Gratuité dans les transports en commun, taxe sur les SUV… La députée « insoumise » de Seine-Saint-Denis, tête de liste aux prochaines régionales, dévoile ses premières orientations. Et attaque Valérie Pécresse mais aussi Anne Hidalgo. Interview.
C’est elle qui portera le drapeau « insoumis » dans un scrutin qui sera suivi de près. La députée de Seine-Saint-Denis Clémentine Autain a été désignée tête de liste de La France insoumise (LFI) aux prochaines régionales en Ile-de-France. Face aux candidats déjà déclarés Julien Bayou et Audrey Pulvar, ses deux rivaux à gauche, la quadra compte « porter la voix des banlieues populaires ». Auprès de « l’Obs », elle dresse un bilan très critique de la présidente sortante Valérie Pécresse, dévoile les grandes lignes de son projet de transformation et répond aussi aux récentes attaques de la maire de Paris Anne Hidalgo.
Qu’est-ce qui vous a poussé à être candidate à la présidence de la région Ile-de-France ?
J’éprouve un sentiment d’urgence pour notre région si maltraitée depuis cinq ans par une droite néolibérale, sécuritaire et étrangère aux enjeux écologiques. Face aux crises multiples que nous traversons, il faut ouvrir la voie d’un changement en profondeur. J’ai été adjointe au maire de Paris, j’ai quitté Paris pour vivre en Seine-Saint-Denis où j’ai été élue de Sevran de 2014 à 2020 et je suis aujourd’hui députée de la 11e circonscription d’un département qui subit les inégalités croissantes et la stigmatisation. Je suis imprégnée des différentes facettes des enjeux de l’Ile-de-France et nourrie des luttes auxquelles j’ai participé ces dernières années, pour l’égalité dans le 93, contre le projet délirant de la famille Mulliez sur le triangle de Gonesse, contre le Terminal 4 à Roissy ou les violences policières. Nous vivons une période d’accélération politique, avec de très grandes tensions. L’extrême droite menace et les pouvoirs en place, Valérie Pécresse ou Emmanuel Macron, lui déroulent le tapis rouge. Je n’ai pas l’intention d’attendre que ça passe. Je veux prendre mes responsabilités et aller dans la bataille.
En quoi la présidente sortante Valérie Pécresse incarne-t-elle une droite libérale et sécuritaire ?
La région Ile-de-France est dirigée par et pour Versailles-Neuilly-Passy. Valérie Pécresse l’emmène dans une course folle à la compétitivité entre mégalopoles internationales. Cette obsession, qui est celle de la concurrence et de la loi du profit, tourne le dos au bien être des habitants qui sont de plus en plus nombreux à rêver de vivre ailleurs. Elle exacerbe les inégalités et pousse à produire « plus », et non à produire « mieux ». Valérie Pécresse est tout à fait en phase avec des projets tels que celui de [la rénovation de] la gare du Nord, si mercantile et démesuré. L’écologie est un impensé à droite. Je n’ai pas non plus oublié quelques mesures symboliques comme la fin du pass contraception pour les lycéennes et lycéens ou la tentative de suppression de l’aide aux transports pour les bénéficiaires de l’AME (Aide médicale d’Etat), c’est-à-dire les sans-papiers. Cette dernière mesure, retoquée par le tribunal administratif, donne à voir le manque d’humanité de la droite régionale.
Si vous êtes élue, quelles seront vos priorités ?
Je veux en finir avec les aides aux grands groupes économiques qui se font sans contreparties sociales et environnementales. Aujourd’hui, la région finance Veolia, Engie, des entreprises du CAC 40, sans le moindre cahier des charges qui permette de flécher ces aides. C’est inacceptable ! Nous devrions privilégier les aides vers les PME et TPE aux activités essentielles et soutenables. L’Ile-de-France concentre l’extrême richesse et l’extrême pauvreté. Et Valérie Pécresse n’a cessé d’exacerber un déséquilibre territorial avec le mépris qu’on lui connaît pour les quartiers populaires. Ma priorité sera d’engager un rééquilibrage entre l’est et l’ouest, entre Paris et sa périphérie, notamment sa moyenne et grande couronne.
Comment comptez-vous faire ?
Concrètement, cela passera par un plan pour organiser dans le temps ce changement dans l’affectation territoriale des richesses, des emplois, des biens communs, des espaces sportifs et culturels… Il faut rapprocher le lieu de travail du lieu d’habitation pour sortir d’une région où se trouvent les cités-dortoirs d’un côté, La Défense de l’autre. Le logement social, si décrié par Valérie Pécresse, est un atout majeur. L’investissement dans les transports publics du quotidien sera une priorité. L’objectif : mieux relier les banlieues entre elles mais aussi rénover les lignes existantes, comme le RER B où les usagers s’entassent comme des sardines. Au lieu de ça, la région a préféré le « Charles-de-Gaulle Express », c’est-à-dire un train pour les riches. Les transports publics doivent nous permettre de circuler de façon beaucoup plus rapide, moins stressante et moins polluante. Je formule une proposition concrète, portée par les élus communistes à la région : une taxe sur les SUV pour favoriser le développement des pistes cyclables et leur sécurisation.
Audrey Pulvar, soutenue par le PS et le PRG, propose de son côté la gratuité des transports en Ile-de-France. Est-ce une bonne idée ?
Paris s’est progressivement bunkérisée. Il faut transformer cette frontière que représente le périphérique en trait d’union. Pour une famille avec trois enfants à Sevran, un aller-retour à Paris coûte environ 30 à 40 euros. C’est rédhibitoire. Je suis favorable à la gratuité immédiate pour les moins de 18 ans. La gratuité pour tous doit être notre horizon. Pour financer les investissements indispensables dans les transports publics, il faut augmenter la part des recettes. Pour ce faire, nous pouvons mettre à contribution par l’impôt les grandes entreprises, les parkings des centres commerciaux, les bureaux vacants… Sur ce sujet, nous présenterons dans les mois qui viennent un contre-budget chiffré et détaillé.
L’écologiste Julien Bayou est déjà candidat, Audrey Pulvar est en passe de l’être officiellement. Les électeurs de gauche n’avaient pas assez de deux candidatures ?
Europe Ecologie-les-Verts a décidé de faire cavalier seul dans toutes les régions. Audrey Pulvar s’est mise dans la roue du Parti socialiste, elle s’est adressée au PRG et au PCF mais jamais à La France Insoumise. Dont acte. Je sais que dans l’électorat populaire, dans les secteurs en lutte sur le terrain social et écologique, dans le monde critique des intellectuels et des artistes, il y a une exigence de transformation de notre région. Cette aspiration populaire, porteuse de radicalités concrètes, doit trouver sa traduction politique. Audrey Pulvar et Julien Bayou sont deux Parisiens, et il me semble important que la voix des banlieues populaires soit portée avec force à gauche. C’est le cœur de mon engagement.
Le Parti communiste va-t-il vous soutenir ?
Il prendra sa décision en janvier. Je respecte ses débats internes, je tends la main, mais il n’est pas question de forcer. Je crois que nous pouvons bâtir ensemble un projet cohérent, reposant sur des convictions communes et tant de combats partagés. Je veux aussi m’adresser avec autant de force à tous les citoyens qui aspirent au mieux-vivre et à la solidarité, aux militants écologistes, aux associatifs, syndicalistes et créateurs qui veulent construire une région qui apporte du lien et du sens, de l’égalité et de la justice sociale. Cette mobilisation est une condition sine qua non de la victoire.
Mais vous ne pourrez pas gagner seule contre les autres forces de gauche…
Personne à gauche ne peut gagner seul ! Je n’oublie pas qu’il y a un second tour et j’aimerais bien que tout le monde s’en souvienne. Quand j’entends de hauts responsables socialistes expliquer qu’une grande partie de la gauche et des écologistes serait « ambiguë » sur la République, propos aussi vagues qu’indignes, je me demande ce qu’ils cherchent… Nous n’avons pas de leçons à recevoir. Et qu’ils balaient déjà devant leur porte ! Dois-je rappeler qu’Anne Hidalgo n’hésite pas à se rendre officiellement à l’église quand l’archevêque bénit Paris, à nouer un partenariat avec Lafarge en 2016 alors que nous sommes déjà alertés sur ses dessous-de-table avec Daech [acronyme arabe de l’organisation Etat islamique] ou à subventionner des crèches Loubavitch ? La laïcité à géométrie variable n’est pas la laïcité. Surtout, ces voix entrent dans le concert d’injures et de mises au ban qui correspondent à l’agenda de l’extrême droite. Pendant ce temps, Marine Le Pen reçoit des brevets de respectabilité républicaine ! Il ne faut pas compter sur moi pour être sur la défensive face à ces attaques creuses et politiciennes.
Vous avez été conseillère municipale à Sevran de 2014 à 2020, et vous êtes députée de Seine-Saint-Denis depuis 2017. Y a-t-il un séparatisme islamiste à l’œuvre dans votre département ?
Je n’emploie pas ce terme. Ce que j’observe, c’est un double mouvement. D’une part, une sécularisation des musulmans. Et dans le même temps, une petite minorité qui se radicalise et distille une propagande en faveur d’idées fondamentalistes, antirépublicaines, mortifères. Ma conviction est que l’immense majorité des musulmans est engagée au premier plan contre cet obscurantisme. De ce point de vue, le désengagement de l’Etat dans les quartiers populaires est une catastrophe car il leur laisse du terrain pour agir.
Le projet de loi sur le séparatisme (« confortant les principes républicains », selon la dénomination exacte), qui sera présenté en conseil des ministres le 9 décembre, vous paraît-il adapté pour lutter contre cette minorité ?
Nous sommes en train de l’analyser. Peut-être qu’à l’intérieur, il y aura des éléments que nous voterons. Mais la philosophie générale ne va pas. Il faut se rendre compte que nous avons aujourd’hui beaucoup d’outils légaux pour combattre ces phénomènes. Surtout, c’est de moyens humains dont nous avons besoin pour que les lois puissent se traduire dans la réalité. Je redoute l’arbitraire et je dénonce la chasse aux musulmans, injuste et contre-productive. De nombreux citoyens français de confession musulmane se demandent pourquoi ils sont sans cesse pointés du doigt, sommés de se justifier, alors qu’ils sont révoltés de l’horreur perpétrée au nom de leur religion. Ce climat crée du ressentiment qui, au lieu d’inclure, pousse vers les fondamentalistes qui n’attendent qu’une chose : prospérer sur les discours antimusulmans.
Depuis l’attentat contre Samuel Paty, le débat s’est durci à gauche sur le sujet. Quelle est votre conception de la République ?
Il y a toujours eu débat parmi les républicains sur la façon de faire vivre la République. Si pour échapper à la chasse aux sorcières, il faut cotiser à la pensée dominante, c’est sans moi. Ceux qui nous accusent d’ambiguïté ou nous qualifient de ce mot vide, « islamo-gauchiste », qui n’est que vindicte, cherchent en réalité à tuer le débat. Notre République, elle est laïque, démocratique et sociale. Dans ce triptyque, on oublie trop souvent la dimension sociale alors qu’elle est au fondement du pacte républicain.
L’Obs par Rémy Dodet, le 01/12/2020.