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Bouvines : le taureau n’est ni rouge, ni bleu ?

Samedi 11 février entre 13 000 et 15 000 personnes ont manifesté à Montpellier pour « défendre la ruralité » dans un « rassemblement qui sonne l’unité du peuple du Sud pour ses cultures »[1]. Diantre, c’est que l’heure doit être grave ! Mais qu’est-ce qui explique qu’ « au-delà des clivages »[2] une telle manifestation puisse avoir lieu, quelques heures avant la manifestation contre la « réforme » des Retraites qui aura rassemblé 3 fois plus de personnes mais qui n’aura, elle, pas l’honneur d’une couverture médiatique à la même hauteur ?

Revenons au 7 janvier 2023, et une tribune publiée dans Le Monde[3] qui passe assez inaperçue : signée de 50 élu·es, cette tribune propose de « réformer la bouvine » et mettre fin à « certaines pratiques archaïques », avec « une nouvelle réglementation des pratiques entourant la bouvine » car, « si cette activité tauromachique se fait sans mise à mort, elle provoque mutilation et souffrance animale. » Bref, un texte qui se contente de rappeler quelques évidences et qui, de surcroit, ne fait que rappeler des demandes anciennes. Redisons-le, il ne demande pas de supprimer les bouvines, mais d’en modifier certaines pratiques (notamment de la castration à vif..). On peut certes se questionner sur l’opportunité temporelle de cette prise de position (au début de la bataille sur les retraites), on peut également critiquer la forme : pour changer vraiment les choses, une tribune lancée « d’en haut » ne peut être que mal reçue et alimenter un faux clivage villes/campagnes, nous y reviendrons. Rien ne remplace la discussion avec les acteurs locaux, car du reste, il est indéniable que les élevages en Camargue jouent un rôle pour préserver les milieux ouverts et présentent une pratique alternative à l’industrie agroalimentaire, en respectant bien davantage les animaux que les élevages industriels.

Cependant,  sur le fond, ce que dit cette tribune ne pose aucun problème. Mais, sans doute à la recherche d’une existence médiatique et mis à mal par des polémiques sans fin concernant la pratique de la chasse, certain·es élu·es, en particulier de la métropole de Montpellier, lancent une « mobilisation des campagnes contre les villes »[4]. Et cette mobilisation se veut donc « transpartisane », voire « oecuménique ». Citons Louis Aliot, maire RN de Perpignan, et Laurent Jaoul, maire divers droite de Saint-Brès[5] : « La défense de la ruralité est transpartisane. Des gens de gauche sont très attachés aux traditions, à droite aussi. On voit de plus en plus d’attaques d’écologistes sectaires, qui s’accaparent l’espace médiatique. » ; « Que des partis essayent de récupérer cette manifestation, ça fait partie du jeu, mais la ruralité n’a pas d’étiquette, on lance juste un acte de résistance, celui des oubliés de la France…. Le taureau n’est ni rouge, ni bleu. ».

Et donc, visiblement, il n’est pas vert du tout. Car l’ennemi·e est là : c’est l’urbain, c’est le bobo, c’est l’écologiste sectaire. La manipulation est grossière, le discours est carrément réactionnaire, la mobilisation est même très minoritaire, mais l’espace médiatique est plein et le débat clos avant même d’avoir commencé.

Disons-le clairement : nous pensons que cette question est politique et nous pensons que nous n’avons aucune réponse commune avec la droite, l’extrême-droite et l’extrême-centre macroniste.

Nous refusons cette fracture entre des « ruraux » qui seraient la « France des oubliés » et des « urbains » qui seraient les privilégié·es du système. Est-ce qu’on est sérieux lorsqu’on oppose les « ruraux » aux « privilégié.es » habitant·es de La Paillade ? Non seulement, on n’est pas sérieux, mais on est surtout irresponsable car on fait le jeu de l’extrême-droite !

Dans sa note du blog datée du 19 septembre, Clémentine Autain écrivait ceci[6] :

« S’il faut embrasser plus large, nous devons veiller à ne pas construire ou a minima nourrir une césure dans un récit sur la gauche des villes et banlieues versus la France des gilets jaunes, des bourgs, des ronds-points. Comme si les problématiques y étaient si profondément différentes. Comme s’il n’y avait pas, de part et d’autre, des injustices semblables, des riches et des pauvres, de la domination masculine, du racisme… Et un problème vital commun : l’environnement avec le réchauffement climatique, la malbouffe, les pollutions. Je ne suis d’ailleurs pas convaincue par l’expression « la France des… » car elle semble diviser la France en morceaux, entérinant l’idée de plusieurs France quand l’enjeu est de refaire France, c’est-à-dire de recréer du sens et de la perspective commune pour notre République. La boussole de la gauche depuis toujours est l’unité, par-delà leur diversité, des classes populaires, quand celle de la droite est de les diviser et d’en intégrer un morceau à la bourgeoisie.  Ne pas entériner voire renforcer l’opposition ne signifie pas nier des réalités territoriales différentes. À l’heure de la métropolisation, notre projet et notre imaginaire doivent prendre en considération cette donnée. Le capital a sa géographie. Or la gauche a pensé et est identifiée à l’égalité sociale, celle des droits entre les individus. Nous devons désormais porter avec force l’égalité entre les territoires comme l’une des dimensions indispensables de l’émancipation humaine. »

Parmi les nombreux points communs entre les quartiers populaires et les campagnes, il y a par exemple les luttes pour garder des services publics.

La présence d’élu·es de notre camp social dans la manifestation du samedi 11 février à Montpellier ne peut alors que brouiller les réponses politiques que nous pourrions apporter aux problèmes très sérieux qui se posent en France concernant la métropolisation par exemple.

Cela ne signifie pas que nous devons écarter toute discussion concernant les « traditions », d’une part, et la question de la souffrance animale, d’autre part.

Les traditions sont ces ensembles de connaissances, savoirs, pratiques, qui se transmettent de générations en générations, et qui constituent un véritable héritage immatériel humain. C’est une culture commune et qui dit culture commune dit forcément espace politique à interroger et ré-interroger : plus personne ne propose aujourd’hui de maintenir la tradition du lancer de renards, alors que cette tradition était très populaire jusqu’au 18ème siècle. Autre exemple, donné par Jean-Claude Kaufmann[7] : la Saint-Valentin…. Plus personne ne proposerait aujourd’hui que la Saint-Valentin retrouve ses viols collectifs « traditionnels » pourtant à l’origine de cette « fête ». Pour le dire autrement : l’être humain a besoin de traditions pour pouvoir faire communauté, mais il reste nécessaire d’avoir un regard critique sur celles-ci car, parfois, ces « traditions » portent des « traditions » de discriminations et d’exploitation.

Prenons alors la question posée par la tribune dans Le Monde, non pas comme une « attaque » contre la « ruralité », mais comme l’interrogation de « traditions » qui engendrent une souffrance animale indiscutable et discutons, sans créer de faux débats, de comment rediscuter un autre rapport au vivant. Et gardons-nous des voisinages nauséabonds avec des forces politiques dangereuses dont les valeurs et les idées sont aux antipodes du projet d’émancipation que nous portons.

Collectif d’animation GES 34


[1] Edito d’Olivier Biscaye pour le Midi Libre daté du 12 février 2023.

[2] Midi Libre daté du 12 février 2023.

[3] https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/07/tauromachie-il-faut-reformer-la-bouvine-et-mettre-fin-a-certaines-pratiques-archaiques_6156980_3232.html

[4] Frédéric Bort, délégué du RN 34 dans le Midi Libre daté du 10 février 2023.

[5] Midi Libre daté du 10 février 2023.

[6] https://clementine-autain.fr/face-a-lextreme-droite-quelle-strategie-populaire/

[7] Jean-Claude Kaufmann : Saint-Valentin mon amour (Les liens qui libèrent, 2017)