Le mardi 1er janvier 2019, est entré en fonction l’ancien capitaine de l’armée brésilienne, Jair Messias Bolsonaro, nommé président dans un processus électoral controversé dans lequel son principal opposant, le représentant de Lula da Silva, Fernando Haddad [qui avait perdu des élections à la mairie de São Paulo, en octobre 2016, face au représentant, João Doria, du PSDB, parti historique de la post-dictature, avec un résultat misérable de 17 %] a été battu (avec 44,7 % des suffrages) alors que Lula avait été et restait emprisonné [depuis avril 2018]. Cela suite à un procès judiciaire sans preuve matérielle, mais qui n’a pas empêché condamnation et incarcération.
Jair Bolsonaro a été élu avec une sorte d’anti-campagne soutenue par une campagne [médiatique animée par TV Record évangélique et les réseaux sociaux] faite de mensonges et d’histoires mensongères construites, aussi, sur un véritable éloge de tout ce qui n’est pas la démocratie. Bolsonaro n’a pas assisté aux débats publics officiels, même lorsque les médecins le lui ont permis de sortir de son hôpital [suite au coup de poignard dans l’abdomen qui lui a été infligé le 6 septembre 2018]. Il n’a pas non plus expliqué concrètement son plan gouvernemental. Il a donné un relief public au sentiment antipétiste [PT : Parti des travailleurs] et au tsunami réactionnaire qui s’est emparé du pays. Ainsi, a été élu démocratiquement, un ennemi déclaré de la démocratie a été élu, un admirateur des régimes autoritaires brésiliens [entre autres la dictature de 1964-1968-1985] et de leurs tortionnaires et assassins.
Avec l’ancien capitaine [écarté du corps des parachutistes il y a 27 ans], est le support d’un véritable anti-mystère, pour employer un terme qui a circulé récemment sur les réseaux sociaux, qui n’est de loin pas le visage de notre Brésil, ni par sa configuration, et encore moins par ses valeurs. Dans le pays où la population d’ascendance africaine est la plus importante au monde [avec un statut d’esclavage qui n’a été aboli officiellement qu’en mai 1888], aucun Noir n’assume un rôle de premier plan. Avec plus d’un quart de la population brésilienne et près de 20 % du territoire national, la région du Nord-Est [la plus pauvre et qui a voté majoritairement Haddad ou Ciro Gomez, Parti travailliste, dans sa forteresse de Fortaleza, capitale de l’Etat du Ceara et qui comporte une population de quelque 54 millions d’habitant·e·s] ne disposera d’aucun représentant dirigeant un ministère dans le nouveau gouvernement.
Quant aux femmes, dans un pays majoritairement féminin, il n’y en aura que deux parmi les vingt-deux ministres. La première : Tereza Cristina. Elle occupe le poste de ministre de la Agriculture, de l’Elevage et de l’Approvisionnement [ingénieure agronome de formation, elle est la représentante de la fraction parlementaire réactionnaire des ruralistes, membre du très à droite parti Democrates – DEM. Nommé la « muse du poison », elle est liée à JBS [la firme membre de l’oligopole de la production et exportation de produits carnés, lié à la corruption politique, de Temer entre autres ; JBS emploie quelque 234’000 salarié·e·s]. La seconde, la pasteure anti-droit à avortement et antiféminisme Damares Alves au ministère de la Femme, de la Famille et des Droits humains. C’est la logique du « Renard dans le poulailler » qui, soit dit en passant, se retrouve dans divers ministères et les dossiers dont ils sont en charge.
1° Un militant anti-SUS [système public de santé] au ministère de la Santé : Luiz Henrique Mandetta, membre des DEM, formation d’orthopédiste, mais surtout médecin militaire dans l’hôpital central de l’armée, il a voté la destitution de Dilma Rousseff et favorable à toutes les contre-réformes sociales lorsqu’il était député fédéral depuis 2010, entre autres la congélation des dépenses publiques sous forme de l’amendement constitutionnel 95 en 2016]. 2° Un défenseur de la déforestation dans l’environnement. 3° Un ennemi des enseignants dans l’éducation [le « théoricien » réactionnaire colombo-brésilien : Ricardo Vélez Rodriguez. 4° Un adepte illuminé de l’« antimondialisation » au ministère des relations étrangères [Ernesto Araújo, climato-sceptique à la Trump et qui déclarait : « Trump est le seul avec Dieu à pouvoir sauver l’Occident. » 5° Un homme de la banque Santander qui devient responsable la Banque centrale [Roberto Campos Neto a fait une carrière chez Santander dont la dernière étape, avant son poste de ministre, fut celle de responsable des marchés régionaux et internationaux ; il est proche de l’ultra-libéral Paulo Guedes, ministre de l’Economie, et admiré par l’ancien patron de Goldman Sachs, Craig Blankfein]. 6° Un corrompu déclaré à la Maison civile, Onyx Lorenzoni [soit au Cabinet de la présidence, une structure administrative déterminante, un politicien, homme d’affaires, vétérinaire de profession, opposant dès 2003 du gouvernement du PT et poursuivi pour des dizaines d’affaires de corruption, entre autres liées à la grande firme de construction Odebrecht]. 7° Un privatiste débridé dans l’économie, Paulo Guedes. 8° Un justicier au ministère de la Justice et de la Sécurité publique, Sergio Moro [qui a organisé l’incarcération de Lula], et ainsi de suite.
La présence de militaires dans le gouvernement Bolsonaro, par le biais du Cabinet de la sécurité institutionnelle [le général Augusto Heleno], de la Défense [le général Fernando Azevedo e Silva], du Secrétariat du gouvernement [le lieutenant général Santos Cruz], du ministère de la Science, de la Technologie et des Télécommunications [Marcos Cesar Pontes], de celui de l’Infrastructure et des Mines et de l’Energie [le capitaine à la retraite Tarcisio Gomes de Freitas], sans parler du vice-président, l’ex-général Hamilton Mourão [président du Club Militar] lui-même, qui attire l’attention sur l’aspect « non-décoratif » de ces militaires, démontre un niveau de surveillance militaire d’un gouvernement jamais vu depuis la « redémocratisation » de 1985. Mourão, en effet, a toujours été prêt à assumer un rôle non « décoratif » pour se souvenir de l’expression de l’ex-président Michel Temer, auteur du coup d’Etat parlementaire. Et dans ce Brésil post-coup d’Etat institutionnel, il n’est pas de bon goût d’ignorer les caractéristiques de ces militaires, et encore moins leur position de pouvoir.
Il n’y a aucun moyen d’imaginer que quelque chose de bon puisse sortir de cette calebasse. Pourtant, il y a ceux qui, de par de bonnes intentions ou pas, croient qu’il faut donner du temps et attendre de voir ce que Bolsonaro et sa troupe vont faire une fois au gouvernement. Nous, nous sommes de ceux qui croient qu’il n’y a pas une seule minute à attendre pour organiser la résistance à travers le pays.
Nous n’avons aucune raison de minimiser les menaces du nouveau gouvernement. Toujours dans les derniers jours de 2018, le Président élu a envoyé au moins deux messages sur Twitter : le premier le 29 décembre, déclarant qu’il garantira par décret la liberté de « possession » d’une arme à feu, avec un permis définitif, indiquant sa volonté de former un gouvernement fortement marqué par un discours violent comme forme de sécurité.
Le deuxième message, émis le dernier jour de l’année, s’adressait à l’ensemble de la communauté scolaire et universitaire du pays en plaçant parmi les objectifs de son gouvernement « la lutte contre les ordures marxistes qui se sont installées dans les institutions éducatives ». Une lutte qui constitue un moyen de sortir le pays des « pires positions dans le classement international (ranking) du système éducatif », faisant ainsi référence claire à la répression de la liberté de pensée dans les écoles et les universités publiques, une volonté claire de maintenir une polarisation qui place ses disciples dans une « guerre sainte » permanente contre la « gauche ».
Il n’y a donc aucune raison de baisser la garde. Bien au contraire. Il n’y a aucune raison de douter de l’intention de ce gouvernement de mettre fin aux droits des travailleurs et travailleuses en introduisant la carte « vert jaune » [qui renvoie à la suppression de tout contrat impératif pour l’employeur dans l’engagement de jeune] ou de faire que les emplois relèvent de l’informalité complète. Il est nécessaire de construire l’unité dans la lutte pour l’érection de tranchées et cela, dès le premier moment. Dialoguer avec notre peuple sur tous les lieux et préparer les immenses luttes qui vont se dérouler. Depuis le Carnaval du 5 mars à Rio, avec toute son caractère irrévérencieux, jusqu’au 8 mars, une journée de lutte pour les femmes travailleuses qui sera la plus grande de notre histoire.
Un mois d’avril rouge vigoureux et vibrant à la mémoire de tous ceux qui sont tombés dans la lutte pour la terre dans notre pays. Un 1er mai combatif et une immense unité dans la défense des droits de ceux et celles qui vivent du travail et de leur retraite et ainsi que droit aux prestations de la sécurité sociale, conquis suite à des dures luttes. Et que dans toutes ces manifestations, toutes ces luttes et dans tous les coins que jaillissent des gens conscients et organisés. Nous connaîtrons des journées intenses en 2019.
Editorial de Esquerda online. Publié comme éditorial sur Esquerda online. Traduction et édition par A l’Encontre.
PS. Le 3 janvier, le responsable de la Casa civil, suite à un entretien avec Bolsonaro, a annoncé une purge dans l’administration. Il a déclaré : « Il n’est pas logique d’avoir un gouvernement ayant un profil comme le nôtre et garder des gens qui soutiennent une autre façon de penser, un autre système politique. Nous avons le courage de faire ce que le gouvernement précédent n’a peut-être pas fait : nettoyer la maison dès le début. » Il s’attaque, sous l’angle des contrats passés avec les entreprises privées, fondement de la corruption, à 300 responsables des différentes offres publiques. Il indique que, suite à une « évaluation idéologique », certains pourront être réintégrés. C’est le début d’une opération qui, sans riposte, s’étendra au secteur de l’enseignement, de la santé, de la sécurité sociale, des juges prud’hommes, etc. (AP, AFP, 3 janvier 2019)