Jean-Luc Mélenchon a manqué le 2d tour à 400 000 voix. 400 000 voix qui auraient redonné espoir, confiance, et épargné au pays l’épreuve des jours qui nous séparent du 24 avril, marqués par un débat polarisé entre un président sortant au bilan catastrophique qui annonce vouloir encore durcir sa politique anti-sociale au service des plus riches, et une Marine Le Pen qui surfe sur le dégagisme mais sur fond de vernis social illusoire, avec le racisme comme boussole et des alliés néofascistes en Europe et dans le monde.
Le bilan de Macron est sans appel. Par sa politique de destruction sociale, d’arrogance de classe, ouvertement en faveur de la fraction la plus privilégiée de la société, il a provoqué la colère incarnée par le mouvement des Gilets jaunes et la mobilisation contre la réforme des retraites, le découragement chez les enseignant.es, les personnels hospitaliers, il a semé le désespoir dont l’extrême droite profite aujourd’hui. Pompier pyromane, celui qui se présentait comme un rempart est l’un des principaux responsables de la montée de l’extrême droite à un niveau jamais atteint, et d’une situation où elle peut parvenir au pouvoir.
Dans cette situation difficile, un 3e bloc politique qui s’est affirmé autour du candidat de l’UP le 10 avril, bloc clairement de gauche, anti-libéral et anti-productiviste, sera absent de la compétition. Portant une grande responsabilité pour la suite, il revient à l’UP d’organiser la résistance avec les autres forces de gauche et écologistes, face aux deux autres blocs réactionnaires, dans la rue et dans les urnes, des législatives de juin à l’élection présidentielle de 2027. Il lui revient aussi, alors qu’une partie des électrices et électeurs de gauche refusent aujourd’hui de donner caution à Macron en votant pour lui au second tour, que d’autres sont tenté.es par le vote Le Pen pour s’en débarrasser, d’expliquer sans relâche à quel point une victoire de l’extrême droite nous ferait basculer dans un autre monde, parce qu’il y a une différence de nature entre un pouvoir aux mains d’un ultralibéralisme fut-il aussi autoritaire que celui de Macron et un Etat dirigé par l’extrême droite.
Il n’est sans doute pas suffisant de convoquer la mémoire d’Hitler et du nazisme, qui apparaît très éloignée et ancrée dans un contexte radicalement différent. Pour l’heure la fonction du RN, de Reconquête et de leur sphère d’influence n’est pas de détruire les organisations du mouvement ouvrier, qui ne présentent pas un grand danger s’agissant de l’ordre économique dominant, et les secteurs de la bourgeoisie prêts à les soutenir sont faibles. Il faut plutôt évoquer Victor Orban, Matteo Salvini, Donald Trump ou Jair Bolsonaro, qui font résonner la référence néofasciste dans le présent. Contentons nous de la Hongrie, où Orban vient à nouveau d’être réélu, à 53 %. Dès son arrivée au pouvoir en 2011, il a limité la liberté de la presse et licencié 1000 journalistes. En 2012 est adoptée la « Loi Fondamentale », qui définit le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme, protège l’embryon dès la conception et rend les député.es responsables devant dieu. En 2015, il décrète l’édification d’une clôture barbelée sur sa frontière sud et lance une consultation nationale assimilant l’immigration au terrorisme. En 2018, une loi qualifiée d’esclavagiste par ses opposants, pensée pour l’industrie automobile, permet aux patrons d’imposer 400 heures supplémentaires à leur personnel, contre 250 auparavant. Une autre pénalise l’aide aux migrant.es, ciblant les ONG qui s’en chargent. Plus récemment, en 2020, le premier ministre d’extrême droite a par exemple profité de l’état de « péril imminent » déclaré lors de la crise sanitaire pour tenter d’introduire une disposition législative limitant le pouvoir des maires, après le succès de l’opposition aux élections municipales. S’il a reculé sur ce point, il a légiféré par ordonnances pour modifier le fonctionnement de plusieurs organes de l’Etat et rendu impossible la reconnaissance d’un genre qui ne soit pas le sexe biologique.
On a là tous les ingrédients d’une politique pré-fasciste : atteintes à la démocratie pour assurer le maintien au pouvoir, attaques des libertés publiques et notamment censure de la critique du gouvernement, attaques contre le monde du travail, impossibilité de l’avortement, politique familialiste, poids de l’Eglise catholique, discriminations à l’égard des LGBTQ, criminalisation de la solidarité, chasse aux migrant.es … Et Orban est toujours au pouvoir, plus de 10 ans plus tard. On sait quand ça commence, pas quand ça se termine.
On aurait tort de considérer qu’on ne peut faire le lien entre Orban et Le Pen. En Hongrie, la dirigeante du RN est reçue comme une quasi chef d’Etat. Avec Trump, c’est son ex-conseiller Steve Bannon qui fait le lien. Et tout ce beau monde se réunit régulièrement, comme ce fut encore le cas de 10 formations d’extrême droite européenne, RN inclus, en janvier 2022, à Madrid. Si l’on ajoute la complaisance vis-à-vis de Poutine, cela dessine une stratégie d’alliances et non un isolement diplomatique.
Qu’en serait-il en France ? Rappelons que la constitution de la Ve République permet toutes les dérives autoritaires, dont l’extrême-droite ferait usage sans même devoir braver la Cour constitutionnelle. Les pouvoirs du ou de la président.e sont exorbitants : recours au référendum, dissolution de l’Assemblée nationale, usage de l’article 16 qui lui donne la plénitude des pouvoirs exécutif et législatif. Rappelons les lois liberticides déjà en vigueur, telle la loi contre le « séparatisme », dont toutes les potentialités pourraient être utilisées. Gardons en tête que la police est gangrénée par l’extrême droite, qu’un syndicat de police s’est rassemblé sous les fenêtres de la France Insoumise le 26 septembre 2019, qu’une manifestation factieuse est arrivée devant l’Assemblée nationale le 19 mai 2021. Qu’en serait-il dans un Etat dirigé par l’extrême droite ? Présomption de légitime défense pour la police soit l’institutionnalisation de l’impunité pour les violences policières. Dernier élément, la vigueur nouvelle de groupes fascistes violents et le regain de l’antisémitisme décomplexé.
Hormis le contexte international et européen, les dangers liés aux outils légaux à disposition d’une extrême droite arrivant au pouvoir en France, le réveil d’un fascisme ouvertement violent dans le sillage d’un RN en cours de dédiabolisation, il reste le projet de Marine Le Pen. On a déjà dénoncé ici l’imposture d’une candidate qui se targue de défendre le peuple (article de Samuel Johsua) tout en annonçant vouloir, dans la tradition pétainiste, réconcilier le capital et le travail. Au-delà de quelques mesures de saupoudrage en matière de pouvoir d’achat, son programme est sans conteste d’inspiration néolibérale. On peut ajouter que, comme Orban, elle projette d’attenter à la démocratie et de faire fi de la constitution, en utilisant le référendum pour légiférer. Que, comme Orban, elle a les contre-pouvoirs en ligne de mire quand elle entend privatiser l’audio-visuel public. Mais il faut sans doute surtout insister sur le fait qu’il s’agit d’abord et avant tout de diviser les classes populaires, les salarié.es, en semant la haine, en pointant du doigt des boucs émissaires, en encourageant une guerre civile de basse intensité, en lâchant la bride à tous les courants les plus racistes et réactionnaires. Ainsi, Marine Le Pen au pouvoir, c’est la mise en place immédiate de la préférence nationale pour toute demande de logement social et pour tout emploi, qu’il soit privé ou public, pour l’accès à certains services publics comme l’hôpital. C’est la fin du droit du sol, la mise en place d’une condition de nationalité pour toucher le RSA ou les autres prestations de solidarité, sauf à pouvoir justifier d’au moins 5 ans d’équivalent temps plein travaillé en France, la suppression de toute autorisation de séjour pour une personne étrangère qui n’a pas travaillé depuis un an en France. C’est l’interdiction du voile dans la rue, la traque de « l’idéologie islamiste », caractérisation si vague qu’on peut tout y faire entrer. Le RN au pouvoir n’organiserait sans doute pas des ratonnades menées par la police ou par ses militant.es, mais nul doute qu’une telle situation lèverait les inhibitions des groupes néonazis qui rêvent de s’en prendre aux femmes voilées, aux locaux syndicaux et aux militant.es de gauche.
Enfin, si Le Pen se tient à distance des outrances racistes, sexistes et islamophobes de Zemmour, ce dernier sera bien dans les valises du RN, avec des ministres, des député.es élu.es de la majorité présidentielle, dont aucun.e ne se fera oublier. Nous sommes bien face au risque de l’arrivée au pouvoir d’une alliance entre deux forces d’extrême droite qui ont totalisé plus de 30% des voix au premier tour.
Pour toutes ces raisons le choix de Marine Le Pen au second tour n’est pas une solution mais un danger mortel.
Ingrid Hayes