Une année aura suffi à Macron, Vidal et la conférence des présidents d’Université pour mettre au tapis l’Université ouverte à tou·tes. Car c’est bien de cela qu’il s’agit pour les néolibéraux. Détruire consciencieusement et avec méthode, le service public de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. La méthode : aller vite et frapper fort, avant l’émergence d’une alternative politique dans l’ESR qui pourrait fédérer les oppositions à leur projet. Le projet à long terme : faire correspondre l’enseignement supérieur aux demandes du secteur privé.
Dans ce contexte de bataille idéologique sur l’avenir de notre Enseignement Supérieur et de notre Recherche, Mme Vidal, ministre de l’ESRI, sort un nouvel arrêté licence. Il inscrit la modification dans la continuité de l’évolution qu’elle organise de l’ESR : plus de précarité, plus de sélection, et plus de flexibilité pour les Université sur le cadrage de leurs licences. Il s’agit donc de décortiquer ces réformes, pour dévoiler le projet des néolibéraux et les ressorts sur lesquels ils appuient pour arriver à leurs fins.
Rattrapages et compensation : deux outils de réussite à la poubelle
La question centrale reprise dans tous les médias après l’annonce de l’arrêté fut celle des rattrapages et de la compensation. C’est une réalité à l’université depuis longtemps : la précarité de la jeunesse rend nécessaire à beaucoup l’accès à ces deux conquis sociaux. Un.e étudiant.e salarié.e, précaire et mal logé.e, doit avoir le droit à une seconde chance pendant son année. Les rattrapages sont devenus, bien malgré nous, une étape de plus en plus nécessaire pour beaucoup. Permettant aussi de gommer les inégalités face à l’apprentissage (ils ont lieu en juin, laissant à de nombreux étudiant·es plus de temps pour ingurgiter des pages et des pages de cours magistraux), ils sont une porte d’accès à la suite des études, pour des étudiant.e.s ayant acquis les connaissances nécessaires. Pour cela, il est prévu dans l’arrêté que les rattrapages soient remplacés par une « seconde chance », mais qui serait à la libre appréciation de chaque Université, les laissant seules dans son élaboration. Et leur situation financière est désastreuse. Qu’adviendra-t-il de nos rattrapages, quand nos universités ne pourront plus payer d’enseignant·es pour la surveillance et la correction des copies ? Elles les remplaceront par des stages en entreprise durant l’été.
Pour ce qui est de la compensation, il faut rappeler qu’elle n’est pas spécifique à l’enseignement supérieur. Du primaire au bac, un·e élève qui a 10/20 de moyenne à son année peut passer au niveau supérieur. Tout le monde admet qu’il ou elle a acquis assez de savoirs pour continuer sa scolarité. Pourtant, Mme Vidal met un point d’honneur à remettre en question cette logique dans l’ESR. Elle s’appuie sur la supposition que des étudiant.e.s « obtiendraient leurs diplômes trop facilement grâce à des matières annexes ». Mais remplir les licences de matières « transversales » ou « professionnalisantes » a été imposé par les libéraux pour que les étudiant.e.s soient « préparés au marché du travail ». Si ces matières ne servent à rien, ou si du moins elles ne peuvent permettre de justifier un diplôme, alors rien n’empêche de les remplacer par des matières pédagogiques qui correspondent vraiment au diplôme suivi. Sauf, bien-sûr, l’austérité budgétaire. Ces matières sont souvent mutualisées entre les différentes filières des universités, ce qui permet des économies d’échelle.
La vraie raison pour laquelle Mme Vidal met à bat la compensation des notes est bien différente : cet arrêté casse le cadre de la licence en 3 ans, qui aboutissait à l’obtention de 180 crédits ECTS. Une même licence pourra désormais être faite en 2, 3 ou 4 ans, avec un nombre de matières suivies chaque année et des contenus pédagogique différents. De ce fait, la compensation des notes au sein d’un semestre, et entre les deux semestres d’une année, devient impossible puisque les licences ne seront plus organisées en semestres. Afin d’assurer son rêve libéral d’individualisation des parcours pour casser les droits collectifs, le gouvernement laisse les universités complètement libres d’organiser une compensation ou non, entre des grands « blocs de compétences » dont la nature n’est définie nulle part. Là encore, ce sont les plus précaires qui vont être les victimes de la situation. N’ayant pas réussi à valider l’ensemble de leurs unités d’enseignement, privé.e.s de ce filet de sécurité, ils et elles quitteront les universités. Plutôt que de leur assurer les meilleures chances de réussite, les libéraux préfèrent chasser les pauvres de l’enseignement supérieur.
« Qu’adviendra-t-il de nos rattrapages, quand nos universités ne pourront plus payer d’enseignant·es pour la surveillance et la correction des copies ? »
Rappelons au passage que la compensation n’a pas en soi un but pédagogique. Son rôle est de combler les lacunes d’un système défaillant. Conditions d’existences précaires, déficit d’heures de cours, modalités de contrôles de connaissances discutables, dysfonctionnements administratifs… Les raisons ne manquent pas pour expliquer la non-validation, même par un.e étudiant.e investi.e, de toutes ses UE. Dans ce cadre, la compensation apparaît comme un palliatif, permettant d’éviter un taux d’échec astronomique. A l’inverse, sa suppression entraîne la mise en place de fait de notes éliminatoires. Ce qui existe dans les grandes écoles, disposant à la fois d’énormes moyens financiers, de capacités d’accueil restreintes, et d’un public sélectionné issu des classes les plus favorisées. C’est ce modèle élitiste qui sert de base aux réformes en cours.
La qualité de nos diplômes remise en cause
La seconde interrogation qui émerge avec cette publication de l’arrêté licence, c’est la question du cadrage national du nombre d’heures dans les formations. Encore aujourd’hui, une licence, c’est 1500 heures de cours minimum. Aucun établissement de l’ESR ne peut délivrer ce diplôme sans respecter cette règle. Mme Vidal, en mai, a annoncé qu’elle voulait revenir sur ce cadrage. Cela répond au projet néolibéral pour l’ESR : mettre en concurrence les universités en les forçant, à budget constant, à maintenir un haut niveau de formation dans leurs licences. Ce qui aurait pour conséquence de fermer certaines filières, ou d’en faire fusionner d’autres. Nous verrions émerger sur internet des classements des licences par filières en fonction du nombre d’heures de cours données par année.
Après un printemps marqué par la mobilisation étudiante, Mme Vidal est revenue sur sa proposition de casser la barre des 1500 heures. Pour autant, elle a introduit une modification sur la nature même de ces heures, tel que : « ces activités peuvent notamment comprendre et articuler : des enseignements en présentiel (dont des cours magistraux, travaux dirigés, travaux pratiques), des enseignements à distance et des enseignements mobilisant les outils numériques, des séquences d’observation ou de mises en situation professionnelle, des projets individuels ou collectifs qui favorisent la mise en perspective, sur un même objet d’étude, de plusieurs disciplines et compétences ». Cela permet aux Universités de considérer une heure en présentiel en TD devant un professeur de sociologie et une heure d’observation sur le terrain (qui auparavant n’était pas inclue dans les 1500 heures) comme équivalentes en terme d’accès au savoir. Il s’agit donc de laisser libre cours à une licence où le nombre d’heures devant un enseignant·e-chercheur·euse baissera par manque de budget tout en restant dans le cadre des 1500 heures, en les remplaçant par des heures de travail individuel en bibliothèques ou sur le terrain. En plus de cela, le texte prévoit que « ces références horaires et le déploiement des diverses activités de formation sont déclinés et adaptés en fonction, d’une part, des objectifs et des formations concernées et, d’autre part, des modalités pédagogiques et des rythmes de formation mis en œuvre afin de tenir compte de personnalisation des parcours, de la diversité des profils et des objectifs poursuivis par les étudiants ». C’est à dire qu’il va y avoir création de licences à plusieurs vitesses. Qui seront créées pour répondre au contrat pédagogique signé entre l’étudiant.e et l’établissement.
« Contrat pédagogique » : contractualisation du financement de l’avenir de nos jeunes
Une dernière des multiples modifications dues à cet arrêté licence est la création d’un contrat pédagogique. Il prendra en compte « le profil de l’étudiant, son projet d’études, son projet professionnel ainsi que ses contraintes particulières ». En quelque sorte, c’est une mise sous contrat pour l’étudiant.e du financement de ses études. Car l’arrêté licence ne revient pas sur le cadrage des frais d’inscriptions légaux en licence. Ce qui veut dire que les universités ne pourront pas revenir sur leurs frais d’inscriptions, mais pourront empêcher un.e étudiant.e qui ne respecterait pas son contrat pédagogique de s’inscrire à l’université dans une phase de sélection déguisée entre chaque année, par une réorientation imposée par la Direction des études (organe dont la composition est laissée floue par le texte). Le nouvel arrêté prévoit même que ce contrat soit pris en compte dans la délivrance du diplôme. Ce volet du texte répond à un objectif de contractualisation entre l’usager et le service public, qui s’engage à réussir. Pour l’instant il est sans portée juridique, pour éviter de permettre aux universités de faire de ce contrat un prétexte à l’exclusion d’un.e étudiant.e ne le respectant pas. Mais il est à prévoir que les universités feront pression pour que cela devienne un cadre juridique. Accompagné, bien-sûr, d’un arsenal de sanctions qui iront de la réorientation imposée au remboursement des frais investis dans l’étudiant pendant ses études. Le principe même d’une contractualisation met aussi au premier plan la responsabilité de l’étudiant·e dans son échec, alors que « l’Université aura mis en place un processus d’accompagnement pour permettre la réussite de l’étudiant·e ».
Voilà où nous mène l’idéologie libérale : l’échec relevant de la responsabilité individuelle, l’accès aux conditions de la réussite cesse d’être un droit.
I. Legrec & G. Adrar