Le texte de Daniel Tanuro (https://gauche-ecosocialiste.org/croissance-inegalitaire-ou-decroissance-juste-le-debat-est-ouvert/ ) tombe dans le travers des partisans de la décroissance qui est de se focaliser sur la croissance du PIB. Le PIB est une mesure de nature monétaire (ou assimilée). Ainsi par exemple, une extension (diminution) de la sphère de la gratuité peut faire baisser (augmenter) le PIB sans que le mode de consommation et de production change en quoi que ce soit. La question n‘est pas de savoir si le PIB doit croître ou pas, mais de déterminer concrètement ce qui doit croître et ce qui doit décroître, le fait que le PIB, in fine, augmente ou baisse n’ayant, de ce point de vue, aucune importance.
Le problème n’est donc pas de savoir, comme l’écrit Tanuro, s’il est possible « de concilier baisse des émissions de CO2 et accroissement du PIB », mais de savoir si le bilan énergétique entre ce qui doit croître à l’échelle mondiale, mais aussi à l’échelle nationale dans les pays riches, est positif ou négatif par rapport à ce qui doit décroître.
Or, il y a énormément de choses qui doivent croître. Tout ce que cite Tanuro suppose, contrairement à ce qu’il affirme, une dépense énergétique plus importante qu’aujourd’hui. C’est le paradoxe de la transition : pour lancer celle-ci, il faut accroître les dépenses d’énergie, ce qui est contradictoire avec l’objectif final.
Evidemment il faut promouvoir la sobriété énergétique par toute une série de mesures (logements, transports, etc.). La consommation des plus riches doit décroître non seulement pour elle-même mais parce qu’elle a un effet d’entraînement et de normalisation de la consommation de toute la société qui est engagée dans une course dans fin pour essayer vainement de s’approcher des critères de distinction des plus riches. Ce n’est pas le plus difficile à faire accepter politiquement.
Le vrai problème pour nous, dans les pays riches, est ailleurs. C’est celui de l’acceptation sociale des mesures proposées. Or plus on tarde, et on a déjà beaucoup trop tardé, plus les mesures à prendre pour remplir les objectifs du GIEC seront socialement difficiles à accepter, pas seulement pour les plus riches, mais pour tout le monde. Car, derrière cette question, il y a celle des besoins. Or ces derniers sont socialement construits dans une logique consumériste par la domination du capital et intériorisés individuellement. Transformer cette situation suppose, non seulement des ruptures poltico-économiques mais aussi un bouleversement de nature anthropologique. Ce dernier est certes possible – on le voit actuellement tant dans les rapports entre les femmes et les hommes que dans la conception de l’institution familiale – mais cela entrainera inévitablement des divisions très importantes au sein des classes populaires avec la peur de perdre le peu qu’elles ont réussi à avoir. Mon point d’accord avec Tanuro porte donc sur le fait que la lutte contre les inégalités est inséparable de la transition écologique.
Pierre Khalfa