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Congrès de Solidaires : une centrale au milieu du gué

Du 22 au 25 avril dernier, 450 congressistes représentant 52 fédérations et syndicats nationaux ont participé au 9ème congrès national de Solidaires à Toulouse. Les Solidaires locaux, équivalent des unions départementales à la CGT étaient également représentés.

Ce congrès a d’abord été l’occasion d’un bilan qui, s’il n’a pas été occulté, a peu suscité de débats. Solidaires perd en effet près de 1200 adhérentes par an depuis 2017, pour plafonner probablement à environ 92 000 en 2023. Cette baisse s’explique par une érosion dans le secteur public où Solidaires est traditionnellement fortement implanté, liée aux suppressions de postes, par exemple dans le secteur public, conjuguée à un vieillissement des équipes militantes. Le frémissement ressenti par certaines fédérations suite au mouvement de grève de 2023 nécessitera une confirmation objective.

Si certains secteurs connaissent un développement indéniable, à l’instar du rail pour lequel la dynamique électorale et la réalité de l’implantation sont avérées, ou dans l’éducation où SUD a pu retrouver la représentativité après une dizaine d’années d’absence et connait une croissance continue de son nombre d’adhérentes, cela rend le constat d’autant plus accablant pour le reste de Solidaires.

Le rapport d’activité de la direction sortante a cependant été adopté à la quasi-unanimité des structures, car il s’agissait notamment de conforter l’orientation résolument unitaire de Solidaires durant la lutte contre la réforme des retraites. Cette orientation a fait l’objet d’un débat lors du congrès, au cours duquel les structures ont exprimé un attachement réel à l’unité d’action dans les luttes, matérialisée lors du congrès par des interventions (vidéos pour la plupart) de chacune des dirigeantes des organisations de l’intersyndicale à 8.

Le projet de syndicalisme alternatif incarné par Solidaires a ainsi été relativement peu interrogé. Les congressistes partageaient en effet bien souvent l’idée que Solidaires demeurerait une organisation singulière pour sa capacité à coaguler dans son logiciel la lutte de classe avec l’antiracisme, l’écologie de transformation sociale, le féminisme. Cette idée reçue, jamais vraiment questionnée, traduit plutôt la méconnaissance des orientations et de la communication des deux autres organisations syndicales de lutte que sont la CGT et la FSU. Il faut dire que les interventions caricaturales de certaines structures comme SUD industrie (dont la représentation effective dans le secteur est inversement proportionnelle à ses prétentions) sur une union syndicale qui serait devenue une “ONG” n’ont évidemment pas aidé à porter un regard lucide sur les progrès que les autres interpros ont réalisés ces dernières années en matière de revendications et de pratiques sur les questions de droits des femmes et LGBTQI+, antiracisme, l’écologie. Solidaires a par exemple adopté une revendication importante du point de vue de l’égalité femmes-hommes en revendiquant à l’issue de ce congrès un congé hormonal, ce qui inclut le congé menstruel, à hauteur de 26 jours par an. Mais ce n’est que lors de ce congrès que l’organisation a définitivement tranché (à plus de 90%) en faveur de l’emploi du terme “islamophobie” dans ses expressions nationales, quand la CGT l’employait déjà en 2019.

Il faut rappeler que l’histoire du fonctionnement de Solidaires, issu de la fusion de syndicats corporatifs indépendants d’une part, et d’équipes oppositionnelles dans la CFDT d’autre part, pèse lourdement sur la délibération démocratique. Ainsi, la recherche systématique du consensus et la règle une structure, une voix au détriment d’un poids relatif aux nombre d’adhérent⋅es implique que de petites structures peuvent bloquer toute évolution de l’organisation, quand les sept plus grosses structures nationales représentent à elles seules 75% des adhérent⋅es.

La menace que fait peser la possibilité de l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite en 2027 a poussé à entamer une réflexion sur la sécurité de l’organisation, de ses structures et de ses militantes, dans un contexte de répression syndicale qui tend à s’amplifier.

C’est dans ce cadre que le secrétaire général de la FSU, Benoît Teste, a tenu à inscrire son intervention chaleureusement accueillie par les congressistes. Après avoir indiqué que les militant⋅es de la FSU se sentaient “de la famille” en compagnie de leurs camarades de Solidaires, il a tenu à développer sur la “montée des périls” qui inquiète particulièrement à la FSU, et fait partie des facteurs déterminants du rapprochement avec la CGT. Benoît Teste a indiqué sans ambages que si la CGT n’envisageait à ce stade le rapprochement qu’avec la FSU, à l’exclusion de Solidaires, la FSU avait pour mandat d’aller au-delà du rapprochement à deux, en évoquant à demi-mots le secteur de l’éducation.

Ce faisant, le secrétaire général de la FSU faisait écho aux débats qui ont animé les délégations au sujet de la recomposition syndicale. SUD rail a refusé que le terme de “recomposition” soit présent dans le texte de la résolution finale. SUD rail est pour l’heure dans une dynamique positive : conflictualité assumée dans les rapports à la direction de la SNCF, croissance du nombre d’adhérentes, représentativité en hausse, et pratiques plus démocratiques que celles qui ont cours à la CGT des cheminots font la fierté des équipes militantes. Peu étonnant dans ce cas que SUD rail refuse toute perspective de recomposition, et ce d’autant plus que le secrétaire général de la CGT cheminots, Laurent Brun, qui nourrit la conflictualité SUD / CGT dans le rail est depuis le dernier congrès confédéral administrateur général de la CGT.

À l’inverse, des structures comme Solidaires Finances publiques, un des autres poids lourds de Solidaires et majoritaire dans son secteur, a poussé vers la recomposition. Pour cette structure à l’histoire plus ancienne que Solidaires, il s’agit non seulement de la question de l’extrême droite mais aussi des risques que comportent des listes communes CGT-FSU aux élections professionnelles en 2026. De telles listes pourraient avoir pour effet de siphonner les voix de Solidaires, notamment dans l’éducation, et de faire perdre la représentativité à l’union syndicale dans la fonction publique dans son ensemble.

La formulation finale de consensus arrachée est celle de l’ouverture d’un “débat sur l’évolution du syndicalisme et de quel outil serait capable de répondre mieux qu’actuellement aux aspirations des travailleuses et des travailleurs”. Si cette formulation en demi-teinte a pour vocation de satisfaire les unes et les autres, il reste à voir comment les équipes en charge de l’animation des structures s’empareront de la question. Il semblait manifeste à la fin de ce congrès que Solidaires se trouve au milieu du gué : il s’agit désormais soit de reculer et de renforcer une identité propre quitte à risquer la marginalisation dans le champ social, ou de progresser dans le rapprochement avec les autres syndicats de lutte.

Camille Romain