Tout mouvement d’émancipation suscite une réplique réactionnaire. Comme un hoquet, plus ou moins violent, signant le refus voire une forme d’angoisse à l’égard d’un bouleversement des normes existantes. #metoo, moment de rupture historique pour la libération des femmes et du désir, n’y a pas échappé. En réplique, la tribune des 100 femmes revendiquant la « liberté d’importuner » a cristallisé la réaction, traînant son éternel procès en puritanisme et enfermement victimaire, des critiques à l’égard des discours féministes aussi vieilles que le féminisme lui-même.
En matière de séduction et de sexualité comme dans la société tout entière, il n’y a pas d’égalité entre hommes et femmes. Les 100 femmes de la tribune font l’impasse sur cette donnée fondamentale. Elles développent une argumentation à sexe unique. Un homme qui frotte une femme dans le métro manifesterait ainsi sa « misère sexuelle ». Des femmes frottent-elles couramment des hommes dans le métro ? Ces derniers n’ont pas l’air de redouter la main aux fesses quand ils entrent dans un wagon bondé. Est-ce parce que les femmes ne connaissent pas la misère sexuelle ? Je n’ose croire que les signataires de la tribune l’envisagent. Cet exemple illustre l’impensé de ces détractrices de #metoo : l’asymétrie entre les sexes. Comme pour les agressions sexuelles et le viol, les auteurs de ces actes sont dans leur immense majorité des hommes et celles qui les subissent, des femmes.
Nous héritons des représentations traditionnelles, de ces contes et réalités dans lesquels les femmes sont des Belles au bois dormant qui attendent le prince charmant, des objets soumis à la volonté et à la libido masculines. Dans ce monde, la sexualité des hommes se conçoit comme irrépressible, la prostitution comme un « mal nécessaire ». Dans ce monde, les viols ne sont pas des crimes exceptionnels mais des faits courants et massivement impunis.
La « liberté d’importuner », un privilège masculin
Les femmes représentent 96 % des victimes de viols et de tentatives de viols. Une femme meurt tous les trois jours sous les coups d’un conjoint violent. Ces réalités sociales pèsent sur nos comportements et nos ressentis. Sauf cas exceptionnel, quel homme se sent en danger si une femme se montre insistante pour obtenir une relation sexuelle ? Quel homme redoute une agression sexuelle quand il se promène dans la rue en pleine nuit ?
Des femmes ont peur là où, dans des situations semblables, les hommes ont le sentiment de n’avoir rien à craindre. Et statistiquement ils ont raison. Ignorer ou marginaliser cette différence, et avec elle la persistance de la domination masculine comme la gravité de ses effets, c’est nier les rapports sociaux entre les sexes et finalement considérer que la « liberté d’importuner » n’est rien d’autre qu’un privilège masculin. Au fond, la tribune des 100 porte le refus de l’égalité.
Reconnaître les violences sexistes, les inscrire dans l’histoire, les sortir du silence et se montrer solidaire avec celles qui en souffrent, ce n’est pas enfermer les femmes dans un statut de « victime perpétuelle ». C’est poser l’acte préalable pour que les femmes cessent d’être des victimes réelles ou potentielles. Au XXe siècle, les droits des femmes ont été arrachés par de puissants mouvements intellectuels, sociaux, politiques. Les femmes ont conquis des positions sociales, des statuts publics qui leur permettent aujourd’hui de parler plus haut, plus fort, plus nombreuses, des stars d’Hollywood aux caissières des hypermarchés, à visage enfin découvert. Nous poussons la porte de l’égalité et de la liberté. Et la tribune des 100 regarde ailleurs…
Aspirer à d’autres rapports ne signifie en aucune manière viser, in fine, pas ou peu de rapports. Car le processus de libération de la parole des femmes est en réalité un puissant facteur de libération de la séduction et de la sexualité. Peut-être même le début du désir et du plaisir, leur entrée dans une nouvelle ère, un nouveau genre. Rien de prude, de rangé ou de chaste. Mais tout de la liberté véritable. Car la sexualité libérée de la peur d’être violée, la séduction libérée de la crainte d’être harcelée, est de nature à démultiplier l’envie d’accepter la rencontre, d’avoir une relation sexuelle.Ce qu’induit #metoo, c’est le basculement vers une société émancipée de la vision historique du désir masculin comme nécessairement prédateur et du désir féminin comme définitivement passif. Serait-ce alors la fin de la séduction et de la sexualité ? L’attaque en puritanisme est étrange. Comme si dénoncer le harcèlement, les violences sexistes et sexuelles conduisait vers un monde austère, sans plaisir. Comme si revendiquer l’égalité entre les sexes revenait à rejeter le sexe et le désir. Certains imaginaires feraient bien de sortir des moules existants !
Les hommes pourraient, eux aussi, ressentir davantage de plaisirs s’ils s’émancipaient des schémas de drague imposés et si la société cessait de les assigner à une prétendue « pulsion sexuelle offensive et sauvage ». Rechercher le désir de l’autre et non sa domination : là se joue la révolution nécessaire. Ce bougé radical dans la conception de la séduction et des rapports charnels entre les sexes suppose toujours d’attirer l’autre à soi mais pas pour le posséder : pour nourrir une relation entre sujets libres et égaux. Ma conviction est que le désir et le plaisir n’en auront que plus de saveur.
Clémentine Autain, député-e France insoumise. Tribune publiée dans Le Monde. Egalement auteure de « Un beau jour… Combattre le viol », Indigène éditions, 2011 ; « Ne me libère pas, je m’en charge – Plaidoyers pour l’émancipation des femmes », éditions J’ai lu, 2013 ; « Elles se manifestent », éditions Don Quichotte, 2013 ; « Nous avons raison d’espérer », Flammarion, 2015