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Catalogne. « Définir une nouvelle stratégie et faire le bilan de l’ancienne »

Le discours du président de la Généralité de Catalogne, Quim Torra, du 4 septembre 2018, suscitait des attentes pour savoir si, ayant consulté Puigdemont, les prisonniers, les partis et les entités indépendantistes, cela allait lui permettre d’annoncer un programme commun. Après l’avoir entendu, aucun de ces acteurs ne l’a critiqué ouvertement, à l’exception de la CUP (Candidature d’unité populaire), mais ils n’ont néanmoins pas pu dissimuler leur manque d’enthousiasme au vu de l’inexistence d’une feuille de route et en constatant qu’il s’agissait d’un accord de circonstances, ou pour le formuler encore mieux, de l’accord que les circonstances permettaient, étant donné les divergences au sein de l’indépendantisme.

Cette limitation ne signifie pas que l’indépendantisme soit affaibli ou démobilisé, comme l’ont compris parfaitement les partis et les médias en faveur de l’article 155 [article constitutionnel qui met la Catalogne sous tutelle]. C’est ce que montre cet article de El Pais : « Torra, loin de répondre à l’offre d’apaisement du gouvernement et de refroidir l’automne chaud, enflamme au contraire la mobilisation avec le combustible de la sentence.(Le jugement des inculpés). Non seulement il exige le référendum en dynamitant le dialogue (“Je n’accepterai pas moins que cela”, mais il maintient la logique antidémocratique consacrée lors des sessions parlementaires des 6 et 7 septembre 2017: “Nous ne pouvons accepter qu’une sentence d’acquittement, parce que les délits sont inexistants.” »

En réalité, Torra n’a rien enflammé mais s’est limité à rappeler les accords de base de l’indépendantisme pour ce qui est des aspirations finales, des exigences à court terme et de la volonté de lutte, particulièrement la liberté des prisonniers et prisonnières et le retour des exilés. Les défenseurs de l’article 155 se sont réveillés de leur sieste estivale et ont dû constater que le dinosaure est toujours là… et qu’il porte un grand ruban jaune [le ruban symbolisant l’exigence de libération des prisonniers politiques et le retour des exilés]. Cela les a rendus nerveux.

Référendum, négociation et unilatéralisme

Torra a réaffirmé l’objectif d’un Etat indépendant sous la forme d’une République catalane. Et comme voie pour y parvenir, il n’a pas mentionné la voie unilatérale. Il a offert le dialogue et la négociation pour parvenir à un « référendum d’autodétermination accordé, ayant force obligatoire, et reconnu internationalement. » C’est la revendication qui recueille le consensus de 80 % de la population de Catalogne et que la majorité de l’indépendantisme s’est toujours déclaré d’accord d’accepter. Mais les divergences apparaissent quand il s’agit de juger de son opportunité, de son réalisme et, surtout, quand il s’agit de proposer quoi faire si l’impossibilité d’un accord est démontrée par le refus réitéré de l’Etat espagnol, refus que la ministre porte-parole du gouvernement [Isabel Celaá] s’est dépêchée de rappeler.

La direction de Esquerra republicana de Catalunya (ERC) met l’accent sur la négociation et ses résultats à long terme, comme l’a expliqué la conseillère à la justice de la Généralité, Ester Capella : « Effectivement, je ne veux pas plus de gens en prison ni en exil, parce que je pense que cela ne se résout que d’une manière dialoguée. Un jour arrivera qui verra le dialogue permettre de conclure des accords avec l’Etat. Le mur de Berlin est tombé, non ? Et il est tombé grâce à la persévérance des citoyens. » Cependant, lors de leur conférence du mois de juin, la majorité des militants de ERC ont refusé d’abandonner la voie unilatérale et la désobéissance comme formes de lutte.

Puigdemont et la direction de la Crida Nacional per la Republica (L’appel national pour la République) appuient la proposition de Quim Torra. Toutefois, il n’est pas clair quelle position ils adopteront au cas où la voie dialoguée continue de ne donner aucun résultat. Il n’est pas clair non plus si la Crida réussira à rassembler tous les militants du Parti démocratique de Catalogne bien que la tendance ait été la position gagnante à l’assemblée du parti, en juillet dernier.

Elisenda Paluzie, présidente de l’Assemblée nationale de Catalogne (ANC), a déclaré : « Nous devons continuer à nous préparer pour la seule voie possible, la unilatérale, mais tout en étant disposés à la voie négociée. » Mais elle précise, néanmoins, qu’on ne peut promettre aux citoyens ni dates ni délais.

Vicent Partal, directeur de VilaWeb, le quotidien en ligne catalan, croit quant à lui que les délais peuvent être proches : « Il est indiscutable que si la situation des prisonniers ne se résout pas et que l’Etat espagnol requiert en décembre vingt ou trente ans de prison, toute action du gouvernement pour éviter le procès sera pleinement justifiée – y compris, à l’échelle internationale, au vu des résolutions sur le mandat d’arrêt européen -… ; si en plus le gouvernement de Madrid cherche à poursuivre sur la voie discréditée de la violence, la Catalogne aura sous la main la solution cet automne même : instituer la République en expliquant au monde qu’il n’y a pas d’autre issue. »

Carles Riera, député de la CUP, a critiqué ouvertement le discours de Quim Torra, en déclarant que l’Etat espagnol ne négociera pas un référendum et que les conditions existent pour rendre possible la rupture, comme elles existaient le 27 octobre 2017, quand le gouvernement catalan et les partis politiques ne voulurent pas assumer la situation.

Marche pour les droits civils, sociaux et nationaux

Une nouveauté intéressante du discours de Torra a été de s’adresser directement, en castillan, aux citoyens de l’Etat espagnol : « Cette conférence est aussi une proposition à tous les citoyens d’Espagne, quoi qu’ils pensent de l’indépendance de la Catalogne, mais qui, face à la violence, aux menaces et aux injustices, souhaitent s’ajouter à nous dans une marche pour la défense des droits civils et sociaux et du droit à l’autodétermination des peuples. »

Il s’agit maintenant de voir si des efforts vont être consacrés pour faire avancer cette proposition, avec la même intensité que le travail de solidarité au niveau international. Une bonne occasion pour le faire, c’est la lutte pour la liberté des prisonniers et le retour des exilés, en insistant que les accusations contre eux sont intenables, comme le jugent plusieurs juristes, les tribunaux européens, et chaque fois plus de secteurs de la population. Et parce que, si finalement ils étaient condamnés, la porte serait ouverte pour condamner pour le même délit les auteurs de n’importe quelle action pacifique qui remette en question le régime de 1978 [dit le régime de la transition du franquisme à la monarchie espagnole].

La Marche pour les droits civils, sociaux et nationaux, est intéressante de par quelques affirmations de caractère général, mais elle suscite également beaucoup de questions dans sa concrétisation.

Pour introduire la proposition, Quim Torra proclama : « Parce que ce n’est pas la République qui nous conduira aux droits civils, sociaux et nationaux que nous convoitons mais bien la lutte pour ces droits qui nous amènera la République. » Cette déclaration pourrait être interprétée comme un changement très salutaire du dogme traditionnel qui veut que : d’abord l’indépendance et ensuite nous parlerons des droits civils et sociaux. Mais le président n’insista pas sur ce thème et il est aussi possible qu’il ne s’agissait de sa part que d’une envolée pour la beauté du geste.

Le point le plus critiqué de la proposition de Marche a été sa date, et le manque de concrétisation des propositions qui seront formulées alors : « Une marche, donc, pour les droits civils et nationaux qui commence demain et qui termine le jour des sentences contre les prisonniers politiques…, personnellement je ne peux accepter et n’accepterai aucune sentence qui ne soit pas la libre absolution par un acquittement complet. Si c’est le cas contraire, si la sentence ne devait pas être la libre amnistie des accusés, j’étudierai quelles décisions doivent être prises et je me mettrai à disposition du peuple de Catalogne, à travers ses représentants légitimes au Parlement. » Cela signifie-t-il qu’il se limitera à démissionner ? Ou pense-t-il rendre effective la république proclamée le 27 octobre comme le réclament certains ? Comme par la suite il n’y a eu aucune précision, on ne peut que constater que le dénouement du procès sera un moment critique de l’évolution de la situation politique, tant en Catalogne que dans l’Etat espagnol.

Quim Torra a affirmé également qu’il était important de « convertir les politiques sociales et de progrès que veut impulser le gouvernement de Catalogne en véritable moteur du changement républicain. Et pour cela il est également tellement important de récupérer d’urgence les lois sociales progressistes et avancées qui furent suspendues par le Tribunal constitutionnel sur plainte du Parti populaire. » Si on veut agréger plus de gens au projet de république catalane, il est évident qu’il faut faire des politiques sociales favorables aux classes populaires et, donc, abandonner les politiques néolibérales menées jusqu’à présent. Et, pour cela il ne suffira pas, ni de loin, de récupérer les lois progressistes suspendues par le Tribunal constitutionnel. Est-ce cela que propose le président Torra ? On peut en douter, mais le projet de budget apportera bientôt une réponse.

Le président a également fait référence au processus constituant tant de fois reporté : « Nous avons besoin de commencer la première phase de la démarche vers un processus constituant, fruit de grands consensus sociaux… qui ait pour point de départ la constitution d’un Forum civique, Social et Constituant, avec pour mission de promouvoir le débat constituant en Catalogne avec l’ambition d’obtenir la maximale participation de la société : que chaque citoyen qui participe se sente lui-même sujet politique constituant. » Mais c’est là une formulation très générale, qui ne dit rien de la composition du Forum, ni de l’ampleur de la participation citoyenne et qui ne fait aucune référence à la résolution du Parlement qui affirmait : « Le résultat de cette participation citoyenne constituera un mandat impératif pour les membres de l’assemblée constituante, qui devra les incorporer au texte du projet de constitution. » Ces questions oubliées sont très importantes pour impliquer des secteurs populaires, indépendantistes et non-indépendantistes, dans la définition de la future république et de la lutte pour en faire une réalité.

Quelle politique d’alliances ?

Le président Quim Torra n’a pas abordé ce sujet mais il convient de le faire si l’on veut tirer des conséquences pratiques de ses propositions. Si on prétend réunir tous ceux qui sont en faveur d’un référendum d’autodétermination accordé, de la liberté des prisonniers et des exilés, et en faveur d’impulser des politiques sociales et de progrès, ainsi que de commencer la démarche d’un processus constituant, il est évident que l’unité de l’indépendantisme ne suffit pas mais qu’il faut rechercher des alliances avec les Communs [regroupement politique, comme à Barcelone] : parce qu’ils ont repris toutes ces questions dans leur programme et qu’il y a déjà eu des convergences avec eux dans la pratique. Il faut éviter les jugements tranchants ou sectaires sans pour autant taire les critiques: leur passivité dans la préparation des 1er et 3 octobre [référendum et grève] – sans oublier qu’ils ont participé – et la fausse équidistance du «ni Déclaration unilatérale d’indépendance ni article 155», tout en rappelant qu’ils ont été opposés à l’application de l’article 155 et qu’ils ont participé à la défense des prisonniers et des exilés. On peut être en désaccord avec Ada Colau [la maire de Barcelone] quand elle déclare qu’elle n’assistera pas à la manifestation du 11 septembre 2018 [manifestation à l’occasion de la Diada Nacional de Catalunya] parce qu’elle renforce la voie unilatérale, mais il faut encore voir ce qu’elle fera finalement et, surtout, quelle orientation adoptera son parti [1].

La politique d’alliances dans la perspective des élections municipales de mai 2019 est un autre point sensible. Non seulement en relation avec les Communs mais au sein même de l’indépendantisme. En ce sens, les candidatures unitaires indépendantistes que parraine l’ANC présentent le risque de diviser l’indépendantisme – parce que ni ERC ni la CUP ne les acceptent – et rendent plus difficiles les accords avec les Communs et, enfin, prétendent régler les alternatives municipales du pays sur le seul critère d’obtenir une majorité indépendantiste.

Pour résumer brièvement pourquoi le discours du président Quim Torra ne pouvait être que l’accord que les circonstances permettaient, je citerai une phrase du professeur Ferran Requejo, qui participe à la liste de Junts per Catalunya. Déjà en juillet, il avertissait : « Entre le discours de la “République indépendante” et la réalité, il y a plus d’un vide stratégique, logistique et temporel. » Pour remplir ce vide, il est nécessaire que « le mouvement souverainiste se dote d’une nouvelle stratégie, mais il le fera difficilement s’il n’aborde pas sérieusement le bilan de la stratégie antérieure.» Mais ce travail reste à faire.

Marti Caussa. Article publié sur le site de Viento Sur, en date 8 septembre 2018. Titre de la rédaction de A l’Encontre. Traduction de A l’Encontre.

Marti Caussa est membre du Comité de rédaction de Viento sur.

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[1] La Diadaa été convoquée pour ce 11 septembre 2018 par l’Assemblée nationale catalane (ANC) avec l’appui de Omnium cultural et l’Asociación de Municipios por la Independencia (AMI). Le but «démonstratif»: remplir la Diagonal de Barcelone, depuis l’intersection Glòries jusqu’à Palau Reial, soit sur une distance de 6 kilomètres. Le thème de cette Diada : «Faisons la République catalane». Le chiffre de un million de manifestant·e·s a été articulé par l’ensemble de la presse. Ce n’était pas une Diada «habituelle» dans le contexte politique actuel. El Periodico soulignait que «le pouvoir de rassemblement ne faiblit pas; mais son efficacité politique réelle ne se dégage pas». (Réd. A l’Encontre)