« Passerelle, cohérence, invention ». Voilà le triptyque du « Fil des communs », une initiative commune des députées insoumise et communiste Clémentine Autain et Elsa Faucillon – par ailleurs co-directrices de la revue Regards.
« Nous prenons une initiative politique, l’époque nous y oblige pour bâtir une issue émancipatrice aux crises contemporaines. Nous voulons participer activement au travail de refondation des idées, stratégies et formes politiques à même d’agréger et de gagner dans notre pays », écrivent-elles sur leur site.
L’idée n’est pas de créer un énième mouvement politique à gauche, mais bien de « mettre au pot commun », explique à Regards Clémentine Autain : « La vitalité de notre famille politique suppose la mise en mouvement et elle ne peut être uniforme. »
De son côté, Elsa Faucillon assure aussi vouloir « influer, pas éclater ». Auprès de Regards, cette dernière développe : « Nous faisons le constat de l’éclatement et du besoin de renouvellement des idées à gauche. Nous voulons travailler au deux. Les convergences sont essentielles, mais elles sont insuffisantes si elles ne s’attellent pas à donner du sens, de la cohérence, de l’innovation. »
La députée insoumise a d’ailleurs présenté cette initiative au groupe parlementaire « sans difficulté aucune », pas plus que sa collègue avec le groupe communiste.
« Mener tous les combats »
Dans leur premier édito, les deux députées font l’analyse suivante : « L’esprit public se meurt, les inégalités sociales et territoriales explosent. […] Dans ce moment où le brun a le vent en poupe à l’échelle internationale, notre capacité à tenir tête et à affronter les droites dures est clairement posée. » D’où la nécessité de « travailler, encore et toujours, pour imaginer des réponses renouvelées. Le fil permet de tisser, et donc de créer ».
Avec le Fil, Clémentine Autain et Elsa Faucillon entendent « contribuer à cet effort de mise à jour, d’invention » à gauche, avec une « obsession » : « La cohérence des combats contre les oppressions, dominations, aliénations ».
Elles assurent vouloir « mener tous [l]es combats » : « Entre les travailleurs qui se suicident au travail et les migrants qui peuvent mourir en traversant la Méditerranée, entre les précaires victimes de la dérégulation économique et les femmes victimes de violences, entre la lutte pour l’emploi et la préservation de l’environnement, entre le combat contre le racisme et la défense des droits LGBTI, nous ne choisissons pas. »
Concrètement, l’insoumise et la communiste veulent faire du Fil « un outil pour tracer la voie de ces prises de position concrètes qui permettent de faire valoir cette cohérence ». Mais aussi « que le Fil joue un rôle de passerelle », notamment entre « le mouvement social, l’espace politique, le monde intellectuel et artistique ».
Pour l’heure, le Fil se présente comme une newsletter hebdomadaire. Mais les deux parlementaires assurent qu’il « se prolongera par des initiatives publiques ». Et de conclure leur édito : « Nous voulons faire mouvement, influer sur le cours de la construction politique à gauche. »
Loïc Le Clerc, publié sur le site de Regards.
Edito Le Fil des Communs
Nous prenons une initiative politique, l’époque nous y oblige pour bâtir une issue émancipatrice aux crises contemporaines. Nous voulons participer activement au travail de refondation des idées, stratégies et formes politiques à même d’agréger et de gagner dans notre pays.
Tout récemment, les gilets jaunes ont accéléré la prise de conscience des conséquences dramatiques des choix politiques opérés depuis plusieurs décennies. Au mépris des classes populaires s’est opposée l’exigence de dignité. Financiarisation de l’économie capitaliste, explosion de la précarité, menace croissante sur la pérennité de notre environnement, consumérisme effréné qui abîme la planète et nos désirs, services publics démantelés, technocratie en lieu et place de la démocratie… L’esprit public se meurt, les inégalités sociales et territoriales explosent. Sur les ronds-points, cette société qui ne tourne pas rond se trouve vertement critiquée. À raison. Si ce mouvement a surpris dans sa forme, dans ses coordonnées territoriales et politiques, c’est qu’il ne ressemble pas à ce que le XXe siècle et même le tout début du XXIe avait connu. Les gilets jaunes cristallisent la nécessité d’aller au-delà des formes traditionnelles du mouvement ouvrier. Cela ne signifie pas que syndicats, communistes, socialistes, ne sont plus mais qu’ils n’ont plus, à eux seuls, la capacité d’entraînement et d’encadrement d’hier. Ce fait est un indicateur profond des changements qui s’opèrent. Il s’accompagne d’une réalité inédite : en soutien actif aux gilets jaunes, on a trouvé notre gauche et… l’extrême droite. Rien d’anodin. Cette réalité suppose d’aiguiser la stratégie politique pour ne pas sombrer avec le brouillage actuel des lignes de clivages. L’Italie est de ce point de vue un contre-exemple instructif. Dans ce moment où le brun a le vent en poupe à l’échelle internationale, notre capacité à tenir tête et à affronter les droites dures est clairement posée.
C’est pourquoi nous devons travailler, encore et toujours, pour imaginer des réponses renouvelées. Le fil permet de tisser, et donc de créer. Nous voulons avec LE FIL contribuer à cet effort de mise à jour, d’invention. L’échec cinglant des expériences de type soviétique puis la déroute des expériences sociales-démocrates en Europe ont profondément percuté les schémas de pensée à gauche. Le mot gauche est profondément abîmé, il se trouve comme démonétisé. Faire du neuf à cette échelle historique n’est ni une mince affaire ni une simple histoire de tactique, de programme ou de slogan. Ce chemin se construit en avançant, et nous ne partons évidemment pas de rien. Des cultures se sont mélangées depuis plusieurs décennies maintenant, des propositions innovantes ont émergé, la France Insoumise a été identifiée comme un espace politique neuf. Mais la réflexion doit encore être poussée. Nous proposons ce cadre, LE FIL, pour mettre l’ouvrage sur l’établi.
LE FIL, c’est aussi une ligne, un trait qui trace clairement un horizon. Notre obsession, notre fil, c’est la cohérence des combats contre les oppressions, dominations, aliénations. Nous voulons un modèle de société qui sorte du capitalisme mais aussi de tous les modes d’oppressions et de dominations. Entre les travailleurs qui se suicident au travail et les migrants qui peuvent mourir en traversant la Méditerranée, entre les précaires victimes de la dérégulation économique et les femmes victimes de violences, entre la lutte pour l’emploi et la préservation de l’environnement, entre le combat contre le racisme et la défense des droits LGBTI, nous ne choisissons pas, nous voulons mener tous ces combats. Le temps du refrain « priorité à la révolution contre le capitalisme, le reste viendra après » doit être révolu. Oui, il faut articuler égalité et liberté, ambition écologique et « question sociale », qui elle-même est totalement liée à ce que certains qualifient de sociétal pour les dissocier. Il faut faire du neuf, pas de la triangulation politique. LE FIL est un outil pour tracer la voie de ces prises de position concrètes qui permettent de faire valoir cette cohérence, une vision du monde résolument tournée vers l’émancipation humaine, dans toutes ses dimensions.
Le fil sert aussi à relier. Nous voulons que LE FIL joue un rôle de passerelle. Dans ce moment où les repères traditionnels explosent, nous en avons besoin. L’esprit d’ouverture et le parti pris du pluralisme nous tiennent fondamentalement à cœur. LE FIL se veut lieu de confrontation des expériences et des idées, condition d’une élaboration plus fine, plus pertinente. Ce que nous voulons relier, dans le respect de chacun, c’est aussi les trois univers décisifs pour un entrainement populaire : le mouvement social, l’espace politique, le monde intellectuel et artistique.
LE FIL se lance avec cette première newsletter, dont la parution sera hebdomadaire, et se prolongera par des initiatives publiques. Avec toutes les forces individuelles et collectives disponibles qui se reconnaissent ou se reconnaîtront dans notre démarche, nous voulons faire mouvement, influer sur le cours de la construction politique à gauche.
Clémentine Autain et Elsa Faucillon, le 4 février 2019.