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In real life (à propos du débat sur le réseau social X)

Depuis maintenant trois semaine, il a été question pour la GES, les forces de gauche françaises et leurs représentant·es d’être partie prenant du mouvement « HelloQuitX » pour quitter le réseau social de Musk. Or, cela s’est avéré être (je cite) « plus compliqué que ça ». De ce fait, une fois la surprise et l’agacement passés, il est temps de lister les points pour lesquels il faut, pour nous toutes et tous, quitter X.

IN real life. (IRL)

Quand on nous forme à la sensibilisation des élèves et des familles à propos des dangers des réseaux sociaux, on nous conseille de revenir à des comparatifs « IRL », entendez par là « in real life ». Cela s’avère assez efficace. Par exemple, aux parents, on dit : « laisseriez-vous votre enfant de 12-13 ans, tout seul, jouer avec 6 inconnus, dans une pièce fermée, sans que jamais vous ne veniez voir ce qu’il se passe ? ». Bien sûr la réponse est « NON ! ». Et bien c’est ce que font beaucoup de parents en laissant leurs enfants jouer sur des plateformes, en les pensant en sécurité.

Ainsi, la sortie du virtuel est une des habitudes que nous devons prendre politiquement et c’est ce que je vais tenter de faire, face aux arguments qui ont été avancés ces derniers jours pour ne pas quitter le réseau social « X ».

1° argument : Pourquoi, sortir maintenant ?

Et bien parce que les choses ont changé. Si la domination des Gafam est un fait avéré depuis longtemps, il est évident que la victoire de Trump et avant elle, le basculement de la tech dans sa campagne est une nouvelle donnée. Lors des autres campagnes de Trump et même durant sa première mandature, la Silicon Valley le critiquait ouvertement voire luttait parfois contre ses décisions. Tel n’est pas le cas aujourd’hui, bien au contraire, la bourgeoisie financière et la tech font le choix de basculer vers une vision libertarienne. Peu importe les Droits de l’humanité, la démocratie et la sauvegarde la planète pourvu que nous puissions continuer à faire du business.

Le basculement de Zuckerberg une semaine avant l’investiture est un signal donné, que la Tech, qui jusque-là se donnait une image de modernité libérale, change de cheval. Car comme le disait Gramsci, ce qui compte avant le rapport de force politique, c’est le rapport de force dans les mentalités. Il nous faut donc acter qu’idéologiquement la Tech-bourgeoisie a changé de camp.

1° argument bis : « Oui mais Méta c’est comme X. »

Vrai et faux à la fois ! Aujourd’hui Musk est un pilier du gouvernement Trump. Il a décidé de faire de la politique. Il s’est affiché comme tel ! Il va réfléchir à faire la chasse aux fonctionnaires et à ses heures perdues aux trans. Il a donc une place à la Maison Blanche. Il s’occupe de politique et le dit ouvertement. Il se positionne comme un modèle aux yeux des ultra-libéraux et donc comme un ennemi.

Argument IRL : Y-a-t ’il un changement de période lorsque le principal soutien financier du président de la république de la principale puissance mondiale fait un salut nazi pour manifester sa joie ? In real life, nous voyons que oui.

2° argument : « On le sait les RS participent depuis 20 ans aux campagnes politiques.»

De la même manière, si nous savons que la Tech et les régimes autoritaires utilisent les réseaux sociaux et la désinformation pour faire des campagnes politiques, en quoi est-ce plus grave ? Et bien Musk soutient le candidat d’extrême droite en Allemagne. Il en a le droit… Mais pour autant, a-t-il le droit par ses algorithmes et ses plateformes d’inonder le pays de désinformations ?

Argument IRL : Que dirions-nous si des centaines de milliers de petits nervis payés par Trump, venaient dans nos quartiers répandre la désinformation, tenir des propos racistes, sexistes et LGBTQIphobes…. Nous serions choqué.es. In real life, nous verrions tout de suite le problème.

3° argument : « Oui, mais les médias traditionnels aussi sont aux mains des ennemis.»

C’est vrai et c’est pas vrai. Depuis maintenant dix ans et encore plus avec la crise du COVID, il est de bon ton de dire que les médias traditionnels sont des traitres. Nous sommes d’ailleurs bien placé.es pour savoir que ce que retransmettent les médias est souvent marqué par l’idéologie libérale réactionnaire de droite. On connaît tous le fameux débat : et pour discuter aujourd’hui de « Faut-il prendre aux riches ? », un journaliste du Point, une journaliste de Marianne, un chroniqueur de l’Express et une spécialiste de n’importe quel think tank libéral. Ou les multiples débats : comment lutter contre l’islamisme ? L’uniforme une solution ? Le voile pour les mamans qui accompagnent les sorties scolaires ? L’écologie punitive est-elle la solution ? Sommes-nous victimes d’une offensive des féministes ? Et j’en passe….

Cela est insupportable. Mais attention ! Il y a débats et informations. Il y a débats et respects de l’information. Comme nous sommes très agacé·es par ces faux-débats et les journalistes, « chiens de garde » des puissant·es, nous perdons de vue, ce qu’il faut défendre. Non seulement nous le perdons de vue mais nous nous faisons voler cette idée que l’information doit être libre.

Que nous proposent aujourd’hui Musk et Zuckerberg ? Ce qu’ils appellent le « libre marché ». C’est-à-dire que tout puisse être affirmé (vérité et contre-vérité) et que les followers de la Communauté valident ou non. Ils renvoient donc l’idée de la vérité au plus grand nombre. La question est donc une question de rapport de force. Rapport de force évidemment aidé par les algorithmes qui choisissent de mettre en avant ce qui les intéressent.

Par ailleurs, comme nous sommes agacé·es, nous avons tendance à ne plus écouter les journalistes et nous avons tort. Les principaux médias sont maintenant rachetés par les grands patrons. Boloré ou Lagardère se sont chargés depuis dix ans d’acheter les organes de presse (traditionnels en France ou virtuels aux USA) afin d’asseoir la bataille des esprits. Nous assistons ici à une stratégie consciente et assumée de transformation des médias en outils de propagande pour une ligne libertarienne, voire fasciste.

IRL : On peut discuter longtemps et de beaucoup de choses. C’est un des principes de la démocratie. Mais seule la vérité est révolutionnaire. Avec les réseaux sociaux, Galilée perd face aux platistes. Non parce qu’il a tort mais parce que les autres ont raison, c’est évident dans la loi de contrôle du « libre marché ».

De même, on sait que les journalistes sont souvent du côté des dominants mais pour autant la Charte de déontologie de Munich de 1971, (sorte de serment d’Hippocrate du métier des journalistes)- annonce comme un des premiers préceptes qu’un « journaliste salarié ne doit pas hésiter à prendre des risques pour respecter la vérité ». Ca va mieux en le disant. Et on sait que celles et ceux qui sont attaqué.es prioritairement dans les états totalitaires ou aujourd’hui encore à Gaza, ce sont les journalistes. Pourquoi ? Parce que In real life, les journalistes sont un des piliers de la liberté d’expression et de la démocratie.

4° argument (et de loin mon préféré), repris par JLM , Tondelier ou Clémentine Autain  : « Ne pas laisser la place aux autres »

C’est cet argument, semble-t-il, qui fait que même le NPA voire Révolution permanente n’ont pas quitté X. Il apparaît évident au regard de ce que nous venons d’expliquer que cela est une argument virtuel pour un monde virtuel. Tout d’abord parce qu’il est fort peu probable de gagner aujourd’hui, ce que nous ne sommes pas arrivé·es à imposer hier. Musk attaque depuis trois jours l’Encyclopédie Wikipédia (réseau tenu par les wokistes selon lui). La bataille des idées est engagée. Si nous voulons la gagner, nous ne pouvons pas jouer sur leur terrain. Les attaques en meute de la faschosphère, contre toutes personnes un tant soit peu progressiste est organisée et aidée par les algorithmes.

IRL : Dans la vraie vie, cela ne nous viendrait pas à l’idée de nous rendre dans un meeting organisé par des suprématistes, fascistes, trumpistes, lepénistes ou zémouristes de tous les pays qui réunirait des millions de suprématistes, fascistes, trumpistes, lepénistes ou zémmouristes de tous les pays avec nos 10 000 voire 30 000 followers. Imaginez-vous au milieu de millions de suprématistes, fascistes, trumpistes, lepénistes ou zémouristes avec nos panneaux « Free Palestine », « Ouvrez les frontières » ou « Taxons les riches » ou encore « Me too » pour essayer de convaincre les « potentiels nôtres ». Nous ne le faisons pas, pour deux raisons, d’abord parce que cela est dangereux et surtout parce que nous savons que cela ne servira à rien. La question du rapport de force sur les RS est la même que dans la real life.

En plus, il faut imaginer dans cet immense meeting, un service d’ordre organisé qui nous repère, nous piste et nous attaque.

Argument 5 : « Il faut être visible.»

C’est le corolaire de l’argument 4. Mais qui se penche un peu sur l’évolution des RS sait que cela dépend du rapport de force à la base. Le mouvement  « Metoo » a utilisé les RS pour se répandre. Les révolutions arabes, les Gilets jaunes ou « femmes, vie liberté » aussi. De même dans les révoltes actuelles, la mise en réseaux des protestations est essentielle. Pourtant dès que la vague reflue, les opposants sont invisibilisé·es, censuré·es, emprisonnée·es. C’est parce qu’en fait, c’est l’inverse. C’est parce qu’il y a révolte que les révolté·es utilisent les RS et pas l’inverse ! Là aussi tout est question de rapport de force.

IRL : Depuis dix ans, les femmes et minorités de genre, les racisé·es, les écologistes et autres opposants sont invisibilisé·es ou chassé·es en meute. Dans la vie virtuelle, c’est comme dans la vie réelle. Les rapports de dominations sont les mêmes et sont décuplés.

Cela ne veut pas dire que quand révolte il y a les RS ne sont pas nécessaires. Mais le processus est inversé. D’ailleurs, nous signons des tas de pétitions en ligne qui ne donnent aucun résultat. Celles qui finissent par aboutir sont celles qui sont liées à un rapport de force IRL.

Argument 6 : « Les autres RS proposés (Bluesky ou Mastodon) sont minuscules et ce sont des niches. »

En effet. Mais ce serait bien la première fois que nous ne ferions pas quelque chose parce que cela est petit.

IRL : nous sommes toutes et tous dans des syndicats et associations le plus souvent minoritaires. Nous le faisons, non parce que c’est un devoir mais parce que nous savons qu’il faut nous organiser en dehors des structures étatiques ou patronales. Nous nous organisons ailleurs pour construire un rapport de force et des outils qui seront nécessaires quand nous serons plus forts ou quand nous en aurons la nécessité.

Argument 7 : « Il faut être là où le débat a lieu.»

Oui et non. Il n’y a pas de débats sur les RS. Lorsqu’il y en a, c’est entre nous, dans notre communauté. Les posts (s’ils sont faits par de vraies personnes), ne s’adressent, la plupart du temps qu’aux nôtres, qu’à son camp. Pour être remarqués, il faut « faire le buzz ». Donc être le plus clivant, le plus violent.

Par ailleurs, rester dans ces réseaux laisse croire que ce sont des espaces pluralistes et de débats. Nous participons donc au mensonge mis en place par Musk, Trump ou Bolloré….

IRL : Participerions-nous à des jeux dont les règles ne sont pas écrites à l’avance ? Ou plutôt où les règles sont écrites par des fascistes ? Peu probable.

Argument 8 : « Il ne faut pas bâillonner la liberté d’expression. Il ne faut pas que nous proposions des mesures liberticides comme dans les états totalitaires.»

Oui, c’est vrai les lois liberticides, c’est mal. Mais là encore, nous nous trompons. Protéger les minorités de genre, ethniques, les enfants, les droits des femmes ou la planète….. ce n’est pas être liberticide ! C’est l’inverse !

IRL : Nous ne sommes pas pour l’autorégulation. Nous pensons que les lois interdisant les propos racistes, sexistes, homophobes sont nécessaires et nous les utilisons. Nous pensons que les limitations de vitesse et la ceinture de sécurité sauvent des vies (à l’inverse de Zemmour). Nous sommes pour la régulation des émissions de gaz à effet de serre ou contre la destruction de la biodiversité. Nous proposons des lois qui protègent les faibles en limitant les droits des plus forts. Nous sommes donc liberticides contre les puissants. Et lorsque nous proposons ces lois IRL, personne ne viendrait nous dire que nous sommes les autocrates russes, chinois ou autres…. Ou plutôt si, la droite n’arrête pas de le dire.

Il y aurait encore beaucoup de choses à dire ne serait-ce que sur les questions économiques, les crypto monnaies ou autre. Dans la séquence qui vient de se dérouler, les hésitations que certain.es ont eu à propos de la sortie de X doivent être rediscutées. La campagne « HelloquitX » a été la seule campagne internationale contre l’investiture de Trump. Ne pas y participer a affaibli notre camp. Ces questions sont nouvelles pour nous, mais elles sont déjà bien digérées par le camp d’en face. Leur offensive est féroce, massive et organisée. Nous devons en saisir les enjeux et nous mettre au travail.

Et parce que rien ne vaut les auteurs, deux citations des « Illusions perdues » de Balzac, dont la partie 2 évoque la question de la presse :

« Notre ligne éditoriale sera simple, elle tiendra pour vrai tout ce qui est probable. »

« Il est trop tard pour avoir peur. »

Donc : helloquittex.com

Manue (Marseille)

Références :

Quitter X ? : l’échec de la gauche à affirmer son indépendance communicationnelle

L’Europe lance une procédure contre X pour violation du DSA

Le réseau social X visé par une plainte pour manipulation des algorithmes

L’Emprise des extrêmes droites sur le Net

Comment la gauche a perdu internet?