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Clémentine Autain : « La Nupes doit avancer vers une culture commune sans se départir de ses nuances »

Linternaute.com – Pour vous, que signifie le score de la Nupes aux législatives ?

Clémentine Autain – Ce score est une réussite. À gauche, nous semblions condamnés par la voix de nombreux commentateurs et éditorialistes. Or, nous avons réalisé un rassemblement inédit, impulsé par  Jean-Luc Mélenchon, fort de ses 22% à la présidentielle. Avec cette dynamique, nous obtenons 151 députés de la Nupes [147 d’après le décompte officiel de légifrance, 151 en comptant les 4 apparentés du groupe socialiste, NDLR] alors que nous n’étions que 62 députés de gauche sous le précédent mandat. Cette percée donne à voir une perspective politique à vocation majoritaire, ce qui est essentiel dans cette situation instable due à l’émergence de trois blocs ; l’extrême-droite au projet autoritaire et xénophobe, la macronie qui poursuit sa destruction sociale et écologique, et la Nupes qui fédère les forces de progrès humains.

L’intergroupe Nupes a déjà connu quelques turbulences (refus d’un groupe unique notamment). Pensez-vous que ce rassemblement des gauches puisse être pérenne ?

Je participe à l’intergroupe et je peux témoigner de la volonté exprimée par tous les groupes de conforter et de développer la Nupes. C’est la clé pour bâtir une majorité progressiste alternative au pouvoir en place. La proposition de Jean-Luc Mélenchon répondait à une situation inédite : la percée du RN dans l’hémicycle. Avec un seul groupe parlementaire, nous aurions pu montrer notre force et représenter plus concrètement à l’Assemblée la première opposition à la macronie. Nous entendons bien ce refus de faire groupe commun, et nous l’acceptons. Pour ma part, j’ai toujours pensé que nous avions besoin de cohérence politique pour être crédible aux yeux des Français, mais aussi du pluralisme, exigence sine qua non pour ancrer notre rassemblement dans la durée. Il y a toujours une tension entre la cohérence et le pluralisme : il faut trouver cet équilibre pour faire avancer la Nupes. Notre capacité à agir ensemble et à parler d’une voix ne doit pas gommer les spécificités, effacer les sensibilités, écraser les légitimes débats entre nous. Il faut qu’on avance vers une culture commune sans se départir de nos singularités culturelles, historiques, idéologiques.

La percée historique du RN bouleverse les équilibres dans l’hémicycle. Craignez-vous cette présence marquée de l’extrême-droite ?

Une course de vitesse est engagée : la macronie n’a pas de majorité dans cette assemblée, et, dans le même temps, l’extrême-droite réalise une percée avec 89 députés. Leur doyen a déjà donné à voir un visage de nostalgie de la colonisation, niant les crimes de l’OAS. On observe actuellement une offensive des plus préoccupantes venant de sphères d’extrême-droite qui s’intègrent dans le système institutionnel : c’est une entreprise de banalisation de leurs idées politiques, mais surtout d’établissement institutionnel. La macronie en porte une lourde responsabilité en n’ayant pas choisi de leur faire barrage. Le démarrage de cette Assemblée est marqué par une grande instabilité avec trois pôles qui se disputent la majorité pour demain.

Concernant cette percée de l’extrême-droite, Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, déplorait que ce front républicain soit démoli et que certains députés LREM ne se soient pas positionnés assez clairement : qu’en pensez-vous ?

Je pense que la macronie porte une lourde responsabilité dans l’essor de cette mouvance, mais surtout dans son établissement dans le pays. Ils sont responsables de ce renvoi dos-à-dos d’un parti qui promeut la haine raciste et l’autoritarisme avec la Nupes qui promeut l’humanisme. Ce renvoi est évidemment un marchepied pour l’extrême-droite, alors même qu’Emmanuel Macron et LREM avaient choisi le RN comme ennemi pour s’assurer une victoire à la présidentielle. Devant la montée de la Nupes et la possibilité que nous l’emportions, il nous a choisi comme ennemi durant la campagne des législatives. Et pourtant, doit-on rappeler que de nombreux Français ont voté pour lui pour éviter l’extrême-droite ? Macron était censé être comptable de cette barrière… Qui ressemble davantage à une passoire.

Entre la Nupes qui doit parvenir à s’entendre pour conserver ce pluralisme et le fait qu’il y ait désormais trois grands blocs distincts à l’Assemblée, ne craignez-vous pas que l’on se retrouve dans une situation de blocage, de paralysie ?

Bien sûr que le blocage est le plus probable ! La responsabilité revient au gouvernement qui doit parvenir à dégager des majorités alors qu’il n’est pas majoritaire, ni dans le pays, ni à l’Assemblée. Nous sommes pour l’heure très inquiets des œillades faites à l’extrême-droite par divers macronistes. Nous aimerions que soit actée, avec netteté, l’impossibilité de chercher, dans un cadre démocratique et républicain, quelque alliance que ce soit avec l’extrême-droite.

Pour illustrer l’opposition entre le RN et la Nupes, il y a le projet de loi constitutionnelle sur l’IVG porté par la gauche. Un projet ouvert à la cosignature de l’ensemble des députés, excepté ceux du RN. Comment expliquez-vous cette exclusion ? Pensez-vous que votre texte commun pourra tout de même être voté ?

Evidemment, on n’a pas besoin de leur appui pour passer cette loi, et ça tombe bien : le droit à l’avortement n’est pas leur combat. Plusieurs députés du RN sont clairement des militants « pro-vie » actifs, comme ce député qui a rendu « hommage aux millions de victimes de l’IVG » [Hervé de Lépineau, député du Vaucluse dans un tweet le 27 novembre 2014, pour les 40 ans de la loi Veil, NDLR] ou la médiatique Laure Lavalette, qui a déployé beaucoup d’énergie à s’opposer au droit des femmes à choisir leur maternité [elle a notamment signé un texte pour s’engager à « abroger, à terme, la loi sur l’avortement », NDLR]. Ce n’est pas marginal : cette opposition au droit à l’avortement est une filiation historique de l’extrême droite. La présence de tant de députés qui refusent d’augmenter les délais pour avorter et qui souhaitent le contraindre est dangereuse. C’est pourquoi il faut légiférer : nous demandions déjà dans le précédent mandat un renforcement de ce droit, mais nous avions reçu une fin de non-recevoir par la voix de Yaël Braun-Pivet en 2018. Puis, le Parti socialiste a réessayé en 2019 : la proposition a été jugée inopportune.

Le groupe LREM a également annoncé déposer une proposition de loi similaire samedi, soit un jour après vous. Le gouvernement a promis de la signer. La Nupes va-t-elle maintenir sa propre proposition ?

Aujourd’hui, on sent bien l’opération de communication de la macronie pour se racheter sur son manque d’engagement concret pour les droits des femmes au cours des cinq dernières années. Mais il faudrait effectivement que ce soit un projet de loi venant du gouvernement. Or, pour l’instant, ce n’est l’initiative que d’Aurore Bergé [patronne des députés de la majorité, NDLR]. Nous attendons de voir comment cette volonté affichée se traduira dans les faits : pour notre part, nous prendrons la main en déposant au nom de la Nupes une proposition de loi.

Côté pouvoir d’achat, Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, a annoncé mettre en place un bouclier loyer, avec une hausse limitée à 3,5%, estimant que c’était « le meilleur compromis trouvé entre les propriétaires, les bailleurs et les locataires ». Qu’en pensez-vous ?

C’est insuffisant. Les associations de locataires et de bailleurs sociaux le répètent. Chez la Nupes, nous sommes pour l’encadrement des loyers et le soutien aux bailleurs. Nous estimons que le marché libre, dans un domaine aussi essentiel, n’est pas acceptable. Il faut être capable de réguler. Mais le gouvernement, acquis aux lois du marché, refuse cette logique et fait du saupoudrage. 3,5%, c’est en-deçà de l’inflation qui pourrait grimper à 7% d’ici septembre [selon les dernières prévisions de l’INSEE publiées le vendredi 24 juin 2022, NDLR], donc la compensation est très faible.

Bruno Le Maire a également alerté sur l’état des finances publiques, en parlant de « côte d’alerte » atteinte, à l’heure où la France « emprunte à plus de 2% » pour financer ces dépenses publiques. Cette côte d’alerte est-elle une raison pour freiner le financement des dépenses publiques selon vous ?

Ce gouvernement est incapable d’aller chercher de nouvelles recettes ! On a des profits faramineux dans des secteurs qui contribuent à la crise. Je pense notamment à Total qui a engendré des records historiques dans le monde industriel français : ce sont 8 milliards d’euros qui viennent d’être reversés en dividendes. Et quand on voit que l’an dernier, les sociétés du CAC 40 ont encore atteint des sommets [en 2021, ces sociétés ont dégagé un résultat net part du groupe de près de 160 milliards d’euros, NDLR], on ne peut rester silencieux face à ces injustices. Encore plus quand vous comparez ça au budget de la santé de l’alimentation, soit l’argent qu’il faudrait investir, par exemple, dans la lutte contre la précarité qui touche particulièrement les jeunes et les femmes. Avec tout cet argent des grands groupes et hyper-riches, il y a des marges de manœuvre ! Mais à condition d’affronter le monde de la finance et de taxer les profits pour augmenter les salaires, consolider les services publics et pour rééquilibrer le rapport travail / capital.

Le gouvernement a décidé de se réengager auprès de la Commission européenne pour atteindre l’objectif d’un déficit inférieur à 3% du PIB d’ici la fin de la mandature, ce qui représenterait 80 milliards d’euros d’économie. Nous avons posé la question à maintes reprises pour comprendre où le gouvernement comptait trouver ces 80 milliards : on nous a simplement répondu que ce ne serait pas dans la TVA sociale. Mais alors, dans quel budget vont-être supprimés des postes, des actions pour garantir de tenir ces 3% ? De notre côté, le budget de notre programme de l’Avenir en commun a été parfaitement chiffré : nous sommes capables d’investir dans notre modèle social et économique tout en dégageant au bout de 5 ans un bénéfice pour l’Etat.

Mardi, une hausse de 3,5% des salaires des agents publics au 1er juillet a été annoncée. Pour les syndicats, la revalorisation n’est pas à la hauteur des urgences sociales. Ne voyez-vous pas cette annonce comme une avancée malgré tout ?

On a une inflation qui est à 5,8% à l’heure actuelle, avec un gel du point d’indice depuis des années [le point d’indice n’avait connu aucune revalorisation depuis le 1e février 2017, NDLR]. Cela aboutit à une paupérisation des enseignants, des personnels soignants, des fonctionnaires en général. Et malgré cela, on ne nous donne que 3,5% : il n’y a aucun rattrapage.

Que préconisez-vous ?

Nous étions pour un dégel de 10%, ce qui permettait de lutter contre l’inflation et d’assurer un début de rattrapage.

En 2021, vous aviez voté contre le pass sanitaire. Le 8 janvier dernier, vous déclariez sur France info : « Ce que je critique, c’est cette surveillance généralisée qui ne répond pas à la crise. » Aujourd’hui, avec la flambée épidémique qui annonce une 7e vague, quel sera le positionnement de la Nupes ?

Nous étions déjà opposés au pass sanitaire et nous le resterons : nous sommes pour une offensive sur les publics les plus fragiles, soit en ciblant les plus vulnérables, en menant des campagnes de vaccination et de prévention auprès des plus isolés… Et ça, c’est la priorité, avant de laminer les libertés de la population toute entière. Mais nous sommes aussi pour la gratuité des masques et pour une meilleure planification pour organiser toute la chaîne qui nous permet de nous prémunir. Il faudrait aussi que les personnels soignants puissent travailler dans de bonnes conditions. Quand il y a des moments de saturation de Covid-19, on sait bien que ce sont d’autres opérations qui sont mises sur la touche, mettant des vies en péril.

Sur la question de la parité, il y a désormais un trio de femmes au plus haut sommet de l’Etat : Elisabeth Borne, Yaël Braun-Pivet, Aurore Bergé, ce qui est inédit. Dans le même temps, c’est la première fois depuis 1988 qu’il y a aussi peu de députées à l’Assemblée nationale (215 femmes en 2022 contre 224 en 2017). Comment interprétez-vous ces chiffres ?

Le chemin pour l’égalité est malheureusement sinueux… Côté gouvernement, la fameuse grande cause nationale du quinquennat a ressemblé à une montagne accouchant d’une souris. La présence de ministres comme Monsieur Damien Abad qui est maintenu malgré les plaintes déposées par plusieurs femmes, ce qui révolte à juste titre les mouvements féministes, prouve bien que cette bataille n’est pas sérieusement menée. Pour ce qui est de LFI et de la Nupes en tout cas, de nombreuses femmes ont été promues à des postes importants, et notre mouvement tente d’impulser cette exigence de parité partout. Je prendrai toute ma part pour permettre à cette égalité d’advenir.

Vous avez été réélue députée en Seine-Saint-Denis, avec une très forte abstention (67% au 1er tour, 77% au 2e). Comment interprétez-vous ce score ? Comment comptez-vous agir pour pallier ce sentiment de désillusion, cette démobilisation électorale que semblent représenter cette abstention record ?

Je pense qu’il faut une nouvelle République pour, de manière globale, et en particulier dans les territoires frappés par les plus grandes injustices comme le mien, renouer un lien de confiance entre les institutions et la population. Je ne crois pas aux demi-mesures, à la logique de sparadrap qui ne peut rien face à cette croissance constante de l’abstention à chaque élection depuis trente ans… Cette démobilisation touche surtout les zones délaissées, notamment à cause de la désindustrialisation et la disparition des services publics. Les gens s’interrogent maintenant sur le sens du vote : ils n’en voient plus l’utilité. Il faut que les gens se sentent considérés et associés, d’où la 6e République. Mais il faut aussi qu’ils puissent avoir le sentiment que les gouvernants œuvrent à leur rendre la vie meilleure. Mais ils ont beau voter d’un côté ou de l’autre, c’est toujours la même régression. Ça crée de la désespérance qui, à son tour, nourrit l’abstention. Une rupture est nécessaire dans notre modèle institutionnel pour leur redonner envie de participer à la vie démocratique. Mais sans politique de partage des richesses, des savoirs et des pouvoirs, nous n’arriverons pas à endiguer ce phénomène.

Et à l’échelle locale, identifiez-vous des besoins propres aux habitants de votre circonscription ?

Oui. On est en périphérie et on a cruellement besoin d’égalité. Cela passe par des emplois, des services publics, des commerces de proximité, des transports publics qui nous permettent d’avoir accès à une vie digne et libre. Tant que l’on n’a pas ça, on se sent délaissé. Et la vie est dure. Chez moi, les taux de pauvreté sont particulièrement inacceptables [Selon l’Insee, la Seine-Saint-Denis est le deuxième département le plus pauvre de France et le premier de métropole, NDLR]. Dans nos quartiers populaires, la République ne tient aucune de ses promesses. Si vous ajoutez à cela l’ambiance insufflée par l’extrême-droite et sa chasse aux musulmans qui se déverse sur les populations, vous avez un cocktail qui produit de la colère. Cette lutte pour implanter des services publics, pour une répartition juste de l’emploi et des richesses sur les territoires, pour un développement soutenable pour l’environnement, c’est la priorité.

Pour illustrer ces besoins, auriez-vous un projet de la Nupes en particulier à citer ?

En réalité, l’intégralité de notre projet est d’apporter des réponses à  » ceux qui ne sont rien « . On veut le blocage des prix des produits de première nécessité, la hausse des SMIC et des minima sociaux, la revalorisation des salaires dans les services publics, la transition écologique à l’heure où la dégradation de l’environnement est d’abord subie par les populations les plus fragiles. On veut l’égalité partout, pour tous.