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« C’est Marseille bébé ! » (DJ Abdel)

János Korom Dr.

Dans la nuit du lundi 17 avril 2023, une nouvelle fusillade a eu lieu. Cette fois-ci ce sont quatre blessés que l’on déplore. La liste s’allonge des fusillades et on en est à 15 morts depuis le début de l’année. Les Marseillaises et les Marseillais regardent cette poussée de violence avec amertume. Le constat on le connaît, les causes on les connaît, les solutions doivent être appliquées.

Silence on meurt

Marseille semble maudite. La ville enterre ses morts, prise entre la colère et la résignation. Tout d’abord, il y a les fusillades. Depuis maintenant plusieurs années, la cité phocéenne est étiquetée comme le supermarché de la drogue. Les cités annoncent des menus, les « chouffeurs » ou « charbonneurs », jeunes garçons d’une quinzaine d’années se font leur argent de poche, pensant dominer la situation. Isolés, à la merci des réseaux, progressivement ils basculent dans un monde de violence où ils ne maitrisent plus rien. Les chefs de réseaux innovent. Avec le deal, on propose des passes. On fait venir des jeunes d’ailleurs afin qu’ils n’aient plus aucun contact avec leur famille, leurs amis, ou encore on utilise les jeunes migrants. Parfois, on les séquestre et on les violente pour qu’ils obéissent…

La violence s’amplifie au fur et à mesure que le « business » se développe. Mais les assassinats ne sont que la pointe émergée de l’iceberg. Parce qu’à Marseille, on meurt aussi parce qu’on est femme. Comme Sandra, morte de faim séquestrée par son père, le 7 avril. Ou encore le 7 septembre dernier, lorsqu’un forcené tue sa mère et son épouse sous les yeux de ses trois enfants dans le quartier du Panier.

Les faits de violence mortelle sont nombreux. Le 2 mars 2023, un chauffard perd le contrôle de sa voiture et tue une passante de 22 ans. Le 10 mai 2022, un parent d’élève meurt d’un coup de couteau dans le 14° arrondissement. Ou encore le 28 octobre dernier, une maman, abandonnée de tous et désespérée, noie son fils autiste dans l’Huveaune.

Par ces quelques exemples qui semblent ne pas avoir de liens entre eux, on mesure la violence de la ville. On s’accoutume, on voit les rubalises, on entend les sirènes ou des pétards qui pourraient être des tirs. On se raconte ce qui a pu mener à ça. Lorsqu’on entend parler d’un nouveau fait, on espère que ce n’est pas quelqu’un que l’on connait. Mais en fait on le sait, c’est une tension palpable, une ville qui derrière ses apparats de spot touristique est gangrénée par la misère.

La misère moins pénible au soleil ?

Car disons-le, répétons-le, ce qui tue à Marseille c’est la misère. Les inégalités socio-spatiales ne sont pas neuves. Elles ont été renforcées par la politique de Gaudin. Dans les quartiers-Nord et l’hyper-centre, des quartiers qui sont parmi les plus pauvres d’Europe. Sur la Corniche et la colline du Roucas les villas des riches aux revenus parmi les plus hauts de France.

Durant la crise du COVID, la carte des décès ressemblait à la carte des inégalités. A Marseille il n’y a qu’un seul hôpital dans les quartiers nord pour un tiers de la population. Et comme partout dans le monde, les classes aisées se sont vaccinées et les classes populaires moins, beaucoup moins. Sans doute, parce que l’idée que rien de bon ne vient d’en haut a tellement gagné les esprits, qu’il ne fallait pas pousser beaucoup pour que la défiance s’installe.

Mais ce n’est pas que la politique municipale qui explique cette situation. Comme Marseille est une ville pauvre, la politique ultra-libérale qui consiste à faire des économies sur le dos des services publics a eu des répercussions immédiates et à long terme sur la ville. Fermeture ou réduction drastique des effectifs des commissariats de quartier, des personnels hospitaliers, des travailleurs.ses sociaux1, des enseignant.es …. Et alors ce qui était dur est devenu très dur. Le cercle vicieux s’est enclenché. On a assisté aux départs de celles et ceux qui le pouvaient et être mutés à Marseille est devenu une punition ! Car contrairement à ce que disent les divers ministres de la ville et de l’intérieur, ce ne sont pas des quartiers dans lesquels on ne peut pas rentrer mais bien des quartiers d’où on ne peut sortir.

Car oui, les choix politiques ont des répercussions toujours plus fortes sur les classes populaires. Lorsque vous vous attaquez au réseau public de médecine psychiatrique2, par exemple, vous laissez se détériorer tout un champ essentiel de la santé et vous abandonnez des populations pour qui ce service public est vital. Lorsque vous supprimez le label ZEP pour les lycées, vous abandonnez pas moins de sept lycées et LP dans la cité phocéenne. Lorsque vous ne prenez pas en charge les jeunes migrant.es mineur.es ou jeunes majeur.es, vous laissez des jeunes et des enfants errants être la proie des réseaux. Lorsque vous n’agissez pas contre l’inflation ou que vous n’augmentez pas les salaires, vous ouvrez la porte au système D. Vols de nourriture pour manger, prostitution et deal3. Lorsque vous ne pensez que rentrées d’argent, vous vendez votre port aux croisiéristes et vous livrez la ville à la pollution de l’air4 qui sème la mort de manière plus lente. Lorsque, face à la consommation de stupéfiants, vous répondez par la répression au lieu d’une politique de santé, d’éducation et de prévention, vous ne luttez pas contre un problème de santé publique. Et vous laissez prospérer des réseaux gangstérisés.

Des ressources il y en a !

Car rien ne va dans la politique des pouvoirs publics. Quand le 25 février, Darmanin envoie la CRS 8 à Marseille, tout le monde sourit. Deux-cents hommes sont déployés et une semaine après 5 fusillades ont lieu. Contrairement à ce que dit le ministre de l’intérieur ou la préfète, ces fusillades ne sont pas le signe que la réponse policière du gouvernementale fonctionne mais bien le contraire. C’est un échec, visible. Et le silence assourdissant la semaine suivante à propos des fusillades est le signe de cette pantalonnade. La CRS 8 s’en va pour Mayotte et nous restons avec nos problèmes.

Dans le même ordre d’idée, le fameux Plan Marshall, appelé « Plan Grand Marseille » est un marché de dupe. On propose un milliard et en échange, on libéralise toujours plus. On a accès à cet argent si et seulement si, on accepte de se soumettre à certaines règles. Par exemple, les écoles ou collèges doivent accepter d’avoir un recrutement localisé de « personnels motivés et innovants » (comme si le problème était un manque de motivation préalable ou une absence d’ingéniosité). A cela s’ajoute la contractualisation de toutes les politiques publiques, on doit se plier aux objectifs, rendre des comptes et présenter son bilan chiffré. Et dès la rentrée chaque école doit présenter un meilleur bilan que celle d’à côté. Fin de la solidarité, bonjour la concurrence à l’affichage de projets bidons… Dans les collèges et les lycées, on met en place des « micro-structures » : macro-problèmes, mais micro-solutions… On envoie ponctuellement la BAC, qui intervient brutalement là où tout le monde sait qu’il faut une police de proximité et du quotidien, respectueuse de la population et à l’écoute de ses besoins. Un service public en qui elle puisse avoir confiance, dont les agent.es sont présent.es sur le terrain et formé.es à l’écoute et au dialogue, qui connaissent en profondeur la réalité sociale et économique de ces quartiers et qui n’en rendent pas responsables celles et deux qui la subissent… On exige de la mairie qu’elle conditionne l’accès au logement : on entretient ainsi les spirales de la misère et des groupes entiers sont laissés à la rue, relégués dans la pire marginalité sociale, juridique, économique et livrés aux expédients pour assurer leur survie quotidienne. D’une politique à long terme, on passe à une politique du tableau Excell. Il faut des résultats comptables à afficher ! Point de plan d’urgence conséquent, point d’efforts sur la santé et la santé mentale, point de personnel éducatif, point de personnel de protection de la jeunesse et de la justice. Point de partage des richesses et point de politique concertée entre la municipalité et le département, entre les villes riches de la métropole et Marseille. Villes riches qui ont dit à plusieurs reprises qu’elles ne « paieraient pas » pour elle.

Parce qu’en fait Marseille est une vitrine. On vient s’y pavaner quand on est ministre ou président. Mais lorsque les députés FI de la ville posent des questions au gouvernement, on répond à côté. Alors que le mouvement social sur les retraites empêche la venue du président, Brigitte Macron rassure : « le président viendra ! » Ouf ! Nous étions si inquèt.es… Lorsque le ministre de l’Intérieur vient au moment de l’explosion de la rue de Tivoli, le Maire est obligé d’expliquer que, par décence, on ne va pas se faire photographier devant les gravats. Et le ministre n’a pas un mot pour déplorer les jeunes victimes des fusillades, pas un geste en direction de leurs familles… Lorsqu’on veut annoncer des innovations libérales, on se sert de la ville. En fait, rien de ce qui a été mis en place ne fonctionne, mais ça n’est pas grave, parce que finalement, il est bon d’avoir un espace de « non droit » où on peut « expérimenter » et aussi faire des films comme « Bac Nord ». C’est le signe que là où vivent les pauvres et les immigré.es (ou descendant.es d’immigré.es), c’est le chaos. Et personne ne veut du chaos chez soi…

Mais ne parler que d’échec et de résignation serait mal connaitre la cité phocéenne. Alors que la ghettoïsation gagne, les réseaux de solidarité résistent avec opiniâtreté. La colère n’éteint pas la solidarité, elle l’alimente. Les actrices et acteurs de terrain s’organisent, luttent et cherchent des solutions pérennes. Comme dans les mobilisations contre le paiement des charges qui exploisent dans les cités HLM.

Alors oui, « C’est Marseille bébé » mais c’est aussi Sevran, Roubaix, le Mirail, le Petit Bard, etc. C’est tous les territoires où la misère et les discriminations se concentrent et où les populations luttent pour l’égalité, la reconnaissance et la dignité.

Aujourd’hui, nous la GES, nous soutenons les mobilisations des parent.es et citoyen.nes qui se rassemblent, luttent et marchent contre les violences, toutes les violences. Parce qu’un enfant qui meurt dans une fusillade, c’est d’abord un enfant qui meurt. Nous demandons une prise en charge conséquente et sur le long terme pour les familles des victimes.

Nous demandons la fin de la doctrine “des forces de l’ordre” et le retour de la police dans le giron des services publics. La police doit écouter, prévenir, anticiper et comprendre. Elle est au service de la population et pas une milice armée au service du pouvoir.

Nous demandons à ce qu’un effort important soit engagé dans la formation et l’encadrement des agents de police. Cela passe y compris par des stages en immersion dans des associations de médiation sociale. Le dialogue doit être le réflexe initial. L’implication des associations et des citoyens doit aussi être envisagée dans le cadre d’une réflexion sur la police et ses objectifs qui doivent être redéfinis comme des objectifs de médiation et désescalade plutôt que dans la répression, l’hostilité et la confrontation.

Nous demandons une restructuration et une nouvelle ventilation des effectifs de police pour que ceux-ci soient au plus près des citoyens : la proximité entraîne aussi le sentiment de sécurité…

Nous demandons des moyens supplémentaires exceptionnels pour la police judiciaire et le renseignement, à la hauteur des enjeux que représentent ce trafic, afin de démanteler durablement les filières d’approvisionnement et de montage des armes de guerre qui circulent dans nos quartiers.

Nous demandons des moyens pour la justice et le suivi des dossiers criminels. Nous demandons aussi un débat public sur la réponse carcérale et son inefficience.

Nous demandons l’arrêt des programmes de vidéosurveillance qui ne sont qu’un gaspillage de l’argent public et qui montrent chaque jour leur inefficacité. En réalité il ne s’agit pas de vidéosurveillance mais bel et bien aujourd’hui de vidéo contrôle des populations !

Nous demandons que des travaux d’urgence soient entrepris partout où le besoin s’en fait ressentir. La sécurité passe aussi par un éclairage public fonctionnel, une voirie en bon état et un mobilier urbain entretenu.

Nous soutenons la mise en place de la loi « Rue d’Aubagne »5 contre le logement indigne et nous demandons un vrai débat démocratique sur la légalisation du cannabis qui se fasse sans à priori.3

Enfin, nous demandons un réel partage des richesses, alors que la CMA-CGM, Vinci ou Véolia (pour ne citer que les plus connues), se partagent la ville : il est temps que les Riches payent !

Un autre Marseille est possible !

Manue Johsua et Mohamed Bensaada.

  1. Claude ARDID « Au cœur de la brigade des mineurs », 2023.

  2. https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/psychiatrie-apres-deux-agressions-violentes-a-marseille-le-syndicat-sud-sante-de-l-hopital-edouard-toulouse-alerte-sur-la-fermeture-de-lits-2540188.html

  3. Mohamed BENSAADA, “Legalize it », 2022

  4. https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/le-collectif-stop-croisieres-manifeste-a-marseille-contre-le-tourisme-de-masse-2622076.html

  5. https://marsactu.fr/bref/un-collectif-renouvelle-sa-demande-dune-loi-pour-sortir-de-lhabitat-indigne/