien Défenseur des Droits , Jacques Toubon.
Et d’autres dates de mobilisations sont dors et déjà programmées, notamment le 25 janvier, date à laquelle le Conseil Constitutionnel doit rendre son avis, ou le 3 février.
La loi immigration, un moment de bascule
L’heure est grave en effet. Nous vivons un moment de bascule. Certes cette loi s’inscrit dans une dynamique de durcissement du droit des étrangers qui a été réformé 18 fois entre 19966 et 2021 et 29 fois depuis 1980. Mais cette 30ème loi depuis 1980 risque de graver dans le marbre la préférence nationale déjà sous-jacente dans certaines lois passées.
Fin de l’acquisition automatique de la nationalité française à 18 ans pour les enfants nés en France de parents étrangers, limitation du regroupement familiale, exclusion de l’hébergement d’urgence des sans-papiers visés par une obligation de quitter le territoire le français, durcissement de l’accès aux titres de séjour, rétablissement du délit de séjour irrégulier, conditionnement des prestations sociales à 5 ans de présence régulière en France (30 mois pour les étrange·e·s qui travaillent) ….l’énumération des mesures donne la nausée.
Désormais pour bénéficier de l’APL, des allocations familiales ou de l’allocation personnalisée d’autonomie, le demandeur devra attester, sauf dans certains cas, de 5 ans de résidence sur le territoire français.
Comme l’a très justement précisé l’économiste Michael Zemmour, ces mesures « sont des ruptures sur le plan des principes avec les fondements de la Sécurité sociale, et empruntent à l’extrême droite. Leur portée est loin d’être symbolique : le texte appauvrirait délibérément de nombreuses familles et leurs enfants. »
Et c’est sans compter sur la promesse faite par les « macronistes » à la droite et à l’extrême-droite de réformer l’Aide Médical d’Etat en durcissant l’accès aux soins pour les sans-papiers dans la droite ligne du durcissement des conditions d’admission au séjour des personnes malades alors même que ce motif d’immigration ne concerne que 1.5 % des titres délivrés.
Cette loi au-delà de la remise en cause des principes d’égalité aura des effets très concrets non seulement sur les sans-papiers mais aussi sur les millions d’immigrés qui vivent en France légalement. Elle jettera dans la misère et parfois même à la rue des milliers d’immigrés qui jusqu’à présent arrivaient difficilement à joindre les deux bouts avec leurs salaires de misère.
« Une incontestable victoire idéologique » du RN
Ce sont les mots exacts d’une Marine Le Pen qui peut tout sourire parader, le RN ayant d’ailleurs sans surprise voté la loi à l’unanimité de ses 88 députés. Et iels ont raison de crier victoire vu que cette loi est le copié-collé de leur programme historique. Eric Ciotti et la droite LR se sont contentés de tenir le stylo, les yeux rivés sur le programme du RN. Non content de copier l’original, les Républicains cherchent à le grand-remplacer pour que LR apparaisse comme plus crédible encore que le RN… pour appliquer le programme du RN.
Macron en voulant à tout prix clôturer l’année 2023 par le vote de la loi immigration est même allé jusqu’à diviser sa propre majorité, certains « macronistes » qui avaient jusqu’ici suivi les outrances de Darmanin sans broncher ayant trouvé que cette fois ça allait vraiment trop loin.
Contrairement à ce que certains macronistes ont fait mine de croire jusqu’ici, à force de faire du RN modéré, loin d’affaiblir le RN, Macron finit par faire du RN tout court.
Le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella sort de la séquence renforcé et légitimé un peu plus dans un contexte international où les mouvements d’extrême-droite ont le vent en poupe en Europe et dans le monde.
L’extrême-droite a réussi à imposer ses mots et sa représentation de la société française à rebours du réel. L’envahisseur et le colon d’hier devient l’envahi et le colonisé d’aujourd’hui, et le colonisé d’hier devient le colon d’aujourd’hui qui submerge la « métropole » et « grand remplace » sa population.
Grand-remplacement, submersion migratoire, racisme anti-blanc, les fake news répandus par l’extrême-droite saturent les représentations que peuvent avoir les Français·es sur les exilé·es et leur place dans la société française. Le gouvernement et les médias plutôt que de donner les vrais chiffres de l’immigration plus faible que dans les pays voisins crédibilisent les mensonges de l’extrême-droite.
Mais au-delà des mensonges, il faut surtout déconstruire les représentations figées et identitaires de la société française héritées du colonialisme et de l’esclavage de la société française. Non, la France n’est pas un pays blanc, chrétien condamnée jusqu’à la fin des temps à ne concevoir ses rapports avec le Sud global que dans une logique de domination et de traiter les exilé·es qui en viennent comme s’iels lui posaient par leur nombre ou même par leur existence même un problème existentiel. Répondre à l’extrême-droite, ce n’est pas uniquement donner les vrais chiffres comme s’il fallait rassurer sur le fait qu’il n’y a pas trop de réfugiés et que les blancs ne vont pas être « grand-remplacés ». Répondre à l’extrême-droite c’est aussi décoloniser nos représentations, déconstruire les rapports sociaux racistes qui continuent de structurer nos vies. De fait, la loi immigration cherche à préserver le statu quo « racial » que certains jugent menacé par une immigration post coloniale.
Un réveil des consciences salutaire ?
Mais résister, c’est aussi prendre en compte le rapport de force concret. A l’heure ou l’extrême-droite tape à la porte du pouvoir et que son programme fait le tour des plateaux télés et des ministères, l’urgence est d’arriver à construire un front large contre la loi immigration en s’appuyant sur le choc salutaire créé par le vote de cette loi.
C’est donc très bien que 32 conseils départementaux de gauche se soient engagés à rentrer en résistance contre la loi immigration. Même si le compte n’y est pas encore. Pour prendre le maquis, Il faut aller au-delà du simple refus d’appliquer les nouvelles conditions fixées pour le versement de l’allocation personnalisée. L’urgence vitale pour les réfugié·es c’est aussi l’accès à l’hébergement d’urgence et aux distributions alimentaires. Jusqu’à quand les départements refuseront de prendre en charge les mineurs étrangers (les Mineurs Non Accompagnés) quand ils sont en recours en minorité ?
L’unité la plus large à gauche contre la loi immigration est nécessaire pour s’opposer à la fois aux macronistes, à la droite LR et aux extrême-droite. Pour cela il faut éviter que les divisions qui sont apparues entre les initiateurs des mobilisations du 14 janvier et celles du 21 janvier s’élargissent.
Les 201 signataires de l’appel du 21 janvier ont tout intérêt à s’appuyer sur les mobilisations du 14 janvier en plaçant au cœur des mobilisations contre la loi immigration la dénonciation explicite du caractère raciste de la loi immigration et de la politique d’accueil. C’est à la fois par en bas et par en haut que ces mobilisations doivent se construire, en partant des réseaux de solidarité locaux qui se développent et des initiatives communes lancées par les grandes organisations syndicales et politiques.
Le réveil des consciences provoqué par le choc du vote de cette loi immigration peut permettre de rouvrir les possibles. C’est le moment de multiplier les initiatives unitaires. Les discussions sur des initiatives communes le 25 janvier, jour de la décision du Conseil Constitutionnel et le 3 février vont dans ce sens.
Cette loi nous concerne toutes et tous. Ce n’est pas uniquement par solidarité avec les exilé·e·s que nous devons nous mobiliser mais pour défendre le principe même d’une société régie par les idéaux de justice et d’égalité des droits pour toutes et tous.
Laurent Sorel