A peu de choses près, tout le monde admet que le changement climatique est en cours. A la Gauche écosocialiste, la question écologiste et la rupture avec le système capitaliste vont de pair. Qu’est-ce que cela peut signifier concrètement sur le terrain. Nous avons interrogé Nicolas, travaillant dans le cadre de la maintenance Bâtiment d’une grande société de transport, syndicaliste, mais également auto-constructeur en milieu urbain.
Comment les épisodes caniculaires modifient ta façon d’envisager les constructions et rénovations en milieu urbain ?
Lors d’une précédente expérience professionnelle j’étais dans une coopérative Bâtiment orientée « éco-construction », avant donc les premiers épisodes caniculaires, l’aspect écologique dans toutes ses formes était présent.
Lorsqu’on parle d’économies d’énergie, on pense souvent à celles liées au chauffage, donc on commence par réfléchir à la façon de ne pas consommer. Dans tous milieux et tous habitats, la première tâche est de penser à la meilleure isolation possible. Bien souvent dans le milieu de la construction, la question des températures caniculaires ne sont jamais posées, si ce n’est pour préconiser l’installation de système de climatisation. Or, cela contribue tout simplement à réchauffer l’air ambiant et augmenter les températures. Proposer que tous aient accès à la climatisation, c’est comme proposer que chacun d’entre nous disposent de véhicules ultra-polluants. C’est une solution de facilité immédiate qui contribue à nous faire griller plus tard avec la planète !
Il y a quelques années, certains défendaient que tous devaient avoir accès aux meilleurs équipements, ce qui constituait une boussole politique. Je défends au contraire qu’il faut envisager des solutions à l’échelle d’un foyer ou d’un quartier en cohérence avec des logiques collectives dont l’objet central est la réduction de la consommation d’énergie. C’est vrai en toutes saisons et pour toutes températures !
Quelles solutions adaptées au plus grand nombre proposes-tu de mettre dans le débat ?
Construire et rénover de façon écologique, c’est d’abord faire des choix multiples : choix de matériaux, filières et mode de fabrication anticipation sur la déconstruction…
Par exemple, le polyuréthane est légèrement plus isolant que la laine de bois, mais son empreinte pour la planète justifie que nous l’interdisions dans le cadre de la rénovation pour lui favoriser la filière végétale (chanvre, bois) ou animale (laine de mouton, etc.).
Pour se protéger des grandes chaleurs, je choisis, avec la fibre de bois par exemple, un matériau dont le déphasage est plus long, c’est-à-dire une capacité à faire un barrage à la chaleur plus long dans le temps.
En privilégiant la filière végétale pour mes isolations, je favorise une production plus responsable. Néanmoins, ma cohérence m’oblige à regarder d’où vient et comment est produit ma laine de bois. Par exemple, si mon bois a voyagé du bout du monde, je suis victime d’une contradiction que je choisis ou pas d’assumer. Tout est affaire de compromis dans un système capitaliste dont je suis tributaire en bout de chaîne.
Une fois qu’on a évoqué des solutions techniques, il reste quand même un aspect de taille : comment tu finances des projets qui doivent être relativement coûteux ?
Ah ! L’argent ! Le nerf de la guerre – y compris de la guerre de classe – …
C’est vrai que construire ou rénover une habitation peut rapidement représenter une certaine somme.
Quoique tout n’est pas forcément ultra-coûteux, l’exemple le plus parlant est celui de celles et ceux qui choisissent d’isoler avec des bottes de paille, mais il faut disposer de place pour placer une isolation de 40/50 cm d’épaisseur sur toute sa maison… Quoiqu’il en soit, il existe des solutions faciles d’accès financièrement dans certains cas, mais ça reste assez marginal.
Pour la majorité des cas, il existe cependant des aides, distribuées via l’Agence Nationale de l’Amélioration de l’Habitait (ANAH), elles sont estampillées depuis un certain temps sous l’appellation « MaPrimRénov ». Ça peut-être un sacré coup de pouce, j’en ai bénéficié à l’époque du début de mon projet de rénovation, ça m’a permis de financer la moitié des huisseries que j’ai remplacées (simple vitrage contre double vitrage) et la moitié de la chaudière à granulés de bois en remplacement d’une vieille chaudière à gaz.
Il existe également des prêts à taux 0% par exemple qui permettent le financement de travaux parfois importants, techniques et coûteux.
Mais ces dispositifs, les aides en particulier, questionnent car ils restent mis en œuvre dans le système capitaliste. L’aspect écologique étant un moyen, vers l’objectif qui reste toujours le même : le profit…
Du coup, quelles réformes anticapitalistes penses-tu nécessaire pour améliorer les conditions de ton activité ?
En attendant de gouverner par les besoins, c’est-à-dire de décider collectivement de ce que nous produisons ou non, des solutions intermédiaires peuvent intéresser les moins riches d’entre nous.
Au sortir de la seconde guerre mondiale, le mouvement des Castors a permis à de nombreuses familles d’auto-construire leur logement, individuels ou collectifs, avec peu de ressources.
L’objet de ce mouvement était de mutualiser les expériences, les compétences, l’outillage et de centraliser des commandes pour réduire les coûts. Ce modèle pourrait être, à certains endroits, réactualisé. Il permettrait de descendre les coûts intermédiaires de la distribution et, pourquoi pas, s’adosser à de petites unités de production de matériaux biosourcés.
Sur les aides financières : elles sont conditionnées au fait que les travaux soient exécutés par des professionnels – en auto-construction : pas d’aides -, sans demandes de garantie particulières sur leur réelle conviction écologique des entreprises qui effectuent les travaux (et on voit par ailleurs parfois des devis gonflés parce les entrepreneurs savent que leurs clients bénéficieront de ces aides) : renforcer les cahiers des charges des entreprises dans le secteur de la construction ? Privilégier les coopératives ?
Par ailleurs, es aides sont soumises au fait de ne pas dépasser un certain niveau de revenu et les paliers seraient sans doute à revoir, pour pouvoir augmenter le nombre de bénéficiaires, pour là aussi aller réellement vers un objectif écologique cohérent.
Plus loin, c’est toute la question du mode de production qui est à revoir. C’est bien pour cela que j’assume que mon activité d’auto-construction à une composante politique d’opposition au système capitaliste. Une composante qui ne demande qu’à être mise en synergie avec toutes les autres pour inventer un nouveau système de production et de consommation qui mette fin au productivisme qui nous fait tant de mal.
Mais, en attendant, des centaines de milliers de famille vivent dans des logements surchauffés l’été et surconsommateurs l’hiver. Qu’est-ce que tu penses de cette réalité ?
Si les écosocialistes étaient au pouvoir, nous commencerions par utiliser l’argent du profit des capitalistes de la construction pour un grand plan d’isolation des logements collectifs. La filière bois n’y suffirait probablement pas, mais il y a également d’autres solutions ; mais là encore, l’urgence impose des compromis.
Dans un second temps, un large consensus peut exister pour repeindre des kilomètres carrés de toiture et de murs en blanc, pour développer des canopées artificielles en attendant le reboisement des villes.
Dans ma ville, de la banlieue Est parisienne, dont la piscine municipale a été fermée pendant dix ans pour construire à sa place un complexe aquatique en partenariat-public-privé, les enfants des ensembles collectifs faisaient sauter les bouches à incendie, et qui pourrait leur en vouloir ? Est-ce que ce serait si compliqué d’intégrer à la politique urbaine des espaces de fraîcheur et d’humidité dont les quartiers plus aisés disposent ? Toujours chez moi, pour 100 000 habitants, 11 points de brumisation temporaires ont été installés, soit un pour 10 000, rarement dans les endroits les plus fréquentés. Comme nous avons été capables de créer des centaines de milliers de places de parking, ne pourrions-nous pas imaginer ces installations par milliers ?
Certaines villes ont aussi décider de « dégoudronner » certains espaces. Ces propositions contribuent à rafraîchir nos villes, et, si nos chaussures sont plus sales en temps de pluie, nous gagnons aussi en réduisant les risques d’inondations en regagnant sur les surfaces imperméabilisées.
Si depuis l’Abbé Pierre, nous avons beaucoup pensé à protéger nos congénères des grands froids, il est temps de penser maintenant à nous protéger des grands chauds. Nous allons avoir besoin de l’expérience des pays plus chauds dans une perspective globale de réduction de nos consommations : et là aussi les exemples ne manquent pas… Des maisons grecques toutes blanches aux habitations africaines en terre crue, en passant par des pays qui pour des raisons d’isolement et de crise de leur modèle économique ont dus, par la force des choses et de leur peuple, rationner l’électricité – ou se passer de nombreux insecticides et pesticides dans un autre registre, mais cela reste dans le sujet – et ne s’en portent pas plus mal…
Propos recueillis par Sébastien Ville.