L’air du temps fait frémir.
La planète étouffe, les pays pauvres n’arrivent pas à contenir la pandémie, un grand carnage social est en cours dans notre pays où l’on nous promet encore une nouvelle baisse des droits au chômage et à la retraite…
Et pourtant, tout fonctionne comme si l’insécurité et le terrorisme étaient nos seuls problèmes.
Bien sûr, celui ou celle qui affirmerait que les préoccupations autour de ces questions sont infondées ferait preuve d’une terrible irresponsabilité.
Ce n’est pas la députée de Seine-Saint-Denis que je suis qui dira le contraire, qui niera les dangers.
Mais la survalorisation de ces thèmes dans le traitement de l’actualité, dans le débat politique, et surtout la façon dont ils sont abordés, suggérant l’immigration comme origine de tous ces maux et toujours plus de répression, de contrôle et de fermeture au monde comme solutions, fait le lit de l’extrême droite.
Ce climat préfasciste appelle une réplique ferme et cohérente.
En France comme ailleurs, la violence répressive publique a-t-elle permis de faire reculer la violence privée ? Non.
La surveillance généralisée a-t-elle effacé la délinquance, éradiqué à leur source les trafics à grande échelle, rendu la vie plus douce dans nos sociétés meurtries par les difficultés sociales, déchirées par la concurrence, empoisonnées par la religion de la possession ? Non.
C’est d’abord le recul de l’Etat protecteur et la somme incommensurable des promesses non tenues qui a stimulé la défiance à l’égard de l’Etat et des autorités.
C’est le reflux général du bien commun qui a généré, partout, le repli sur soi et la peur de l’autre.
A gauche, nous aurions tort de ne pas l’affirmer, de baisser la garde et de valider les présupposés des droites dures qui se sentent pousser des ailes.
Il faut sortir de la sidération devant l’incroyable main basse de l’extrême droite sur toutes les angoisses que l’univers de l’argent et la technocratie ont engendrées.
C’est le FN, puis le RN, qui depuis des décennies nous explique que tous nos malheurs viennent de l’ouverture sur le monde, que nous devons nous protéger du déferlement des pauvres, que la «priorité nationale» est le remède premier.
Ce sont eux qui nient la dégradation de l’environnement comme urgence absolue.
Ce sont eux qui installent la conviction que l’égalité n’est plus la question centrale, l’identité ayant pris sa place.
Ce sont eux qui ont imposé le postulat que l’ordre et l’autorité sont l’alpha et l’oméga de toute vie sociale, et non la mise en commun et la révolution de la citoyenneté.
Les trois droites sont désormais alignées sur l’agenda de leur partie extrême.
Sans surprise, LR court derrière le RN.
Sans fard, LREM emboîte le pas.
Aux avant-postes d’une stratégie dangereuse visant cyniquement à siphonner les voix de la droite traditionnelle, le ministre de l’Intérieur n’y va pas avec le dos de la cuillère :
Marine Le Pen jugée trop molle sur la sécurité, confiance première dans les propos du boucher-charcutier de Tourcoing plutôt que dans les données de l’Insee, participation à une manifestation de policiers aux revendications anticonstitutionnelles, comme les peines planchers, devant l’Assemblée nationale contre toute logique de séparation des pouvoirs…
Et à un mois du scrutin régional, plainte contre une opposante pour de simples propos politiques.
On savait qu’il y avait du Daladier chez Macron.
On voit maintenant qu’il y a du Trump chez Darmanin.
Sur une ligne à droite toute, le ministre de l’Intérieur accumule démagogie, vulgarité, faits alternatifs.
Ce pouvoir qui devait faire barrage à l’extrême droite se mue chaque jour un peu plus en passerelle.
S’il y a de la stupéfaction devant la tournure de notre paysage politique, elle ne doit surtout pas prendre le dessus.
Il est de notre responsabilité de ne pas avoir peur devant les tentatives d’intimidation.
Il faut tenir bon sur le fond.
Pour résister, pour sortir de cette ambiance qui nous conduit tout droit à la guerre civile, pour gagner la bataille des idées, de la rue et des urnes, ne nous trompons de méthode.
Il n’y a pas si longtemps, le socialisme européen a pensé que, pour faire face à la vague ultralibérale mondiale, il fallait assumer le parti pris de la concurrence et de la compétitivité.
Le socialisme s’y est abîmé et la gauche tout entière en a payé le prix.
On voudrait nous faire croire aujourd’hui qu’il faut faire de même face à la poussée de l’extrême droite.
Il faudrait accepter tel quel le fantasme selon lequel nous ne sommes plus chez nous.
Il faudrait admettre sans discuter que la réduction drastique de l’immigration est nécessaire pour protéger nos emplois et nos valeurs.
Il faudrait s’habituer à la conviction que la sécurité vaut bien une réduction de nos libertés.
C’est un piège grossier.
La société est un tout, l’économique n’a pas de sens si l’écologique et le social sont tenus pour des parents pauvres, si la citoyenneté est bridée.
L’égalité n’est rien sans l’essor de la démocratie et le souci du bien commun.
Si nous capitulons sur un point, si, sur quelque point que ce soit, nous légitimons la pression de l’extrême droite, c’est toute la chaîne qui nous relie et nous permet de vivre ensemble qui risque de se rompre.
On ne négocie pas avec l’extrême droite : on combat ses idées et ses valeurs, sans faiblesse.
On ne ruse pas avec elle.
Tout glissement vers l’obsession sécuritaire et identitaire pervertit le droit à la libre identification de toutes et de tous, étouffe la protection et la solidarité collectives, attise le rejet des autres et rend impossible la sécurité véritable.
Qui perd le fil de sa pensée, sa raison d’être, court vers la défaite.
Ne l’oublions jamais.