La panthéonisation de Simone Veil est l’occasion d’un consensus républicain et bien-pensant autour d’une sorte de canonisation à la fois ronflante et bien banale, de celle qui fut pourtant une figure honnie quand elle osa résister.
Sans doute est-ce ce tragique passage par le camp de Auschwitz-Birkenau l’année de ses dix-huit ans, sa rencontre avec le racisme à l’état pur, la haine, l’humiliation, la mort qui l’amena à un si fort degré de convictions quand elle décidait de se battre pour une cause. Elle racontait souvent que les rescapés des camps d’extermination, ne les avaient jamais vraiment quitté, qu’ils y vivaient encore bien qu’il y eut peu de gens pour écouter leurs récits.
Simone Veil est à la fois de la génération de la guerre dont elle vécut les horreurs dans sa chair et dans son esprit, où elle analysa les ressorts de la haine raciale, du génocide organisé et planifié contre les juifs, et de celle des années 60-70 puisqu’elle fut, pour les femmes de cette génération, celle qui osa défendre à l’Assemblée la loi de libéralisation de l’avortement en 1975. Du courage il en fallait. Elle recevait des menaces en permanence, et parle d’une « vraie haine » de « celle qui veut tuer », une désaprobation violente de ses pairs qui la prévenait de la « guerre civile » qu’ouvrirait sa loi. Jusque dans l’hémicycle où ses ennemis la poursuivent de leur vindicte, refusant leur défaite.
Simone Veil a fait face. S’appuyant sur les formidables mobilisations des femmes en faveur de l’avortement libre, suivant le manifeste des 343 salopes, elle a été le porte parole de toutes les femmes dans un Parlement d’hommes, face à une hiérarchie Catholique vent debout et à un Ordre des Médecins prêt à user de tous les moyens pour empêcher ça. Son discours à l’Assemblée en novembre 1974 restera dans les annales, celui d’une femme debout.
Sa phrase « Renonçant à une formule plus ou moins ambiguë ou plus ou moins vague, le gouvernement a estimé préférable d’affronter la réalité et de reconnaître qu’en définitive la décision ultime ne peut être prise que par la femme » marquera le pas franchi : il ne le sera pas à moitié même si la loi n’est votée que pour cinq ans. Une certitude se fait alors jours : aucun retour en arrière ne sera plus jamais possible.
Simone Veil était une femme de droite engagée en politique, avec laquelle nous n’étions pas d’accord la plupart du temps, mais qui força pourtant toujours le respect dans nos rangs, du fait de combat fondateur et émancipateur qui fut fondamental parmi les multiples étapes du combat féministe et émancipateur.
La bourgeoisie en fait aujourd’hui, une sorte de sainte laïque, qu’il est plus sage de conduire au Panthéon avec son mari, la présente comme l’icône des femmes politiques sages et philosophes, gommant d’un coup la haine dont ses représentants la couvrir pour mieux étouffer la cause qu’elle défendit. A la manière dont aujourd’hui les 50 ans de Mai 68 font de ces révoltes des archaïsmes de la société patriarcale d’alors et des crimes commis en son nom, des anecdotes historiques presque folkloriques, la panthéonisation de Simone Veil est un peu l’écrasement de nos révoltes et du sens de son combat.
Hélène Adam