Ce qui paraissait impossible se présente sous nos yeux. Une union du « bloc populaire » où la partie gauche de l’alliance domine sur toutes les questions programmatiques essentielles. Comme le rappelle en substance le vieil Hegel, la chouette de la connaissance prend son envol à la tombée de la nuit. Et nous savons maintenant que si alliance il y a en définitive, ce ne pouvait être que dans ces conditions, dominée par sa gauche. Une partie, encore minoritaire mais massive, de l’électorat ne supportait décidément plus les atermoiements avec le néo-libéralisme, et a compris, en profondeur, combien la confrontation à la crise écologique globale exigeait tout autant la rupture.
Il en fallu du sang froid pour en arriver là. Faire face à ces procès en « irréalisme » pour masquer juste la soumission à l’ordre dominant. Ceux en « ambiguïté sur la République ». Ou en « islamo-gauchisme » visant particulièrement Clémentine Autain (entre tant d’autres). Pourquoi elle ? Sans doute parce que son engagement féministe notoire devait impérativement être rendu contradictoire avec son engagement antiraciste sans faille. Tout ceci en vain : au final le chemin a été trouvé.
Tant que ce « peuple de gauche » n’était pas intervenu pour le confirmer d’une manière spectaculaire par son vote, toutes les « batailles pour l’unité » à froid ne pouvaient se solder que par un accord sur le moins disant, marginalisant la gauche radicale. Et reproduisant l’échec encore et encore. L’exemple, répété tant de fois, du Printemps Marseillais n’est pas probant pour en juger. Certes il y eut le bonheur sans retenue que le Printemps nous ait débarrassé des affairistes. Mais malheureusement de trop nombreux secteurs militants (dont certain-e-s de mes propres camarades, minoritaires, du mouvement Ensemble) en ont tiré la conclusion dépassée que l’unité au moins disant était la condition de la survie de la gauche. Et il nous en a coûté 420000 voix, et l’absence au second tour. Mais voilà, ce qui s’est produit dans des conditions exceptionnelles de rejet de la droite à Marseille l’a été sans la participation des catégories populaires. Et avec seulement 30000 voix au premier tour quand Mélenchon en a obtenu 109000, près de 4 fois plus, avec une mobilisation que la presse locale a jugé « ahurissante » des quartiers populaires.
Ainsi le vote marseillais est un excellent révélateur du succès rencontré nationalement par l’Union Populaire. Ce mélange dans les urnes du vote de ces quartiers populaires, de celui des classes moyennes et populaires en voie de déclassement, et celui d’une grande partie de la jeunesse parmi celle qui vote. Grâce la parole portée par la campagne Mélenchon qui, d’une manière tout aussi spectaculaire, est parvenue à mêler pour la première fois à une telle échelle la visée d’une rupture écologique sans concessions avec celle de l’espoir social, sans céder un pouce sur le nécessaire antiracisme d’où qu’il vienne, le tout avec la proposition d’une 6ème République pour donner à cette alliance politico-sociale ses conditions institutionnelles indispensables. Ce bloc réalisé par en bas, par un « peuple de gauche » qui a enfin trouvé ce qu’il souhaitait, demeure certes incomplet. Même si l’Union Populaire a réussi à réchauffer nombre d’abstentionnistes, elle n’a pas réussi à mordre sur les « fâchés pas fachos ». Question capitale. Laquelle, le racisme étant malheureusement bien présent, pose c’est vrai le défi futur.
Qu’est-ce qui a rendu possible le plus haut score de la partie gauche de la gauche de l’histoire de la 5ème République ? Des positionnements à des moments clé et des ouvertures politiques décisives.
Parmi ces positionnements, cinq sortent du lot dans les derniers mois.
- Le refus de participer (seuls parmi les principaux partis de gauche) à la manifestation néo-factieuse polarisée par le syndicat « Alliance », ce qui actait le refus du basculement réactionnaire ;
- La participation (avec d’autres pour le coup) à la grande manifestation contre l’islamophobie qui a valu des attaques sans fin en « islamo-gauchisme », mais a prouvé que la FI ne laisserait pas faire des musulmans le bouc émissaire des cassures sociales du pays ;
- La condamnation de l’utilisation du thème de la souveraineté nationale avancé par la Pologne pour justifier ses mises en cause du droit des femmes et de l’Etat de droit en général ;
- La condamnation immédiate par Mélenchon de l’agression russe en Ukraine, même si les débats autour des questions afférentes ont perduré (car oui ce sont des questions compliquées), mais rendant caduques aux yeux du plus grand nombre les procès en « poutinisme » ;
- L’activité globale du groupe de 17 parlementaires de la FI, spectaculaire haut-parleur de toutes les luttes et espoirs populaires.
Les ouvertures maintenant.
- D’abord sur le fond, la clarification sur la question européenne (qui doit beaucoup à Manon Aubry et au groupe parlementaire européen) se rapprochant de la position traditionnelle du mouvement altermondialiste, écartant les accusations en aventurisme isolationniste et permettant de préciser sur quoi et comment il serait désobéi aux traités si besoin (cf ci-dessus le cas inverse polonais) ;
- Sur le fond toujours, le travail remarquable produit pour élaborer le programme « l’Avenir en Commun », en lien étroit avec les mouvements sociaux et sans qu’aucune question ne soit laissée de côté. Un document qu’on ne peut évidemment pas qualifier « d’anticapitaliste » (au sens où il ne s’agit pas d’un programme de bouleversement du mode de production dans un sens autogéré), mais qui constitue potentiellement une transition vers des possibilités plus vastes si les rapports de force et les choix populaires le permettent. En la matière, et même pour la mise en œuvre de l’AEC, la clé en définitive réside, comme toujours, dans les mobilisations sociales.
- La référence répétée par Mélenchon à « la créolisation », ouvrant la voie non seulement au refus des guerres d’origine et de religion, mais à la visée en positif d’une société harmonieuse ;
- Sur la forme (mais il est des fois où la forme c’est le fond qui remonte à la surface) maintenant, avec le lancement de l’Union Populaire et de son Parlement, présidé entre autres par Aurélie Trouvé. Un creuset spectaculaire s’il en est de multiples activistes du mouvement social, qui marque un élargissement décisif hors du seul cadre de la France Insoumise ;
- Et enfin le choix courageux, à l’issue des élections, de chercher à unir les composantes politiques du « bloc populaire », sur des bases claires, et avec le succès que l’on sait.
La bataille est en cours désormais pour vérifier en juin l’impact électoral de cette union. Tout est ouvert. Mais quoi qu’il arrive la preuve est faite qu’une issue conséquente d’une sortie du néo-libéralisme (lequel a emporté si loin la gauche ces dernières décennies) est possible. Et souhaitée autrement que marginalement. Que le lien avec la crise écologique peut se faire sans rupture avec les exigences sociales. Que des mouvements si dynamiques mais écartés les uns des autres (contre le sexisme, contre le racisme, contre l’inaction climatique, sur les droits sociaux élémentaires, pour la défense des services publics, au premier rang la santé et l’éducation) ont pu se rencontrer dans les urnes. Tout ceci entamant une refondation globale de la gauche, qui est le chapitre encore à écrire. Sans que ses formes, inévitablement démocratiques sauf à échouer, et adaptées aux données contemporaines, soient écrites à l’avance. Avec la bataille immédiate pour imposer Mélenchon à Matignon ce doit être la préoccupation majeure des mois à venir. A élaborer avec des mains innombrables et sans a priori aucun tant la situation est maintenant bouleversée. Grâce à la campagne de l’Union Populaire avec Mélenchon et avec l’intelligence pratique du « peuple de gauche ». Notre responsabilité collective est d’être à sa hauteur.
Samy Johsua