Vendredi 21 octobre, cent ans exactement après la Marche sur Rome de Mussolini et du parti fasciste, le gouvernement de Giorgia Meloni, composé de membres de Fratelli d’Italia, de la Lega de Matteo Salvini et de Forza Italia de Sergio Berlusconi, a prêté serment. La passation de pouvoir entre Mario Draghi et Giorgia Meloni, et les premiers entretiens avec des dirigeants de l’UE, Emmanuel Macron en tête laissent entrevoir l’orientation générale du gouvernement et les contradictions qui ne vont pas manquer de le traverser.
La première session du Parlement élu le 25 septembre avait déjà laissé un goût amer, avec l’élection du fasciste Ignazio La Russa à la présidence du Sénat, deuxième charge de la République, et à la présidence de la Chambre, troisième position de l’État, du réactionnaire catholique fondamentaliste Lorenzo Fontana, de la Ligue du Nord, un parfait exemple de la devise « Dieu, Patrie, Famille » qui résume l’idéologie des forces de droite et d’extrême droite.
Sur le plan politique, historique et symbolique la passation de la Présidence du Sénat entre Liliana Segre, rescapée de la Shoah, âgée de 92 ans, appelée en tant que doyenne, à ouvrir les travaux, à Ignazio La Russa, cabotin amateur d’histoire fasciste, collectionneur de bustes de Mussolini, protagoniste de l’extrême droite italienne du MSI à Fratelli d’Italia, est particulièrement choquante. Mais l’élection à la Présidence de la Chambre des Députés de Fontana, homophobe, anti-avortement, ennemi des migrants, des femmes et de la communauté LGBT, ainsi qu’ami, à du moins jusqu’à il y a quelque temps, de Poutine et de la Russie millénaire, réactionnaire et tsariste est tout aussi dangereuse.
Quant au gouvernement mis en place par Giorgia Meloni, après d’interminables tractations entre alliés, c’est clairement un gouvernement d’extrême droite. Bien évidemment, il était prévisible qu’il s’agisse d’un « mauvais gouvernement » comme le disent nos camarades de Potere al Popolo,, expression de la droite la plus rustre, compte tenu du résultat électoral et des personnalités à leur disposition, mais on dirait presque qu’ils se sont engagés à faire le pire.
Les nostalgiques du fascisme, les vieux militants du Mouvement social et ses appendices tels que Guido Crosetto, Gennaro Sangiuliano ou Daniela Santanchè occuperont des postes clés. Des racistes et des incompétents déjà responsables de plusieurs désastres ces dernières années, des gens comme Calderoli ou Musumeci, ont été récompensés par des ministères importants.
C’est peut-être le gouvernement le plus à droite de l’histoire de la République, composé dans la majorité absolue d’hommes des régions du Nord, amis des grandes entreprises, construit pour protéger les entrepreneurs et, de manière claire, attaquer les travailleurs, entre autres avec plusieurs personnalités liées à l’industrie de l’armement dans différents ministères. C’est le résultat d’années de gouvernements qui ont aggravé les conditions de vie de tous et de chacun, du centre-gauche qui a concurrencé la droite sur les politiques économiques et dans la guerre aux migrants, dans la sécurité comprise comme la répression des plus faibles, sans réussir sur le terrain des droits à produire des résultats concrets. C’est le résultat du Jobs Act, de la « Buona Scuola », des accords avec la Libye, du gouvernement Draghi…et des compromissions politiques qui ont vu se succéder trois majorités différentes, issues des mêmes élections de 2018.
Elue avec une majorité largement amplifiée par le système électoral, la coalition de droite devra néanmoins affronter d’importantes difficultés et présente de fortes contradictions internes. Les résultats électoraux, contrairement à ce qu’ont affirmé de nombreux commentateurs, ne montrent pas un basculement massif à droite de la population italienne. La croissance de l’abstention, , qui passe de 28% à 37% en 5 ans, montre à quel point le scepticisme vis-à-vis des partis politiques a progressé principalement chez les jeunes et les classes populaires. Le Mouvement 5 étoiles, a enregistré un véritable effondrement, par rapport à 2018, divisant par deux son pourcentage électoral (de 33% il y a quatre ans à 15% aujourd’hui) et perdant environ 6 millions et demi de voix, se reconfigurant comme un parti à implantation majoritairement méridionale et rassemblant un consensus populaire principalement lié à la mise en place du revenu de citoyenneté. La coalition de « centre-droit » ne perce pas non plus en termes électoraux. Bien que victorieuse, elle n’augmente pas son nombre de voix en termes absolus par rapport aux dernières élections (12 152 345 en 2018 contre 12 183 722 actuellement) et est loin des résultats des années dorées de Berlusconi. La croissance de Fratelli d’Italia avec Giorgia Meloni, ne va pas au-delà du bloc de centre-droit, prenant des votes principalement de ses alliés, Lega et Forza Italia.
Le Président de la République Mattarella et le Premier Ministre sortant Mario Draghi ont mis Giorgia Meloni en garde : il ne sera pas question de remettre en cause l’ensemble des mesures prises dans le cadre des accords avec l’Union Européenne, d’autant plus que l’Italie est très endettée et que le plan de résilience adopté par le précédent gouvernement est conditionné par le soutien de l’Allemagne. En matière de politique internationale, le gouvernement de droite ne disposera que de très faibles marges de manœuvre, contrairement aux rodomontades de la campagne électorale.
En donnant ainsi des gages à l’Union Européenne et aux milieux patronaux, se posant en garante des politiques néo-libérales, Giorgia Meloni se voit, symétriquement, contrainte de donner des gages à l’aile la plus extrémiste, fascisante de sa coalition. Des gages cosmétiques, à première vue, comme le changement de nom de certains ministères : le ministère de la famille devenant celui de la famille et de la natalité, celui de l’agriculture devenant celui de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, celui du développement économique étant transformé en ministère des Entreprises et du Made in Italy. Mais qu’on ne s’y trompe pas, au-delà de ces premiers signes, c’est une véritable bataille qui va s’engager sur les questions de société, du droit à l’avortement, des droits reproductifs, en particulier. De même, les politiques anti-immigration du gouvernement Salvini seront relancées, avec, comme premier exemple, la volonté de limiter l’accès aux ports italiens aux navires de sauvetage en mer des ONG. Sur le plan culturel, le révisionnisme historique et la relativisation, la banalisation, de la période fasciste seront mis au premier plan. Le champ sera laissé libre à la propagande et aux exactions des groupuscules fascistes, à condition qu’ils ne salissent pas trop l’image d’un gouvernement propre sur lui.
Emmanuel Macron et Ursula Van der Layen n’ont pas de soucis à se faire, ils ont apporté leur soutien à Giorgia Meloni. Mais ils n’étaient pas les seuls, Viktor Orban et le parti d’extrême-droite espagnol Vox, eux, se sont ouvertement félicités de cette nouvelle alliée. Le 25 octobre, Meloni a déclaré, dans son discours de politique générale à la Chambre des Députés, qu’elle était « antifasciste » ! Personne n’en croira un mot.
Mathieu Dargel