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Habits neufs, vieilles recettes ?

Depuis les ABCD de l’égalité, il est clair que l’offensive réactionnaire des « anti-genres» se poursuit et se décline sur de nouveaux thèmes. Depuis la Manif pour tous, la désinformation déferle avec grand bruit pour dénoncer des « cours d’éducation sexuelle dès la maternelle, avec exercices pratiques ». On se souvient d ‘Alain Soral et de Farida Belghoul, cette dernière avait organisé la « Journée du retrait des enfants» (JRE) soutenue par Civitas.

Christine Boutin et son parti Chrétien démocrate, avait fait annuler des conférences sur le genre destinées à la formation des enseignants.Il y a dix ans le concept qui faisait peur était le genre. Dix ans de bataille idéologique contre l’égalité entre les femmes et les hommes et contre les stéréotypes.

L’extrême droite a perdu cette bataille mais entend gagner la guerre. Une guerre contre, d’après Zemmour, « le grand endoctrinement » que les enseignants implanteraient dans le cerveau de nos enfants.
Leur combat contre l’homosexualité, la bisexualité et la transsexualité laisse penser que l’Education nationale considère que ces questions sont des « priorités ». Il s’agit d’une certaine continuité idéologique que l’on a pu retrouver chez Jean Frédéric Poisson, président de la Voie du Peuple et ses partisans, qui ont rejoint la campagne présidentielle de Zemmour en décembre 2021.
Aujourd’hui Zemmour et Reconquête remettent le couvert avec Parents Vigilants via le collectif « Protégeons nos enfants » et leurs théories complotistes qui propage une parole LGBTIphobe et raciste.

Après sa défaite électorale, Zemmour a donné sa ligne pour les années qui viennent, à la fois pour se refaire une image et essayer de conquérir une base d’électeurs : s’en prendre à l’école publique et ses enseignant.es, tous dangereusement de gauche.

Avec l’appui d’un réseau de « parents vigilants », le collectif Protégeons nos enfants entend ainsi dénoncer les enseignements jugés trop en faveur de l’immigration ou des droits des LGBTI+.

Nous avons interrogé Laurence De Cock , historienne et enseignante (syndiquée SNES-FSU École émancipé) et Matthieu Brabant, enseignant en lycée professionnel (militant CGT-Educ’action), tous deux membres de la Gauche Ecosocialiste, sur les développements récents de ces campagnes haineuses.

Les élections des représentants des parents d’élèves se sont tenues vendredi 13 octobre. Zemmour, après avoir appelé ses partisans à se présenter, s’est vanté d’avoir remporté 3500 sièges pour les listes « Parents vigilants ». Si en termes de sièges ce n’est pas énorme, reste à voir à quoi cela correspond. Pour autant peut-on parler d’une offensive massive que mène l’extrême-droite et en particulier Zemmour avec « Parents vigilants » et surtout comment interpréter cette irruption de listes d’extrême-droite au sein de l’école ?

Laurence De Cock : C’est une mauvaise nouvelle car c’est l’institutionnalisation de groupes de pression particulièrement dangereux. Ces résultats correspondent, à peu près à 1,5% des sièges en France, puisqu’il y en a 245 000 pour le 1er degré et 44000 pour le second degré. Pour le moment nous ignorons si c’est majoritairement dans l’enseignement privé ou dans le public. Zemmour ne l’a pas précisé et cela comporte, à la fois un effet d’annonce et un effet de propagande. Mais il faut aussi rester serein car on est loin de l’entrée en force dans l’institution. De fait, ils vont continuer d’agir sur les réseaux sociaux plutôt que dans le cadre d’institution.

Matthieu Brabant : Laurence a raison, il faut relativiser. Les élections de parents d’élève restent toujours minoritaires, les groupes un peu organisés, comme la FCPE, sont en perte de vitesse impressionnante. Dans mon village, par exemple il n’y a pas la FCPE, ce sont des associations locales, qui n’ont rien à voir avec Parents vigilants. C’est juste pour dire que c’est toujours un peu compliqué.

Donc s’ils annoncent 3500 élus, ça montre tout de même qu’ils sont un tout petit peu organisé dans leur réseau et qu’il faut effectivement faire attention à leur effet de communication. De plus, pour le moment nous n’avons encore aucune idée des secteurs concernés : le 1er degré ou le second degré, pour le moment c’est un peu compliqué de le savoir.

Ce qui est certain, c’est qu’ils vont continuer avec la même stratégie. Simplement s’ils ont quelques pieds dans certains conseils d’école, dans certains conseils d’administration, il faut s’attendre à ce qu’ils sortent des trucs encore plus dégueulasses qu’avant, parce qu’ils vont peut-être avoir accès à des documents encore plus sensibles et il faudra être encore plus vigilants.
Sinon cela montre qu’ils essaient de monter en puissance et qu’ils profitent aussi d’une grosse faiblesse des organisations de parents d’élèves en France.

Laurence : On a en outre la configuration typique de la stratégie des zemmouriens : énormément de bruit, d’activisme, en utilisant tout un tas de canaux numériques qu’ils maîtrisent parfaitement. En revanche quand il s’agit de quantifier et de s’organiser, c’est encore sur des fondements très minoritaires. Ce n’est pas pour relativiser le danger car, et là où Matthieu à raison, ils ne vont sans doute pas tellement être nocifs sur les lieux mêmes, on n’a pas affaire à des grands courageux, mais en revanche ils auront la possibilité de pomper de l’information et la rendre publique sur leur réseaux dans le cadre de leur activisme.


Cette offensive de « parents vigilants » s’inscrit plus généralement dans la guerre culturelle que mène l’extrême-droite :ils sont à la fois sur des thèmes de « migrations », en plus des questions de genre et de sexualité. Ils s’appuient sur certains sites (1) qui proposent des lettres types pour retirer les enfants de l’école en cas de cours d’éducation sexuelle ou encore des formulaires pour les dénoncer. C’est dans la continuité des offensives de Farida Belghoul et Alain Soral, avec la même déclinaison.

Pensez-vous, que cette campagne de harcèlement numérique vis-à-vis des enseignants, avec des propositions de lettre type de harcèlement à leur encontre, est aussi une évolution sur la méthode par rapport à une dizaine d’année. Est-ce signe que ce type d’attaque se cantonnera au numérique avec la proposition de lettre type pour le retrait des enfants de l’école et non des tractages aux abords des établissements scolaires ?

Matthieu : Aujourd’hui, ça monte en puissance car ils ont eu un candidat à la présidentielle, ils ont un parti politique, ils ont du fric et une candidate aux élections européenne, Marion Maréchal Le Pen. Ils ont une puissance médiatique qui est plus importante qu’avant, même si le moment des ABC de l’égalité à Montpellier était un peu massif avec les journées de Retrait de l’école. C’était temporaire mais massif et aujourd’hui effectivement ça fait partie des choses à surveiller.

Tu parles de guerre culturelle, mais à Montpellier, dans le lycée professionnel où j’étais jusqu’à l’année dernière, il y a eu tout un travail sur la question du genre, fait par l’Education nationale dans le plus gros lycée professionnel de France. Il y a une fresque qui a été installée au milieu de la cour, un truc simple comme « Non c’est non ». Cette fresque a été taguée trois fois, c’était toujours signé Génération Zemmour.

La pression existe depuis quelques temps. Toujours dans mon village, depuis au moins le mariage pour tous, il n’y a pas si longtemps lors du COVID, je trouve assez régulièrement des stickers. Dernièrement j’ai vu arriver quelques petits stickers Parents vigilants, car il y a un groupe à Aniane (2) qui est très actif et qu’ils essaient de travailler en termes de présence.

Au niveau syndical, on a quand même au niveau de l’Éducation nationale un syndicat qui s’appelle Action et démocratie (3) qui est affilié à la CGC, dont le vice-président, qui s’appelle René Chiche, était présent aux Université d’été de Reconquête, il y a quelques semaines, en s’en glorifiant et en ayant le bonjour de Zemmour.
Tu dis bataille culturelle, oui nous somme dans cette continuité, petit à petit l’araignée est en train de tisser sa toile.

Laurence : On ne peut faire que des hypothèses pour le moment.

Sur la question de la continuité, il est clair que la question de l’éducation à la sexualité va devenir un point de crispation comme elle l’a toujours été (4) et reste un sujet à débat. Aujourd’hui, la différence avec les ABC de l’égalité, ceux qui avaient impulsé les offensives en 2014, c’étaient plutôt les religieux et notamment les intégristes chrétiens via Civitas entre autres. Ensuite ils ont bénéficié du contexte du débat sur le Mariage pour tous. Il y a eu une espèce de cristallisation et de rencontre entre les droites et les extrême-droites.

Aujourd’hui, c’est déjà le cas sur des spectacles pour des enfants qui abordent la question de la transidentité, sur l’éducation à la sexualité etc… Ce sont vraiment les terrains sur lesquels ils vont agir, d’une part parce qu’ils savent qu’ils ne seront pas tout seuls sur ces questions et c’est l’occasion de faire des alliances, notamment avec des milieux cathos traditionnels et pourquoi pas dans une perspective électoraliste, avec l’extrême-droite de Marine Le Pen qu’ils estiment beaucoup trop modérée sur ces questions.

Donc on a de fait un danger là-dessus. A noter qu’il y a quand même une différence au niveau de la sociologie électorale des zemmouriens qui est plutôt une sociologie bourgeoise et qui peine à entrer dans les quartiers populaires. Ce qui s’est passé au moment du jour de retrait avec Farida Belghoul et Alain Soral, qui eux ont réussi à rentrer dans les quartiers populaires, c’est notamment dans ces quartiers qu’il y a eu le plus d’absentéisme dans les quartiers autour de Paris, je ne sais pas pour les autres grandes métropoles françaises. A Gennevilliers, Nanterre, on a atteint des taux de classes qui ont été vidées jusqu’à 2/3 tiers de leurs effectifs. C’est par ce biais des intégristes musulmans qu’ils ont pu rentrer dans les quartiers populaires. Je ne sais pas si les zemmouriens réussiront ça, d’une part à cause de leur racisme tellement débridé et plus ostensiblement encore leur racisme anti-arabe et antimusulman. Je ne sais pas s’ils vont aller porter la parole dans les quartiers populaires à majorité immigrée. Ce sont peut-être des petites nuances mais c’est juste sous la forme d’hypothèse. Mais dans les faits on est quand même dans un contexte d’offensive qui va favoriser, sur la question de la sexualité à l’éducation, de possible coalition.

Pour revenir un peu sur les parents vigilants, c’est peut-être pour Reconquête ! la possibilité de constituer une base de données de possibles contacts. Mais au-delà, et Matthieu l’a un peu évoqué précédemment, est-ce qu’ils auront la possibilité d’avoir accès à des documents des, informations sensibles sur la situation de certains enfants sans-papier et leur famille, que pourraient-ils en faire, les utiliser, relayer ces informations à la préfecture pour de la délation ? Est-ce qu’il y a un danger ou il existe tout de même des filets de sécurité par rapport à ce type de données ? Les parents d’élèves n’y ont pas forcément accès mais peut-on penser que cela peut faciliter une collecte de données sensibles qui pourraient tomber dans de mauvaises mains ?

Matthieu : Moi je serai prudent, quand on est élu parent d’élèves, l’accès aux données sensibles est assez limité. En revanche ce qu’ils peuvent utiliser et en faire de la com, ce sont plutôt les informations sur des projets pédagogiques, mettre en avant des collègues, comme ça existe déjà, mais de manière plus précise dans telle école, tel collège ou pour viser des collègues. L’accès à des données sur la situation des élèves, je ne crois pas. Cela étant dit, c’est une crainte qui existe pour des personnels qui pourraient avoir accès à ces informations. Sur l’Hérault, par exemple, on a identifié une gestionnaire dans un collège qui est militante zemmourienne.

C’est plutôt ce genre de chose qui peuvent être inquiétante plus que sur la récolte des données. C’est sûr que ça va nourrir leur campagne de propagande et d’attaque, on le voit bien avec ce qui s’est passé au niveau de la collègue dans le Nord, qui a été attaquée par les parents vigilants, qui sort un ouvrage dont la Voix du Nord fait la promotion le jeudi (5), le vendredi il y a eu l’attentat à Arras. Les réseaux se sont mis en place pour lui tomber dessus en la rendant en partie responsable de ce qui s’était passé. Cette mise en réseau, cette capacité à être réactif, dont il faut surtout s’inquiéter, plus que sur la collecte de données par parents vigilants.
En revanche à force d’avancer, peut-être qu’ils finiront par entrer dans l’administration et avoir accès aux données sensibles. Si quelqu’un dans un rectorat au niveau d’une DPE
(division des personnels enseignants) est militant zemmourien, là il aura un accès et c’est dangereux. Cependant ça peut arriver dès aujourd’hui et ça aurait pu arriver il y a quelques temps déjà.

Laurence : Je suis d’accord. Il faut vraiment savoir aussi dans quels types d’établissements ces personnes ont été élues. Je fais vraiment le pari que ce sont des établissements des quartiers plutôt favorisés, dans lesquelles les configurations que tu donnes, notamment sur les élèves sans papiers ou en hôtel social sont assez rares. Encore une fois nous devons aussi être vigilants, il faut leur piquer la vigilance, mais je ne crois pas que ce soit ça le danger immédiat. Je pense en effet comme Matthieu, que ce sont plutôt leurs capacités à cibler des enseignants et à faire en sorte que certains cours n’aient pas lieu. Cibler des contenus d’enseignement, des pratiques enseignantes et des noms d’enseignants, pour l’instant c’est vraiment leur répertoire d’actions.

Par rapport à ces attaques, que fait le gouvernement à part rédiger une circulaire qui donnera un cadre, un protocole ? On voit que rien ne se passe, si ce n’est mettre sous protection policière l’enseignante, ce qui est normal par ailleurs. Mais c’est à priori la seule solution à proposer : une mutation pour résoudre le problème.
Et au niveau syndical, que se passe-t-il à ce sujet pour accompagner, soutenir ou encore pour protéger tous les personnels.

Matthieu : Il y a une intersyndicale qui avait été lancée au moment de l’élection présidentielle, qui a un peu perduré, mais qui ne comprend pas tous les syndicats évidemment, avec un axe FSU, SUD CGT UNSA, CFDT.(6). C’est déjà pas mal, mais il en manque quelques-uns qui ne sont jamais très clairs sur ces questions, comme FO, le SNALC et Action et Démocratie (CFE-CGC).

Cette intersyndicale a demandé à rencontrer plusieurs fois le ministre avant l’été sur ces questions de menaces que l’extrême-droite fait peser sur les personnels. Elle a été reçue au tout début de l’été par Pap N’Diaye – qui donnait tout ce qu’il avait à donner avant de partir – si vous vous souvenez un petit peu, au même moment il était intervenu à l’Assemblée Nationale en disant qu’il était le chantre contre l’extrême-droite. Cela ressemblait un petit peu à un signal qui disait : je vais partir, j’essaie de faire un peu plaisir à tout le monde, je refais un petit peu de politique.

Depuis Gabriel Attal, il n’y a pas grand-chose. Comme au niveau intersyndical, il n’y a pas une prise en compte très sérieuse, à part Sud Éducation qui a réagi par rapport à la campagne qui est menée sur l’éducation à la sexualité. Je ne peux pas dire qu’il y ait beaucoup de réaction, ni en mode unitaire ni chacun de son côté. Il y a quelque chose de sérieux à travailler. Du ministère je n’attends pas grand-chose : Gabriel Attal, interrogé à la rentrée, a rappelé que ce n’était pas prioritaire. Au niveau syndical, il y a beaucoup de chose à travailler avant que ce soit pris en compte sérieusement. D’autant plus que, de son côté, Action et Démocratie a envoyé un mail à tous les personnels pour dénoncer l’éducation à la sexualité.

Laurence : Je rajouterai qu’on mesure mal ou plutôt on sous-estime le mal qui a été fait lorsque Benoit Hamon a reculé sur les ABCD de l ‘égalité en 2014. C’est un recul qui a créé un précédent, sur quelque chose qui n’avait aucun caractère subversif en soi, c’était le truc le plus gentillet du monde. Et là il y a une habitude qui s’est prise de dénoncer formellement le discours de l’extrême droite mais quand même de reculer.

Et ce qui s’est passé avec Sophie Djigo (7) car la sortie qu’elle avait organisé dans un camp de migrants n’a pas été supprimée, elle a été ajournée. Et ce sont à chaque fois des victoires qui sont remportée par les parents vigilants. On pourrait tout à fait imaginer réclamer, lorsqu’il y a une initiative de la sorte, au contraire, qu’elle fasse l’objet d’un soutien sans faille de la part de l’institution, d’un accompagnement, pas seulement policier, mais en terme civique.

Tout à coup, cette sortie scolaire devient un modèle. Et ça c’est quelque chose qu’ils n’ont absolument pas le réflexe de faire. Et ce recul est particulièrement dangereux, cette attitude de dire que c’est grave mais surtout arrêtons tout pour ne pas faire de vagues. Il faut absolument que ça s’arrête et ça pourrait être une revendication syndicale ou intersyndicale, à partir du moment où un enseignant est ciblé par l’extrême droite, il doit obligatoirement avoir le soutien de son institution. On l’a vu aussi, par exemple, dans une affaire moins importante sur les réseaux sociaux. Une enseignante dont le nom n’avait pas été donné, avait donné un exercice dans le 1er degré sur la colonisation, elle l’avait formulé un peu maladroitement. Elle comparait les aspects positifs et les aspects négatifs. Cela avait fait tout un scandale, dénoncé d’un côté par l’extrême droite, qui disait qu’elle faisait la critique de la colonisation, et du côté des anticoloniaux, qu’elle faisait l’apologie de la colonisation. La réaction de l’institution a été d’envoyer l’inspection. Et ça, on sait bien parce qu’on sait décoder les protocoles, c’est forcément reçu par la collègue comme une punition. C’est ce qui s’est aussi passé pour Samuel Patty. On lui a envoyé l’inspection.

Il y a une espèce d’incapacité de la part de l’institution à tout simplement agir de façon saine, éventuellement en court-circuitant toute cette tuyauterie.

Il faut répondre aussi avec un répertoire d’action qui soit au niveau de l’offensive qu’on subit. Cela pourrait être une revendication portée par l’intersyndicale. Mais pour le reste on est dans la merde en fait parce qu’en réalité ils vont beaucoup plus vite que nous et on ne sait pas penser ça. Et Sophie Djigo, de fait, elle est aujourd’hui clairement en danger. Et là où on voit bien que c’est problématique c’est le jour où il y a eu dans Libération un article (8) indiquant qu’elle avait justement été ciblée comme responsable de l’attentat contre Dominique Bernard. Libération a donné son nom, sa photo… on voit bien que ce n’est absolument pas réfléchi. La stratégie de défense contre les attaques de l’extrême-droite est un chantier que l’on n’a quasiment pas ouvert.

Un autre exemple, il n’y a pas très longtemps on a découvert une liste « labellisés intellos de gauche » ; on est une centaine à être dessus, cette liste, qui a quasiment deux ans, a été balancé sur un réseau d’extrême-droite, nous sommes des centaines à être cités. Quelqu’un a rendu cette liste publique sur les réseaux sociaux, alors qu’elle ne l’était pas jusqu’alors, elle tournait sur des boucles telegram (9), ce qui était déjà grave. Du coup ça a donné un extrême visibilité à une liste de gens, alors que si c’était resté cantonné à l’intérieur d’un groupuscule, nous aurions sans doute pu agir de manière légale directement sur ce groupe sans que la liste de tous nos noms devienne public.

En fait je dis ça parce que j’ai vraiment le sentiment qu’on a une extrême-droite qui maîtrise parfaitement bien les outils numériques, les réseaux sociaux, de mise en visibilité, de mise en cause, de harcèlement etc. En face on a, et une institution et des syndicats et des groupes militants qui ne savent absolument pas faire et ont parfois des réactions totalement contre-productive et qui nous mettent en danger.

Il y a effectivement cette mise en danger, même si on peut penser que pour l’instant Parents vigilants reste « anecdotique », cela va devenir un problème de plus en plus prégnant. Sur X, Zemmour se vantait de remettre dans le droit chemin les enseignants et de pouvoir les harceler. Leur tactique reste du buzz, du harcèlement, mais ils avancent par pallier, ils prennent de l’ampleur. Sans jouer la carte divinatoire, comment pensez-vous que ça peut évoluer et comment l’empêcher ?

Matthieu : Moi je ne sais pas, autant ça peut s’étendre comme s’éteindre. Mon entrée, ce serait plutôt sur la fragilité de l’éducation à la sexualité. Parce que s’il y a un « buzz » autour de cette question en vrai, dans les écoles, les collèges et les lycées, c’est quand même super limité tout ça, comme ce qui est proposé et organisé. En plus avec des enseignant.es qui ne sont pas formé à ça, à fortiori depuis la disparition des formations, le fait que des associations, comme le planning familial, qui nous aidaient beaucoup sur ces questions sont aujourd’hui en difficulté.

A force de labourer le terrain comme ils le font ils arrivent à fragiliser encore plus ce qui l’est déjà à la base, en particulier l’éducation à la sexualité, leur cible actuelle, ils n’ont pas besoin de beaucoup étant donné le peu de force mis par l’institution pour le développement de l’éducation à la sexualité. Le risque est que les choses s’arrêtent petit à petit sans que ça fasse trop de bruit. Pour le reste il faudra effectivement qu’on soit vigilant.

Laurence : J’ajoute deux choses :

Premièrement, le harcèlement n’est pas anecdotique, ça peut tuer, ça peut faire plonger des enseignants dans la dépression et ça peut tuer de cette manière-là aussi. Cela les met en danger. J’insiste là-dessus car ce n’est pas juste une première phase préparatoire à la laquelle on pourrait s’habituer, c’est extrêmement dangereux et l’intersyndicale ne prend pas la mesure de ce que cela produit. Je ne sais pas comment va Sophie Djigo mais sûrement pas très bien.

Pour avoir été quelqu’un d’assez exposée et pas comme elle l’a été, je sais à quel point c’est dur, extrêmement dur. Il ne faut pas le minorer, ce sont des gens qui mettent en danger les enseignants. C’est indéniable et je suis même persuadée qu’on pourrait réclamer une sorte d’arsenal juridique qui permette immédiatement de signaler et de protéger les enseignants auxquels ça arrive.

Deuxièmement, si par malheur ces gens prennent de l’ampleur, et ce n’est pas simplement ces gens d’ailleurs c’est la fascisation de la société, si cela prend de l’ampleur et que d’autres arrivent en soutien, la droite ultra réactionnaire, comme le RN etc., c’est un vrai danger sur l’école tout entière qui va peser. On peut dire que c’est une avancée vers la censure et la sanction des enseignants militants et notamment de gauche, syndicalistes. C’est une intervention sur les contenus de l’enseignement dans le sens de la suppression de ce que vient d’évoquer Matthieu, mais pas simplement, le roman national, et tout un tas de chose qui sont leurs marottes depuis longtemps. C’est une école de la mise au pas des élèves. Donc il faut quand même bien voir que l’extrême-droite a un programme éducatif et elle est même réputée pour ça. L’une des premières choses que fait le fascisme quand il s’installe dans un pays c’est d’agir sur l’école, c’est la fabrique d’un homme nouveau. C’est extrêmement dangereux.

On a un gros, gros travail de résistance à monter et qui procéderait, à mon avis en deux temps:

  1. Réfléchir sur ce que l’extrême-droite fait à l’école, ce qu’elle fait aujourd’hui, mais ce qu’elle fait aussi du point de vue idéologique et ce qu’elle prépare comme l’école de demain

  2. Comment résister. Que faire, quels outils mettre en place à l’échelle des partis politiques, des syndicats, à l’échelle de la société toute entière de la bataille culturelle et c’est clair que pour le moment on ne les a pas et on est même pas au début de ces 2 étapes.

Propos recueillis par Camille Boulègue

Nota Bene :

Nous apprenons l’organisation par Stéphane Ravier, sénateur NI, d’une rencontre avec les « parents vigilants » au Sénat le 4 novembre.

La CAALAP (Coordination Antifasciste pour l’Affirmation des Libertés Académiques et Pédagogiques) demande au ministre de l’Éducation nationale de prendre ses responsabilités face à ce danger et de se saisir de cette occasion pour témoigner son soutien aux enseignant.es dépendant de son ministère en demandant l’annulation de cette rencontre avec un groupe dont les valeurs et les agissements s’opposent aux fondements de notre système démocratique et menacent ses représentant.es. La CAALAP s’adresse aussi aux parlementaires afin qu’ils se positionnent et affirment haut et fort leur opposition à cette rencontre.

Voir la tribune de la CAALAP du 19 octobre 2023 « Fascisme fondamentaliste, fascisme xénophobe, briser l’étau » : https://www.petitionenligne.fr/tribune_de_la_caalap_fascisme_fondamentaliste_et_fascisme_xenophobe_briser_letau)

Notes :
1.
Anaïs Renon, connue sous le pseudo Anaïs Lignier et ancienne porte-parole de Génération identitaire, a fondé une association de parents d’élèves nommée « Les P’tits Innocents » à Aniane

  1. (https://echecscolere.fr/ / https://www.parentsencolere.fr/ )

Action prévue en octobre https://www.parentsencolere.fr/2023/09/22/action-nationale-2023/

  1. Action & Démographie est un syndicat affilié à la CFE-CGC. Son porte-parole, complotiste, René Chiche est professeur agrégé de philosophie, vice-président du syndicat Action & Démocratie / membre du Conseil supérieur de l’éducation au titre de la CFE-CGC. Il est le rédacteur principal de leur journal Le pari de l’intelligence d’août 2022 qui détaille leur programme pour l’école.

Il a notamment comparé « le pass vaccinal » au statut des Juifs pendant la Seconde guerre mondiale ». Son syndicat a soutenu ses prises de position. En avril 2022, il a appelé à voter Marine Le Pen . En septembre 2023, il a participé au 3e congrès des Patriotes (programme : https://les-patriotes.fr/congres-arras-2023/ )

  1. https://www.cafepedagogique.net/2023/05/24/civitas-contre-la-princesse-prout-prout/

  2. https://www.lavoixdunord.fr/1382083/article/2023-10-07/sophie-djigo-notre-societe-du-mal-entendre-le-sentiment-d-injustice-et-de

https://www.lavoixdunord.fr/1382084/article/2023-10-06/face-aux-attaques-de-l-extreme-droite-un-manuel-d-autodefense-intellectuelle

  1. https://www.education-contre-extreme-droite.fr/

  2. https://blogs.mediapart.fr/caalap/blog/201023/fascisme-fondamentaliste-et-fascisme-xenophobe-briser-l-etau

  3. https://www.liberation.fr/politique/attaque-a-arras-rendue-responsable-du-drame-sur-les-reseaux-sociaux-une-enseignante-menacee-par-lextreme-droite-20231013_JYBWKG75NNAAZIAPD5HCTC7O3I/

  4. boucles telegram FrDeter et par la suite balance ton antifa