La conférence annuelle (note 1) du Parti travailliste (Grande-Bretagne) s’est tenue fin septembre. Jeremy Corbyn a, à nouveau, renforcé da position au sein du parti. Après l’élection de Corbyn comme chef du Parti en septembre 2015 puis sa réélection un an plus tard, c’est une nouvelle défaite pour l’aile droite du Parti travailliste, particulièrement influente au sein du groupe parlementaire et de la bureaucratie syndicale (note 2). Cet épisode est d’autant plus significatif qu’il vient après une campagne extrêmement violente, menée par les Conservateurs, la droite du Parti travailliste et les grands médias qui contestent depuis le début la légitimité de Corbyn. Au cours de l’été, des accusations répétées d’antisémitisme ont conduit la direction du parti travailliste a clarifié sa position en faisant sienne la définition de l’antisémitisme portée par l’Alliance Internationale pour la Mémoire de l’Holocauste, tout en précisant dans un communiqué que cette décision ne « diminuera d’aucune façon la liberté d’expression sur Israël ou les droits des Palestiniens ».
Un autre sujet au cœur des discussion a été la position à adopter vis-à-vis du Brexit. C’est là un sujet qui divise profondément le Parti travailliste (note 3). Lors du référendum qui a adopté le Brexit, le Parti travailliste s’était prononcé pour le maintien dans l’Union européenne. Par la suite, la droite de ce parti a beaucoup reproché à Jeremy Corbyn de ne pas s’être réellement investi dans la campagne et de ne pas avoir porté la position « officielle » du parti avec beaucoup de conviction. Aujourd’hui, la discussion s’est déplacée sur le fait de savoir s’il faut soutenir la proposition d’un nouveau référendum à propos du relevé de conclusions des négociations entre le gouvernement de Theresa May et l’Union européenne. Les partisans du maintien dans l’UE font valoir la nécessité démocratique de consulter la population sur le résultat des négociations, mais ne cachent pas leur volonté d’en faire un second référendum destiné à invalider le résultat du premier ! Au final, la conférence du Parti travailliste a adopté une position prudente, n’excluant aucune hypothèse, mais insistant sur le fait que la solution à la crise politique née du Brexit réside dans la tenue d’élections législatives anticipées et un changement de gouvernement et de politique plutôt que dans un nouveau référendum sur l’UE.
Dans cette perspective – la tenue de nouvelles élections – le plus important est naturellement que la conférence du Parti travailliste ait réaffirmé son tournant à gauche, sa volonté de rupture avec les politiques d’austérité et de privatisations et ait affiné des propositions radicales sur les principales questions sociales. Ces choix sont d’autant plus significatifs qu’ils sont ceux d’un parti doté d’une assisse populaire importante et, surtout, en progression constante depuis l’accession de Jeremy Corbyn à sa direction : en trois ans, le nombre d’adhérents est passé de 200.000 à plus de 500.000 ! Accessoirement, « l’expérience Corbyn » montre l’extrême diversité que prennent, selon les pays et les traditions politiques, les aspirations à des politiques de rupture avec l’austérité et de transformation sociale.
François Coustal.
Afin de compléter ces commentaires, voici la traduction de « Corbyn triumphant at Labour Conference », un article de Veronica Fagan publié sur le site de Socialist Resistance.
http://socialistresistance.org/corbyn-triumphant-at-labour-conference/13263
Toutes les notes sont du traducteur.
Congrès du Parti travailliste : un triomphe pour Jeremy Corbyn
A l’issue d’un été où Jeremy Corbyn avait subi des attaques au vitriol venant de la droite au sein du Parti travailliste et dans les médias, la conférence annuelle de ce parti a été son triomphe. Les engagements exprimés à la tribune tout comme les décisions prises par les délégués sur des sujets cruciaux vont déboucher sur un Manifeste pour les prochaines élections législatives qui sera encore plus radical que le précédent, lequel avait déjà eu un impact positif en 2017.
En ce qui concerne la santé, le logement, l’éducation, la protection sociale, les nationalisations, la lutte contre le racisme, la fermeture de deux centres de rétention pour migrants, la solidarité avec la Palestine et bien d’autre sujets, la conférence a débouché sur un programme impressionnant, anti-austérité, antiraciste et internationaliste. Le programme économique du Parti travailliste prévoit une réorientation des investissements qui se déplaceraient de Londres et du Sud-Est en direction des zones laissées pour compte de Grande-Bretagne.
Les propositions venaient parfois du Cabinet fantôme, comme l’engagement bienvenu de refondre complètement le système de Sécurité sociale en cas de victoire travailliste : cet engagement fait suite aux très nombreuses interventions des délégués réclamant l’abolition de « l’allocation universelle » (note 4). Dans d’autres cas, la conférence a rectifié les formulations vagues issues du groupe de travail sur le programme, comme par exemple la suppression (et non le simple gel) de la sélection dans les écoles primaires. Sur d’autres sujets encore, la conférence a repris à son compte les avancées de gauche acquises lors de la conférence précédente, comme par exemple la consultation obligatoire des locataires lors des opérations de rénovation, une exigence qui ne figurait plus dans le projet.
Alors qu’il n’y a pas eu de discussion sur l’environnement, le discours de Jeremy Corbyn comporte quelques engagements-clé en matière de changement climatique notamment la transformation des sources d’approvisionnement énergétique avec la création de plus de 400.000 emplois verts hautement qualifiés afin de réduire de 60% les émissions de gaz à effets de serre d’ici 2030 et leur élimination totale au milieu du siècle.
La droite du Parti a été remarquablement absente. Leur réunion tenue en marge de la conférence n’a connu qu’une faible assistance. Elle n’a eu qu’une influence limitée parmi les délégués et, à la différence des années précédentes, il n’y a eu aucun mouvement de foule vers la sortie au moment du discours de Jeremy Corbyn.
Momentum (note 5) a organisé un meeting en marge de la conférence. Intitulé « Transformer le Monde », ce meeting a été un vrai succès, avec 6000 participants, en très grande majorité des jeunes (note 6). L’influence de Momentum sur la conférence elle-même a été plus contradictoire : ses partisans n’ont pas réussi à avancer des propositions significatives en matière de fonctionnement du Parti. Cette faiblesse tout comme l’absence de démocratie authentique au sein de Momentum a conduit de nombreux militants de la gauche à se demander si cela valait le coup de soutenir durablement cette structure. Mais Momentum constitue toujours une machine électorale efficace. C’est le drapeau sous lequel s’organise la gauche, dans bien des localités et la structure à travers laquelle les jeunes générations ont afflué au Parti travailliste. La question serait plutôt de construire des liens plus forts entre les militants qui construisent sur le terrain, comme l’a fait le groupe de Momentum à Camden cet été en appelant à un meeting pour répondre aux fausses accusations d’antisémitisme lancée par le Comité Exécutif National.
Les délégations des circonscriptions de base étaient très impressionnantes par leur diversité, avec des interventions passionnées de militantes noires ou encore de délégués handicapés, ce qui a contribué à électriser la salle. Un moment fort a été l’adoption de la motion sur la Palestine, avec une vague de drapeaux palestiniens agités par la grande majorité des délégués. Mais, surtout, la conférence a été l’occasion d’entendre à maintes reprises le rappel de la cruauté de la Grande-Bretagne des Conservateurs et de l’urgence de l’élection de Jeremy Corbyn comme Premier ministre.
Approfondir la démocratie
Sous Tony Blair, le Parti travailliste a conduit des politiques réactionnaires sur la plupart des sujets. Le fond a été atteint avec la participation britannique à la guerre en Irak ; mais cet épisode allait de pair avec une politique intérieure d’accompagnement du néo-libéralisme. Cela a alors passé en partie par une modification des structures de l’organisation, notamment la destruction de la souveraineté de la conférence annuelle qui est devenue un show médiatique et non plus le lieu où les membres du Parti font de la politique.
La conférence du Parti travailliste de 2017 a connu un renouveau démocratique, en suscitant des contributions et en organisant des discussions à travers tout le pays, dans le but de faire remonter des propositions pour la conférence nationale. Il s’agissait de codifier le glissement vers la gauche opéré avec Corbyn, notamment l’augmentation du nombre des militants et adhérents, en approfondissant la démocratie.
Le renouveau se situait réellement à grande échelle et la conférence avait pris une série de décisions cruciales. Ainsi les propositions de construire ou de renforcer les structures démocratiques en direction des femmes, des Noirs, des handicapés, des militants LGBT et des militants jeunes avaient été adoptées à une majorité écrasante. Il était également prévu que, à l’avenir, la conférence nationale elle-même soit structurée autour de résolutions produites par les militants ou les structures affiliées plutôt que de laisser tout le pouvoir au groupe parlementaire, aux conseillers et au cabinet fantôme.
Il y avait néanmoins des limites à ces avancées. Ainsi les propositions de modifications de la manière dont sont prises les décisions à propos de la gestion des municipalités – un bastion de la droite du Parti travailliste, au même titre que le groupe parlementaire – ont été mises sous le tapis par le Comité Exécutif National pour d’obscures raisons.
La sélection des candidatures aux postes de députés ne faisait pas partie du renouveau démocratique. Mais la question devait être traitée par des modifications des règles dont l’une prévoyait d’introduire un système de « sélection ouverte » permettant aux adhérents d’une circonscription de décider de leur candidat potentiel. Mais le Comité Exécutif National en exercice avait alors fait adopter une version édulcorée de ce projet, court-circuitant ainsi un débat formalisé et des décisions plus radicales. Ce qui a été finalement adopté est une avancée – qui ne se serait pas produite s’il n’y avait pas eu une campagne vigoureuse en faveur d’une « sélection ouverte » – mais une avancée inférieure à ce qu’elle aurait pu être.
De façon plus déconcertante, le Comité Exécutif National a mis en avant un changement de la règle concernant l’élection des prochains dirigeants qui va aggraver la situation actuelle en accordant aux parlementaires des capacités accrues de bloquer un successeur de Corbyn qui viendrait de la gauche. C’était vraiment inutile !
Brexit
Il était inévitable que le Brexit constitue un thème central de discussion lors de cette conférence. Il s’agit d’une question complexe aussi bien pour le parti que pour sa direction. Lors du référendum, une grande majorité des membres du Parti travailliste a soutenu le maintien au sein de l’Union européenne. Mais, dans de nombreuses circonscriptions traditionnellement acquises au Parti travailliste, en particulier celles qui ont souffert des ravages de la désindustrialisation, il y a eu une forte majorité en faveur de la sortie de l’UE. C’est donc à juste titre que Corbyn a été prudent en cherchant à ne pas se montrer méprisant vis-à-vis de ces sentiments par un soutien précipité à la demande d’un second référendum.
Mais alors que les divisions s’accroissent au sein du Parti conservateur et que se précise la possibilité d’une crise politique si le Parlement vote contre le relevé de conclusion des négociations avec l’UE, la conférence a permis au Parti de se rapprocher plus que jamais de l’engagement en faveur d’un second référendum par une résolution adoptée à une très large majorité. La tenue d’élections générale reste l’option privilégiée ; mais un second référendum avec une option favorable au maintien (dans l’UE) n’est plus exclu.
Au vu du débat, il est clair qu’il subsiste d’importantes divergences, mais la résolution a été adoptée sans aucune ambiguïté et beaucoup considèrent que c’est une victoire. Et, lors de son discours en clôture du congrès, Corbyn s’est montré sûr de lui comme jamais. Avec un leader confiant et des militants ragaillardis, il existe maintenant une conviction forte : obtenir un gouvernement dirigé par Corbyn est à portée de main.
Veronica Fagan
Notes du traducteur
Note 1 : Au Royaume-Uni, la plupart des organisations politiques – dont le Parti travailliste – tiennent une conférence nationale annuelle qui est l’équivalent d’un congrès.
Note 2 : Les principaux syndicats britanniques sont affiliés au Parti travailliste et leurs dirigeants sont représentés es qualité dans les structures de direction du Parti travailliste.
Note 3 : Le sujet divise également la gauche radicale. Les deux principales organisations de l’extrême gauche britannique – le Socialist Workers Party (SWP) et le Socialist Party (SP) – se sont prononcées en faveur du « Lexit » (pour Left Exist, « sortie à gauche ») alors que Socialist Resistance (section britannique de la IV° Internationale) et Left Unity (organisation de la « gauche large », initiée par le cinéaste Ken Loach) se sont prononcées contre le Brexit dans la mesure où celui-ci était principalement motivé par le racisme et la xénophobie et porté par la droite extrême et l’extrême droite.
Note 4 : Depuis 2013, « l’allocation universelle » est un dispositif unique qui s’est substitué à six dispositifs préexistants. Destiné à contraindre les allocataires à accepter des emplois précaires et sous-qualifiés s’ils veulent continuer à en bénéficier, sa gestion est nettement plus restrictive.
Note 5 : Momentum – on peut traduire par « L’élan » – est une structure associée au Parti travailliste. Destinée à prolonger l’élan de la campagne qui a conduit à l’élection de Jeremy Corbyn, Momentum regroupe les soutiens les plus militants de Jeremy Corbyn, qu’ils soient ou non encartés au Parti travailliste.
Note 6 : Jean-Luc Mélenchon était l’un des invités de cette réunion.