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À propos de « Faites mieux ! », livre de Jean Luc Mélenchon

La lecture du dernier livre de Jean Luc Mélenchon « Faites mieux ! Vers la révolution citoyenne » est surprenante : ouvrage militant bien sûr, il navigue entre la sociologie, l’histoire des mouvements sociaux, la philosophie politique. L’ambition affichée dés le début est forte : il s’agit de « proposer une théorie politique » pour répondre à « l’entrée dans l’ère du peuple et sa révolution citoyenne ».

Face à l’accélération de l’histoire, de la crise du capitalisme et des changements climatiques, face à la faillite du productivisme, l’auteur entend dresser des pistes de sortie par le haut.

Même si le plan du livre n’est pas exactement conçu ainsi (ce qui en rend la lecture plus agréable et aisée) 3 grands axes sont développés : les crises actuelles, les protagonistes de ces crises, la révolution citoyenne.

Le premier axe explore des terrains peu connus et originaux : comment la capitalisme mondialisé a bouleversé les notions d’espace, de temps : le mode de production capitaliste ayant imposé à l’écosystème une discordance des rythmes désastreuse : la nuit, le silence, l’air , l’eau, l’alimentation sont impactés par le lois du profit à un point tel que l’harmonie de l’humanité avec la nature est dorénavant impossible. De la même manière, le long développement sur la ville comme lieu de prédation pour le capitalisme financier pour surmonter ses crises est peu connu et très intéressant. Plusieurs paragraphes sont consacrés aux réseaux : l’humanité a besoin de réseaux (eau, électricité, Internet) pour vivre en société mais le capitalisme mondialisé les développe pour son propre profit exclusif et dans le but de contrôler toujours plus les populations. Le profit maximal le plus immédiat possible peut aussi conduire à des catastrophes ( pénuries de médicaments, d’eau, …) ou effondrements irréversibles. De même, sont évoquées les atteintes au savoir , à la science que « l’obscurantisme libéral » fait peser  sur la société avec tous les risques que cela implique ( par exemple, le fait que les compagnies pétrolières aient sciemment caché les conséquences des énergies carbonées). Curieusement, alors que l’exploration de ces terrains d’action du capitalisme, sont étudiés et détaillés, l’exploitation du salariat ( les salaires insuffisants, la souffrance au travail, les accidents) et les rapports de domination des grandes puissances capitalistes sur les pays dominés sont très peu évoqués. Peut-être un choix de l’auteur qui indique vouloir dépasser les schémas classiques tout en se référant au matérialisme historique.

Sur chacune de ces questions, Jean Luc Mélenchon donne des pistes de ce que pourrait et devrait être un autre fonctionnement de la société basé sur la satisfaction des besoins humains et non sur la réalisation des profits immédiats des actionnaires : pour ne citer que quelques exemples, droit à l’eau, l’air, l’alimentation, mais aussi droit au silence et à l’obscurité sont ainsi déclinés. Mais aussi le changement de régime de propriété des données, la coopération plutôt que la propriété privée intellectuelle seraient autant d’entraves en moins pour trouver des solutions aux problèmes de l’humanité.

Un chapitre est consacré au peuple . Pour Jean Luc Mélenchon, « l’ère du peuple est un moment politique marqué par l’apparition d’un acteur politique nouveau en très grand nombre de plus en plus privé de pouvoir de décision ». Selon lui, l’entreprise n’est plus le lieu exclusif où se forge la politisation ; celle-ci se construit grâce au «  collectif populaire étendu » produit par le grand nombre, à l’urbanisation et à l’ensemble des questions politiques soulevées ( environnement, réseaux, droits …). Certainement, ce chapitre mérite une discussion approfondie. Il y apparaît peu que, au delà de son homogénéité, le peuple est constitué de femmes et d’hommes, de jeunes et moins jeunes, de précarisé-e-s et non précarisé-e-s, de racisé-e-s, . Bien sûr, les attaques capitalistes poussent objectivement à la convergence et l’unification mais une des tâches de la révolution citoyenne doit être aussi de lutter contre l’exacerbation de ces hétérogénéités et divisions par le capitalisme qui s’en sert comme autant d’instruments de domination. Il est aussi dommage que les associations, syndicats ne soient pas mentionnés alors que bien qu’affaiblis, au moins une partie du peuple s’y réfère, leur fait confiance (comme on l’a constaté lors du mouvement du début 2023 en défense du droit à la retraite) ; surtout pendant et après un processus révolutionnaires, ces organisations sont indispensables.

L’objet du livre – la révolution citoyenne – est pleinement abordé dans la 3ème partie du livre. De manière classique, celle-ci, est déclenchée par un grain de sable, événement déclencheur qui ensuite ruisselle dans toutes les couches de la société ; les conditions objectives et la crise du capitalisme sont telles que la revendication de départ va transcroitre dans d’autres champs ( environnement, démocratie, politique) ; de nombreux exemples depuis la Tunisie et l’Égypte, jusqu’en Amérique Latine et aux gilets jaunes étayent cette généralisation (malheureusement le mouvement pour les retraites n’est traité qu’au travers des « casserolades ») . Plusieurs pages sont consacrées à la place centrale des femmes dans ces processus de révolution citoyenne en reprenant l’idée que « sans femme, il n’y a pas de révolution ». Les expériences de double pouvoir, de contre société sont aussi abordées. Néanmoins, la lecture peut laisser sceptique sur ce qui peut apparaître comme une conception un peu optimiste : certes, jamais la crise du capitalisme n’ a été à un tel niveau ( ce que démontre magistralement Jean Luc Mélenchon), certes les raisons de faire la révolution n’ont jamais été aussi nombreuses, en revanche les perspectives d’un changement et d’une rupture radicale paraissent compliquées, tout du moins peu à l’ordre du jour sur le court terme. Or ces difficultés – la guerre qui fait la une de l’actualité, la montée de l’extrême droite sur tous les continents, la généralisation de la précarité ne peuvent être éludées. D’ailleurs, dans sa conclusion cette question est posée : « Comment nourrir l’optimisme que je propose, suffisamment pour donner le goût d’agir ? A cette heure tout nous destine au collapse … »

Le livre se termine par un dernier chapitre « la morale de l’histoire » où Jean Luc Mélenchon revient de façon très convaincante sur ce qu’il a nommé créolisation et qu’il définit comme « universalisme concret » et comme réponse à la fragmentation et au choc des civilisations. Espérons que ce livre qui manifeste un certain optimisme , ouvre chez les Insoumis-e-s, et au delà (dans les mouvements sociaux), des débats sur les questions stratégiques dans un moment où le champ des possibles ne paraît pas très ouvert mais c’est tellement nécessaire !

Bernard Galin, le 27/10/2023