L’union à gauche est en train de se construire après l’accord avec les écolos en attendant celui avec les socialistes et les communistes. Pensiez-vous voir ça un jour ?
Ce que nous sommes en train de construire, je l’ai activement souhaité depuis les débuts de mon engagement politique. Je n’avais pas 25 ans quand, dans la foulée des grandes grèves de novembre-décembre 1995, j’ai participé à la création de la fondation Copernic qui visait à «remettre à l’endroit ce que le libéralisme met à l’envers». Il y avait là des militants de toutes les familles à gauche, de la LCR aux socialistes, en passant par les écologistes mais aussi des syndicalistes, des associatifs et des intellectuels. L’idée de refondation nous animait, déjà, avec le parti pris de mêler le rouge, le rose et le vert autour d’un nouveau projet, de rupture et à vocation majoritaire. Nous pensions que les partis et les clivages traditionnels n’étaient plus à la hauteur des défis. À l’époque, imaginer que des communistes ou des socialistes puissent travailler avec des écolos semblait d’une audace incroyable. Penser que le pôle de radicalités puisse prendre l’ascendant à gauche l’était tout autant. Faire travailler à égalité des responsables politiques avec des personnalités du mouvement social et culturel apparaissait novateur. Aujourd’hui, je constate que nous avions raison de viser ces objectifs, incertains à l’époque parce que de longue haleine. J’ai envie de vous dire qu’il y a vingt ans, je vous aurais répondu «oui, je verrai ça un jour», mais peut-être pas il y a six mois…
Pourquoi cela marche-t-il aujourd’hui et pas hier ?
Il faut comprendre que le tournant historique qui s’opère aujourd’hui vient de loin. Le «non» de gauche au traité constitutionnel européen en 2005 a été fondateur. Ce «non» disait l’opposition aux normes du marché, à la «concurrence libre et non faussée». Il exprimait une contestation de la technocratie qui gouverne contre le peuple. Il unissait des sensibilités diverses à gauche et, surtout, il fédérait dans le monde populaire. Cette campagne a ravivé le ressort de la lutte des classes. Ensuite, nous avons construit les collectifs antilibéraux puis le Front de gauche, grâce à la sortie de Jean-Luc Mélenchon du Parti socialiste et à l’intelligence politique de Marie-George Buffet. En 2017, la conjonction entre la sanction sans appel du quinquennat Hollande et le score exceptionnel de Jean-Luc Mélenchon (19 %) a marqué une étape décisive. Et en avril, les électeurs ont à nouveau tranché sur l’orientation qui a leur préférence, entre accommodement et changement en profondeur. Ce qui marche aujourd’hui, c’est à la fois la capacité de La France insoumise, avec le talent de son leader, à créer de la dynamique populaire et notre main tendue aux autres forces de gauche et écologistes qui, elles-mêmes, évoluent pour se hisser à la hauteur de l’histoire.
L’accord arrive entre deux dates symboliques : la Fête des travailleurs et des travailleuses et l’anniversaire du Front populaire. Faites-vous un lien avec le passé ?
Oui ! C’est un passé qui nous enracine dans le meilleur de l’histoire de la gauche et du mouvement ouvrier, celle des luttes qui gagnent et changent réellement la vie. S’y référer, c’est aussi dire que nous cherchons à écrire une nouvelle page, et non à faire un copié-collé du passé. Pour le dire abruptement, ce que nous faisons n’est pas l’union de la gauche à l’ancienne.
On a longtemps évoqué les gauches irréconciliables. Aujourd’hui cela semble derrière vous. Cela veut-il dire que les gauches ont mis leurs différences, notamment sur l’Europe, sous le tapis ?
Manuel Valls est l’un des grands artisans de cette thèse ! En réalité, les gauches ne sont tout simplement pas conciliables avec les idées et les pratiques de droite, ou alors elles se meurent. Voilà tout. Et la nouvelle génération de dirigeants socialistes semble désormais l’avoir bien compris. Après, il n’est pas question de mettre les différences sous le tapis. Les négociations ont d’ailleurs commencé par d’âpres discussions de fond. Nous voulions un accord pour gouverner ensemble, et donc solide dans sa cohérence programmatique. L’Europe a fait partie des sujets difficiles mais il fallait le décortiquer. Par l’échange et la volonté de s’entendre, nous avons levé des incompréhensions et affiné ce qui nous rassemble. Résultat : les traités européens qui nous empêchent de mener une politique de progrès social et écologique, nous ne les appliquerons pas. Cela ne veut pas dire que nous sommes d’accord sur tout, solubles les uns dans les autres. Et c’est d’ailleurs une force. Qui peut croire que nous pourrions être majoritaires dans le pays sans diversité des sensibilités, sans pluralisme ?
Comment faire pour que cet accord ne soit pas seulement un partage de circonscriptions mais un nouveau départ ?
Ah mais c’est précisément ce que nous ne voulions pas ! Nous avons dès le début dit non à une simple répartition des postes, nous avons immédiatement cherché un accord politique pour gouverner. Au fond, nous passons de la culture de la résistance à celle de l’espérance. L’enjeu n’est pas de sauver les boutiques des uns ou des autres mais de permettre aux Français, dès juin, de ne plus subir la violence sociale et l’inaction climatique de Macron. Ce qui se joue, avec l’objectif de Jean-Luc Mélenchon Premier ministre, c’est de donner le choix aux Français d’appliquer, dès cet été, le blocage des prix et la hausse du smic, d’enclencher la bifurcation écologique, d’aller vers la retraite à 60 ans… Le tournant historique est là : un pôle social et écologique s’est formé, et il est aujourd’hui crédité de 9 points de plus que le bloc du Président fraîchement élu. Ensemble, nous pouvons gagner.
Interview à Libération par Rachid Laïreche