Henri Weber appartenait à la génération des fondateurs de la Jeunesse Communiste Révolutionnaire (JCR). Durant l’été 68, il a co-écrit avec Daniel Bensaïd « Mai 68, répétition générale », ouvrage qui entendait tout à la fois tirer les leçons du soulèvement étudiant et de la grève générale et dégager les perspectives politiques des années à venir, à commencer par la tâche de l’heure : la construction d’un parti révolutionnaire.
Ce fut l’aventure de la Ligue Communiste, puis de la LCR.
On sait qu’ensuite l’évolution politique d’Henri l’a conduit jusqu’aux cercles dirigeants du Parti socialiste. Naturellement, lors de la rédaction de notre ouvrage relatif à l’histoire de la LCR – « C’était la Ligue », Hélène Adam et François Coustal, coédité par Arcane 17 et Syllepse – nous avons cherché à restituer la place qui a été la sienne, notamment au cours de la première décennie d’existence de la Ligue.
Parmi l’ensemble des matériaux documentaires que nous avons consultés, il faut mentionner « Rebelle Jeunesse », le dernier ouvrage écrit par Henri et paru en 2018, dans lequel il revient précisément sur sa participation à cette histoire. Nous n’en partageons, cela va sans dire, ni l’interprétation ni les conclusions. Mais reconnaissons volontiers que sa plume alerte et chaleureuse avait su faire revivre avec bonheur cette décennie de luttes et d’espoirs. Car si Henri avait (beaucoup !) changé, il n’était pas de ceux – si nombreux… – qui ont choisi de « cracher sur leur passé ». En particulier, au-delà des polémiques politiques qu’il était le dernier à fuir, il ne manifestait aucune agressivité contre ceux et celles de ses ex-camarades qui avaient choisi de « continuer le combat ». C’est d’ailleurs ce qu’illustrent les récents témoignages de Janette Habel (http://www.regards.fr/politique/article/on-manque-de-personnalites-comme-henri-weber-de-nos-jours) ou encore d’Alain Cyroulnik (https://npa2009.org/videos/cyroulnik-henri-weber-mis-beaucoup-de-temps-assumer-les-debats-contre-nous).
Pour notre part, nous souhaitons lui rendre hommage en republiant ici un extrait de C’était la Ligue le concernant plus particulièrement.
Hélène Adam, François Coustal
Extrait de « C’était la Ligue », chapitre 17
Le départ discret d’Henri Weber
C’est au cours de cette période – la fin des années 1970 – que l’un des principaux fondateurs de la JCR et de la Ligue communiste, Henri Weber, s’éloigne progressivement de la LCR. L’un des premiers épisodes est l’ouverture dans la revue Critique communiste d’un débat de fond sur les ressorts et la nature des liens existant entre « les masses » – ou, si l’on veut, le peuple de gauche – et les directions du mouvement ouvrier (Parti socialiste, Parti communiste, directions confédérales de la CGT ou de la CFDT). L’un des tout premiers, Henri Weber prend la plume pour mettre en cause l’explication des défaites récurrentes du mouvement social par la trahison de ses directions, explication un peu fourre-tout, mais souvent reprise par l’extrême gauche:
« D’autant que ces explications sont le plus souvent irréfutables, parce qu’indémontrables : on peut toujours affirmer qu’avec une autre politique du mouvement ouvrier, tel ou tel résultat aurait été atteint. Comme de toute façon cette autre politique n’a pas été appliquée, ce que l’on peut dire de sa praticabilité comme de ses effets éventuels reste éminemment hypothétique: c’est indémontrable donc irréfutable. La contrepartie, c’est que ça n’est pas non plus très convaincant parce que la thèse inverse est indémontrable aussi. […] La notion de directions traîtres est dangereuse, lorsqu’elle fonctionne dans nos têtes comme un concept théorique synonyme de direction réformiste, en ce qu’elle masque la nature réelle du rapport entre masse et appareils, et suggère une relation qui relève davantage de la démonologie que du matérialisme historique » (a).
Nombre de militants – à commencer par plusieurs des principaux animateurs de Critique communiste (b) – partagent les préoccupations d’Henri Weber, même s’ils ne souscrivent pas forcément à toutes ses conclusions. D’autres dirigeants de la Ligue – comme Antoine Artous ou François Sabado – prennent la plume pour dire leur crainte que ce genre d’approche ne conduise à sous-estimer la responsabilité des directions (politiques ou syndicales) et, en quelque sorte, à rejeter la faute des échecs sur les couches populaires qui, finalement, n’auraient que les directions qu’elles méritent. Toujours est-il qu’au premier trimestre de l’année 1979, un débat de haute tenue – même s’il est un peu « codé » au niveau des formulations – sur «les directions traîtres » se poursuit sur plusieurs numéros de Critique communiste. Cette discussion n’est d’ail- leurs pas sans rapport avec le débat qui s’est ouvert pour le troisième congrès de la Ligue, autour du projet de rapprochement avec l’OCI. Assez naturellement, Henri Weber y soutient la tendance 3, même s’il reste un peu en retrait.
En fait, il a entamé des recherches de nature historique et théorique sur les questions de stratégie, en commençant par l’étude critique des thèses eurocommunistes. Celles-ci connaissent alors un impact certain dans le débat politique à gauche avec, notamment, la remise au goût du jour de l’œuvre d’Antonio Gramsci. Cette recherche conduit également Henri Weber à revisiter les débats qui furent ceux de la Deuxième Internationale, avant l’émergence du bolchévisme. Il considère d’ailleurs que les eurocommunistes ont vis-à-vis des courants sociaux-démocrates de gauche une dette, même s’ils se refusent alors à reconnaître. De cette recherche et de ce cheminement intellectuel, Henri Weber tire plusieurs ouvrages (c). Mais aussi, progressivement, la conviction que «la social-démocratie avait globalement raison et les marxistes révolutionnaires, au nombre desquels je me flattais encore d’appartenir, avaient globalement tort» (d).
Plus tard, passé au Parti socialiste, Henri Weber reviendra à plusieurs reprises sur la critique du modèle de transition au socialisme qu’il attribue à la Ligue (e): une démocratie directe passablement mythique, une très improbable « pyramide des conseils ouvriers » et, au fond, le refus de la démocratie représentative et du suffrage universel. À la fin des années 1970, sans pour autant rejoindre immédiatement le Parti socialiste, il quitte discrètement la Ligue:
« Je suis donc parti sans bruit, ‘sur la pointe des pieds’, comme dit Alain Krivine. Mais non ‘par lassitude’ comme il a cru bon d’ajouter, mais parce que j’avais acquis la conviction que notre entreprise commune était condamnée à l’impasse et à la marginalité (f) ».
Par la suite, Henri Weber a longtemps participé à la direction du Parti socialiste et fait partie de l’entourage de Laurent Fabius.
Hélène Adam, François Coustal
Notes
(a) Henri Weber, « De l’influence des “directions traîtres”», Critique communiste, n° 26, janvier 1979.
(b) Notamment Jean-MarieVincent, Denis Berger ou encore Michel Lequenne.
(c) Henri Weber, Parti communiste italien : aux sources de l’eurocommunisme, Paris, Christian Bourgeois, 1977 ; Olivier Duhamel et Henri Weber, Changer le PCF ? PUF, 1979.
(d) Henri Weber, Rebelle jeunesse, Paris, Robert Laffont, 2018.
(e) Si la critique est sans doute excessive, elle n’est pas totalement dénuée de fondement, du moins concernant les premières années d’existence de la Ligue. Par la suite, la réflexion de la Ligue sur ces questions va évoluer progressivement. Son dernier Manifeste, adopté en 2004, lève ce qui subsistait d’ambiguïtés. La LCR prône désormais « le pouvoir des assemblées élues » et considère que « l’égalité des droits et le suffrage universel sont les éléments clés de toute démocratie» (voir le chapitre 33).
(f) Henri Weber, Rebelle jeunesse, op.cit.