Les dernières semaines de Teresa Rodriguez ont été d’une activité intense : présentation du projet « En Avant Andalousie » dans différentes provinces, des primaires au sein de Podemos Andalousie avec remise en cause de la part de la direction fédérale de son parti qui a fini par la confirmer en tant que leader de cette formation et clôture de la période d’activité du Parlement Andalou. Ces éléments étant déjà presque révolus, nous allons nous pencher sur certains moments clefs de ces processus.
Tu as été réélue avec les trois quarts des votes aux primaires de Podemos Andalucia et en l’absence précisément de l’appui de l’appareil fédéral. Quelles en sont les clefs ? Qu’est-ce que ta candidature a offert, selon toi, aux militants ?
Je crois que c’est le second tour de la II Assemblée de Cuidadana andaluza. Au cours de cette assemblée, nous avions réfléchi sur la nécessité de procéder à une étape suivante dans la construction de Podemos. Cela passait par cette lente transition sur laquelle nous avons déjà tant de fois parlé.
Nous allions par la voie rapide. L’intention était d’obtenir des victoires rapides, dans des périodes électorales intenses, en profitant de l’usure des forces politiques du régime, d’une crise ouverte du régime, d’une sensation de désenchantement de la part de la majorité sociale, de l’indignation, de la volonté de changement. Une fois traversé et conclu ce cycle électoral, cette lente transition se devait de s’enraciner sur le territoire avec les forces du changement. Cela non pas en quelques mois ou en trois ans, comme l’ancienneté de Podemos, car c’est au cours de dizaines d’année que des alternatives ont pu se construire dans chacun des « comtés » (arrondissements) d’Andalousie.
C’est dans ce sens que la demande d’autonomie a été faite au cours de la II Assemblée Ciudadana Andaluza et, maintenant, nous avons un projet stratégique sous le bras, qui en est la convergence, et qui a été mis sur la table dans ce processus de primaire. C’est pour cette raison que nous pensons que ce n’est pas seulement l’accord sur la façon de s’opposer au Parlement qui compte mais aussi, une alternative très claire face au PSOE et à ce qu’il est et qu’il faut éviter l’illusion institutionnelle de penser que c’est seulement par le fait de faire partie du gouvernement, même en association avec le PSOE, que nous serions capables de changer les choses. Nous avons eu une attitude très claire à propos du PP et du PSOE en Andalousie, les dénonçant en tant que forces du régime.
D’un autre côté, il y a la volonté de construire un processus ayant sa propre identité, qui prolonge des décades, pour ne pas dire des siècles, de lutte de l’Andalousie voulant en finir avec le fossé par rapport au reste du pays et du continent. Cela ne se résoudra qu’avec un processus de prise de conscience et de confiance en soi, avec un programme spécifique pour en finir avec cette situation d’inégalité.
La convergence avec Izquierda Unida remonte à loin. En Andalousie, elle apporte une base électorale notable, particulièrement dans le monde rural. Cependant, les alliances avec Primavera Andaluza ou Izquierda Andalucista, sont plus récentes et nous parlons de partis avec une certaine implantation sociale, mais elles ne se traduisent pas nécessairement en termes de votes. Alors, qu’apportent ces formations andaloucistes à l’ensemble d’Adelante Andadalucia ?
Elles amènent quelque chose de très important qui est d’avoir conservé la tradition la plus saine de l’andaloucisme. Ce sont les secteurs les plus critiques de l’époque du Parti Andalouciste, quand il décida qu’il fallait gouverner avec le PP et le PSOE, et d’autres si nécessaire, qui prenaient le drapeau andalou mais qui abandonnèrent le drapeau de la gauche et de la transformation sociale. Au sein de cette force politique, ces mêmes secteurs menèrent une opposition claire face à la droitisation du PA et surent conserver durant leur traversée du désert ce drapeau vert et blanc qui continue toujours d’avoir un sens à ce jour. Ils nous apportent quelque chose de fondamental pour une force aussi jeune : faire le lien avec les attentes historiques du peuple andalou et, en plus, ils ont su le faire d’une façon très généreuse. Fondamentalement, ce sont des camarades femmes et hommes qui ont mis à notre disposition ce patrimoine qu’ils ont su préserver durant toutes ces années où ils étaient en minorité. Ils l’ont apporté à notre projet commun, sans absolument rien demander en échange au-delà de collaborer à un processus de changement sur notre terre. Pour moi cela a beaucoup de valeur.
Dans le groupe parlementaire, nous commencions à nous rapprocher aussi de cette réalité grâce à José Luis Serrano. Il a été député à Granada, il est mort un an après au Parlement andalou. Il venait lui aussi de cette tradition andalouciste qui a été celle qui conserva le drapeau de la manifestation historique du 4 décembre et qui nous apportait aussi cet héritage.
Grâce aussi à notre lien avec des gens du Syndicat des Travailleurs Andalou comme Mari, de Coronil, qui nous apportait ce bagage féministe rural et andalou qui a beaucoup de valeur car, dans notre région, l’andaloucisme est très lié à la lutte pour la terre et à la lutte du Syndicat des Ouvriers Agricoles et du Syndicat Andalou des Travailleurs.
Et j’ai eu aussi un intérêt personnel, et je l’ai vécu de façon très proche, car mon père était du Parti socialiste d’Andalousie.
Bien au-delà de cela, très vite, il est apparu la nécessité d’avoir un discours spécifiquement andalou. Parce que nous pensons que si nous sommes capables de gouverner en Andalousie, si nous ne remettons pas en cause les infrastructures qui vont bien au-delà de ce qu’un gouvernement autonome peut décider, concernant la position défavorable et périphérique de l’Andalousie dans le marché au niveau de l’état tout comme au niveau européen, concernant aussi la structure de la propriété de la terre, révélatrice de faiblesse et de vulnérabilité de notre économie…
Si nous ne sommes pas capables de remettre en cause ces infrastructures qui sont au cœur du partage des pouvoirs sur notre terre, nous n’allons pas être capables de changer la réalité de l’Andalousie. On aura beau gérer de façon plus salutaire les ressources, être plus transparents, mieux gérer, nettoyer l’administration et préserver les ressources pour les réinvestir dans les services publics. Non. Il existe une structure sous-jacente qu’il faut toucher et qui va bien au-delà de ce qu’un gouvernement autonome peut faire. Or, cela, seul un peuple conscient de cette réalité et avec une détermination claire peut la faire changer.
Comment se concrétisent ces aspirations dans un projet politique ?
Cela passe par une réforme agraire qui est en attente depuis des siècles sur notre terre. Par un pari stratégique sur les énergies renouvelables où l’on pourrait être les meilleurs et exportateurs. Par obtenir des ressources suffisantes afin de mener à bien cette transition énergétique qui pourrait faire de l’Andalousie un facteur d’entraînement d’un développement économique endogène dont notre terre est en attente depuis des siècles. Par une réforme fiscale qui soit capable de collecter des ressources suffisantes pour mettre en marche l’action publique et qui fonctionne vraiment.
Cela passe aussi, évidemment, par le fait de parier sur l’expérimentation, c’est ce qui est en train de se passer en Andalousie auprès du public des circuits courts, dans la production et la consommation, par une agriculture écologique.
Des expériences où avec l’action des publics, on est en train de demander et d’activer une demande de production locale en écologie. Non seulement pour la partie agroalimentaire mais aussi dans un autre type de biens et de services que possède l’administration. Un engagement pour l’économie de proximité, pour les coopératives de crédit, pour les systèmes qui peuvent, en quelque sorte, tendre à tisser un réseau faisant autorité, dont a besoin l’Andalousie et qu’elle n’a pas eu, alors que d’autres territoires, eux, l’ont obtenu, pour commencer à penser la possibilité de combler la fossé.
Former un gouvernement en Andalousie serait-il suffisant pour obtenir cela ?
Non.
Que faudrait-il de plus ?
Il faudrait un levier pour déclencher d’autres mécanismes qui doivent se produire au sein de la société civile, qui incitent un certain comportement économique et social, qui facilitent, renforcent, exportent et répartissent du savoir au travers de notre terre d’expériences, qui sont déjà en train de se mettre en place, de coopératives d’énergie, de coopératives de consommation, de coopératives de production, de monnaies sociales. Toute une administration à la disposition des expériences de changement et de bonnes politiques qui désormais sont déjà en train de se mettre en place chez nous. Ce serait déjà faire des pas en avant.
Mais ce n’est pas suffisant. Nous aurions aussi besoin d’une administration et d’un État qui mette la vie au centre et mise sur une économie qui génère des emplois dignes et pas seulement dans l’autonomie.
Je crois que, comme ce qui se passe avec les femmes, les politiques qui bénéficient aux Andalous bénéficient à la majorité sociale dans tout l’Etat espagnol, parce qu’historiquement, nous avons été dans cette position de vulnérabilité et, par conséquent, le changement ne doit pas se produire seulement en Andalousie mais il doit se faire aussi en Espagne et en Europe, si nous nous y mettons, aussi.
L’engagement pour les politiques sociales, c’est un engagement pour le développement de l’Andalousie car à chaque fois qu’il y a des politiques qui précarisent et qui réduisent les services publics, cela nous porte préjudice à nous particulièrement. Cela nuit particulièrement aux femmes et aux personnes handicapées, aux collectivités, aux gens qui sont en situation de grandes vulnérabilités.
Nous avons parlé de quels seraient les axes de l’action politique d’Adelante Andalucia s’il parvient à gouverner. Mais, quelle serait la mesure prioritaire ?
Des mesures prioritaires il y en a beaucoup. Je crois que ce que nous devrions faire comme mesure en parvenant au pouvoir, non pas la prioritaire mais la première, serait de faire un audit de l’administration. L’administration publique andalouse est une machine avec un énorme pouvoir qui se dilapide dans la construction d’un appareil qui ne distingue pas entre parti, gouvernements et administration. Pour cela, d’abord, il faudrait auditer la machine avec laquelle on prétend changer la réalité en Andalousie. En deuxième lieu, il faudrait l’alléger certainement ou la renforcer dans les endroits où elle a été trop allégée. Faire un immense effort pour défaire les réseaux et les structures de pouvoir clientélistes et para-administratives qui n’offrent aucun type de garanties.
Au sein du Gouvernement, on doit faire de la politique. Bien des fois, on nous montre qu’un gouvernement, c’est un appareil bureaucratique ou technocratique. Ce n’est pas vrai. Le Gouvernement doit faire de la politique, il doit imaginer les transformations nécessaires face à une réalité injuste. C’est ce que doit faire un Gouvernement. Le Gouvernement andalou, ce n’est pas qu’un appareil administratif comme on essaye souvent de nous le montrer. Mais l’administration a besoin d’être professionnalisée et en pareil cas, nous nous retrouvons avec un gouvernement très bureaucratique et technocratique avec une administration très politisée. Il faut retourner cette tortilla.
Au cœur de Podemos se trouve la participation citoyenne. Comment s’articulerait le transfert de pouvoir et de gestion de l’administration aux citoyens ?
Il y a plusieurs possibilités. Fondamentalement, pour moi ce serait un brassage parfait entre ce qu’a fait Pablo Soto à la mairie de Madrid et ce qu’a fait Nacho Murgui dans les quartiers, bien avant qu’il ne soit président de la fédération des Associations des Habitants de Madrid. Je pense qu’il s’agit d’un mélange de participation numérique, d’application de nouvelles technologies à la participation politique, mais aussi en réunions « présentielles », aux fonctions délibératives, pour construire des commissions de participation autour des services publics.
Je viens du domaine scolaire et avant, au début, lorsque la démocratie est entrée dans le champ éducatif, les conseils scolaires avaient beaucoup plus de poids qu’aujourd’hui dans l’organisation de la vie des établissements. On s’est privé de ces conseils pour les remplacer par un directeur, qui est comme le bureaucrate ou le commissaire politique de l’administration publique. Cela se passe dans la santé, dans les services sociaux et dans toute l’administration andalouse.
Il faut récupérer les conseils de participation dans les centres de santé, où se trouvent aussi des conseils d’usagers et des professionnels pour articuler et diriger la vie dans ces centres. Ils doivent être autre chose qu’un endroit où se répartissent des services, mais bien des espaces de socialisation et d’émancipation citoyen. Après, pour des décisions ponctuelles importantes, on peut les articuler aussi avec une participation numérique très puissante.
Nous avons passé en revue quelle serait l’action politique du gouvernement autonome si Adelante Andalucia obtient une victoire électorale. Cependant, les sondages ne dessinent pas ce panorama, mais plutôt celui où le PSOE-A gagne les élections sans obtenir la majorité absolue. Arrivé là, envisagez-vous la possibilité de laisser le terrain à une alliance entre le Partido Popular et Ciudadanos renversant un parti qui gouverne l’Andalousie depuis plus de quarante ans ? Ou, au contraire, envisageriez-vous d’appuyer un possible gouvernement socialiste pour éviter que PP et CS n’arrivent au pouvoir ?
Nous avons toujours été très clair et précis sur ce sujet, pour qu’il n’y ait aucun doute possible. Jamais, si cela est dans nos mains, ni par action, ni par omission, nous n’allons faire que soit possible un gouvernement de droite. Ni du PP, ni de CS, car ce serait comme l’ultime exercice d’une forme de frustration politique : comme nous ne sommes pas capables de changer l’Andalousie par la voie de la confiance dans la supposée gauche (le Parti socialiste), alors nous optons pour la droite comme vote sanction. Cela est une situation très récurrente dans ce pays et nous ne voulons pas qu’elle se reproduise en Andalousie.
Nous voyons qu’il y a une résistance historique à la droite, liée à la mémoire des peuples de l’Andalousie dont nous sommes très fiers, même si les conséquences ont été de générer une espèce de monstre bureaucratique complètement défiguré comme dans le cas actuel du Gouvernement andalou. Cependant, en regardant le côté positif, nous sommes la seule communauté autonome qui, tout au long de son histoire démocratique, a résisté à la droite et nous n’allons pas mettre fin à cette tradition de continuer à être une barrière infranchissable pour celle-ci.
Ceci étant dit, s’il faut lui donner l’investiture, nous n’allons pas non plus rentrer dans un Gouvernement avec le parti Socialiste, parce que nous ne sommes pas capables d’obtenir la majorité. Dans certains endroits, comme à Cadix, ce sont eux qui ont dû voter pour notre investiture. Dans ce cas-là, nous le ferions et il devra négocier avec nous à chaque projet, chaque loi. Nous pourrions travailler chaque amendement de chaque décret. Ce serait un travail parlementaire intense qui, je crois, serait aussi intéressant. Et toujours en contact avec la société civile, avec ceux qui portent des revendications concrètes depuis très longtemps.
Comment devrait être la relation de l’Andalousie avec le centre de l’État espagnol et avec ses périphéries ? En l’appliquant aussi à un parti politique comme Podemos ?
Bon, nous avons un projet de transformation qui va bien au-delà de l’Andalousie, entre autres choses parce que notre cadre de lutte lui-même va bien au-delà du propre État espagnol. Nous estimons qu’il est nécessaire de combattre les politiques de l’Union Européenne qui servent aussi de dernière barrière au changement. Même si nous avançons vers un changement décidé démocratiquement, nous allons nous heurter au blocage de l’Union Européenne. Je me souviens des déclarations de Jean-Claude Juncker quand il disait aux Grecs qu’ils n’avaient pas le droit de décider démocratiquement de sortir des traités de l’Union Européenne. Ce qui est une contradiction absolue, mais de fait c’est comme ça. Notre espace de lutte est dans l’État espagnol et il est aussi au niveau de l’Union Européenne.
Je crois qu’il y a un apport historique fondamental de l’Andalousie aussi bien dans la configuration démocratique de ce pays que dans la reconnaissance de nationalités historiques, où l’Andalousie a joué un rôle important en conquérant des droits par la mobilisation et le référendum.
Les revendications qui conviennent au peuple andalou réussissent à la majorité sociale du restant du pays, avec certaines similitudes dans le mouvement féministe. Les revendications du mouvement féministe ne sont pas seulement pour les femmes, parce que leur lancement suppose de mettre toute la vie sociale au centre et bénéficie à la majorité la plus large. Pour l’Andalousie par rapport à l’ensemble de l’État, c’est la même chose.
Une autre question également concerne la nécessité de repenser l’État espagnol dans une perspective plus coopérative et moins centraliste, où l’un ne se développe pas au détriment de l’autre. En ce moment en Espagne, si la Communauté de Madrid est un territoire similaire à la province de Cadiz, elle a un pouvoir supérieur avec un produit intérieur brut supérieur à celui de toute l’Andalousie (même avec une agriculture tropicale, le port d’Algeciras, huit millions et demi de consommateurs, le tourisme de Malaga)… Cela n’a aucun sens ! Il y a quelque chose qui se passe pour que les profits se concentrent de manière artificielle dans certains centres de pouvoir.
Il faut détricoter cette injustice car elle ne bénéficie pas non plus à la majorité sociale de Madrid mais seulement à ceux qui concentrent les fortunes.
Ce message décentralisateur pourrait-il être envoyé aussi à la direction de Podemos ?
Je crois que oui, nous devons tendre à cela, même en Andalousie, à partager davantage le pouvoir. Actuellement j’ai gagné les primaires avec une candidature qui se nomme « Teresa Rodriguez » et nous avons utilisé ce facteur personnel depuis le début de la création de Podemos, tout en assumant l’autocritique de cela depuis le début.
Je me rappelle parfaitement la première conférence de presse du Théâtre de Quartier de Madrid. Pablo Iglesias répondait à une question d’un journaliste, je crois qu’il était de Diagonal, demandant si le projet ne lui apparaissait pas un peu trop personnalisé et il répondit que oui. Et il l’est parce que nous sommes issues d’une crise de l’identité collective dans notre pays, d’une sensation de défaite des projets collectifs, du syndicalisme comme espace de socialisation, du parti comme un lieu où se renversent les aspirations collectives, des associations de quartier comme l’endroit où se réunissent les volontés et les revendications. On a décidé de façon transitoire, on s’est institutionnalisé et, d’une certaine manière, on a perdu. Cependant, il était nécessaire de construire de nouvelles identités collectives. Au début il fallait s’appuyer sur certaines légitimités individuelles, mais il nous devons évoluer vers un leadership pluriel.
En Andalousie, il faudrait aussi partager le pouvoir entre les 62 régions qui constituent l’Andalousie et pas seulement dans un appareil centralisateur à Séville. Cela, ça commence par l’autocritique, également pour l’ensemble de l’organisation au niveau national.
Alors, tu ne vas pas dissoudre Podemos Andalucia ?
Non (rire). Je crois qu’il ne faut rien dissoudre. Ce qu’il faut générer, ce sont de nouveaux espaces pour pouvoir continuer d’attendre le débordement. Il me semble que Podemos n’est pas née comme un appareil qui voudrait se perpétuer lui-même durant 150 ans. Nous ne voulons pas former un PSOE qui dure 200 ans et maintienne aux manettes, si possible, les mêmes familles durant des décennies. Ce que nous voulions, c’était articuler politiquement la revendication sociale et l’indignation : une traduction dans une politique de transformation et une stratégie de pouvoir efficace qui soit capable de nous faire gagner pour une fois.
Cela, c’était Podemos et cela doit le rester. Cependant, maintenant en Andalousie, le projet stratégique de Podemos, c’est Adelante Andalucia, un espace dans lequel on puisse additionner des gens qui déjà ne s’identifient pas avec Podemos parce que c’est une identité bien établie, mais qui peuvent faire partie d’un espace plus ample, là où se retrouvent Podemos, Izquierda Unida, Primavera Andaluza et d’autres collectifs comme ceux que nous voulons attirer.
Le mouvement féministe a brillé le premier. Toutes proportions gardées, le 8-M a joué aussi un rôle similaire à celui du 15-M dans le sens où il a su accumuler des forces et a été fondamental. Dans les grandes manifestations ultérieures, comme celles des pensions, on a noté qu’il n’y a pas eu seulement les retraités qui ont manifesté. Cette dynamique d’accumulation de revendications sociales et d’appuis mutuels, tu crois qu’elle peut se maintenir ?
Lorsque j’étais dans les mouvements sociaux j’ai toujours fait des compromis politiques, mais très partiel. Je faisais partie d’une certaine tendance à toujours transiter du social au politique dans le but d’essayer d’établir une stratégie gagnante.
Ensuite, je pensais que lorsque nous ferions un parti politique qui soit capable de changer la réalité et qui ait l’audace suffisante, une conjonction de force suffisante et un programme suffisamment courageux (les trois éléments, pour pouvoir changer la réalité), ce serait parce que les mouvements sociaux auraient noué entre eux des contacts et qu’ils auraient constaté une problématique commune (c’est fondamentalement l’analyse du système et la nécessité de le transformer), qu’ils sont alors capables de dessiner une alternative pour pouvoir la mettre sur la table. C’est là qu’ils gagneront et obtiendront l’appui d’une majorité sociale. C’est cela que j’avais en tête. En aucun cas, qu’un commentateur télé à la sixième chaîne de télévision allait fonder un parti autour de sa personne et que cela allait faire vaciller tout un régime, qu’il allait faire tomber un monarque, faire en sorte que le Parti Populaire organise des primaires en interne, qu‘allait apparaître un bonimenteur, Pedro Sanchez, pour dire qu’il venait de nouveau transformer les choses ou qu’allait apparaître Albert Ribera et Ciudadanos comme la régénération d’une droite presque déjà pourrie.
Ce cycle de changement s’est produit à l’issue de l’apparition de Podemos ou, affaire plus positive, de gouvernements municipaux du changement, faisant qu’il y ait dans ce pays 20 % de la population qui était déjà gouverné par des candidatures du changement dans les villes les plus importantes en population. Je n’aurais jamais pu penser que tout cela allait se produire à cause d’un commentateur qui tout d’un coup fonda un parti. Mais pourtant cela s’est passé comme cela, les chemins du changement sont complexes.
Moi, j’aimerais qu’il y ait un processus de mobilisation sociale, parce que Podemos n’a pas seulement été l’œuvre de gens très intelligents dans le maniement du verbe. Ce Podemos et ces gens réussirent à se connecter avec un sens commun qui était en train de se forger par en dessous. Ce sens commun fit qu’ils eurent la légitimité pour réussir à s’approprier la Plateforme des victimes du crédit hypothécaire (PAH). Dans ce pays, il y avait une majorité sociale qui justifiait que s’arrêtent les expulsions avec les propres associations d’habitants face à la police et face aux banques. Dans ce pays, il y avait un accord très large avec un mouvement comme celui du 15-M qui disait « nous ne voulons pas être des marchandises aux mains des politiques et des banquiers », et c’est une revendication très radicale et très profonde. Il y avait déjà un sens commun alternatif autour des Marées, avec lesquelles Podemos se lia et nous avons besoin de continuer à reproduire ce sens commun alternatif.
Si le sens commun se convertit en une guerre de drapeaux et en un orgueil patriotique interclassiste irrationnel qui ne perçoit pas les inégalités sociales (sinon la haine entre territoires), la haine de ce qui est différent, de ce qui vient d’ailleurs, de celui qui veut s’autodéterminer ou qui se débrouille tout seul, alors nous nous dirigerons vers une société très droitisée. Personne ne nous a dit que dans ce pays, nous sommes exemptés de pouvoir courir ce risque alors que dans notre environnement sont en train de s’installer des alternatives et des issues à l’indignation et à la frustration collective.
Nous avons besoin que continue d’exister ce sens commun alternatif et, c’est pourquoi, la mobilisation permet de faire que cela ait bien lieu. En ce moment, une des choses qui arrête le plus l’extrême droite dans ce pays, c’est le mouvement féministe. Il est né sans que personne le commande, comme un mouvement hautement articulé où il y a des petits collectifs et des associations consolidées, où il se trouve des coordinations territoriales et des tweeters. Tout cela s’articule avec une structure de réseaux pour la mobilisation sociale. La Marée des retraités, exactement pareil, le mouvement de défense de la santé en Andalousie, pareil. Je crois qu’il faut continuer de parier sur la construction de ces espaces en réseaux, très flexible dans la façon d’obtenir des résultats afin d’obtenir une participation majoritaire.
À quoi dois-tu renoncer de ta vie militante quand tu dois diriger un parti qui aspire à gouverner ?
Fondamentalement, il y a un problème de temps. La journée fait 24 heures et avant je dédiais 24 heures à l’activisme social et maintenant je dédie 24 heures au combat politique.
L’activisme social me manque beaucoup personnellement. Il me semble qu’il y a beaucoup de choses absurdes dans les institutions, ce qui n’a pas le cas dans les mouvements sociaux. Tout y avait un peu plus de sens.
Je crois qu’il est important que même quand nous détenons des postes de représentation publique ou institutionnelle, nous ne perdions pas de vue ce que nous faisons ici, pourquoi nous y sommes venus. Ne perdons jamais l’écoute, ni l’appui des mains et des pieds du « dehors », des gens qui continuent de se mobiliser à la porte du Parlement, où nous étions avant nous aussi.
Une des choses que j’ai apprise ici « de l’intérieur », c’est que ce qui se passe dehors a beaucoup plus de poids que ce que je pensais lorsque j’étais dehors. La première chose que fait un représentant public qui doit voter les lois qui s’approuvent ici dedans, c’est de lire le journal pour voir où sont les pressions sociales, que dit le lobby social. Pour cela il est si important que ce lobby existe : pour influer sur les législateurs et les gouvernements et continuer de construire un sens commun alternatif et des espaces d’émancipation et de participation.
C’est à mon tour maintenant d’être ici à l’intérieur. D’ici peu, ce sera à mon tour d’être à nouveau dehors et je continuerai de construire cela et, en plus, je veux que nous construisions une organisation qui perde chaque fois moins de temps dans des choses absurdes comme dans les institutions. Apparemment, c’est un travail très rigoureux celui que nous faisons ici dedans mais après, vu en perspective, il a peu de sens. Je veux aussi que nous investissions beaucoup plus de temps à regarder dehors et à nous connecter avec la réalité sociale et les mobilisations. Parfois, y compris dans notre quête d’une plus grande rigueur institutionnelle, nous sommes capables de transmettre l’idée qu’il faut démobiliser et cela est très dangereux. Parce qu’au lieu de changer l’institution, l’institution nous aura changés : nous ne sommes pas exemptés de cela.
Mais le fait d’être dans une institution comme le Parlement andalou fait que tu t’autocensures, que tu t’obliges à te mordre davantage la langue ou bien prends-tu plus de liberté pour dire ce que tu veux ?
Je crois qu’il y a une certaine sensation d’un plus grand pouvoir essentiellement à cause des gens qui t’écoute, par l’audience que l’on obtient. Mais je crois que je dis la même chose ici maintenant à l’intérieur que celle que je disais dehors. Parfois, avec même plus de rage envers l’adversaire pour l’avoir plus prés, en voyant comment il opère, comment fonctionne le cynisme dans l’institution et les privilèges, les prébendes, les relations avec la structure de pouvoir qui génère inégalités et souffrances sociales.
Cela nous ne l’avons pas perdu. Cette rage continue d’être vivace et maintenant il me semble que nous sommes capables de nous faire entendre par davantage de gens qu’avant. Mais ce n’est pas suffisant d’être capable de d’émettre des messages et des discours radicaux depuis les institutions. Non, ce n’est pas suffisant parce que les changements ne se font pas avec des discours, ils se font avec des rapports de forces.
Quelque chose à dire à celui qui lit cet entretien ?
Oui, souhaitons que s’approche un nouveau cycle de mobilisation qui nous déborde à Podemos et nous dissolve. Je n’ai aucune intention de dissoudre Podemos, mais souhaitons qu’il y ait une situation de débordement qui nous submerge, nous dissolve et nous inclut en même temps.
Propos recueillis par Paco Aguaza, le 20/07/2018. Publié sur le site elsaltodiario.com. Traduction Ensemble et Insoumis.