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COP 26 : assez de blabla…seule la lutte paiera !

Les catastrophes climatiques qui se multiplient partout sur le globe sont la conséquence d’un réchauffement de 1,1 à 1,2 °C « à peine » par rapport à l’ère préindustrielle. De la lecture du rapport spécial 1,5 °C du GIEC(1), n’importe quelle lectrice et lecteur raisonnable conclura que tout, absolument tout, doit être mis en œuvre pour que la Terre reste bien en dessous de ce niveau de réchauffement. Au-delà de celui-ci, les risques augmentent très rapidement(2). La possibilité grandit même de voir une cascade de rétroactions positives provoquer le basculement irréversible de la planète vers un régime qui impliquerait, à terme, un niveau des océans supérieur au niveau actuel de 13 mètres, voire de plusieurs dizaines de mètres(3). Une dystopie inimaginable… à coup sûr incompatible avec l’existence de sept milliards d’êtres humains sur Terre !

Vu le temps perdu depuis le Sommet de la Terre (Rio, 1992) et depuis Paris en 2015, il n’est pas certain que la limite du 1,5 °C puisse encore être respectée (au rythme actuel des émissions, elle sera franchie vers… 2030 !). Ce qui est absolument certain, en revanche, c’est que la course à l’abîme ne peut pas être arrêtée sans sortir du productivisme inhérent à l’économie de marché. Comme l’a dit très justement Greta Thunberg, « la crise climatique et écologique ne peut tout simplement plus être résolue dans le cadre des systèmes politiques et économiques actuels. Ce n’est pas une opinion, simplement une question de mathématiques »(4). La COP26 restant « dans le cadre des systèmes économiques et politiques actuels », le pronostic ne fait aucun doute : pas plus que les précédentes, la conférence de Glasgow n’arrêtera la catastrophe.

Est-ce à dire qu’on pourrait ignorer ce qui se passera en Écosse ? Non, des questions importantes sont à l’ordre du jour du sommet. Par exemple : Combien de pays rehausseront-ils le niveau de leurs ambitions climatiques(5) ? Dans quelle mesure le fossé entre les engagements des pays et ce qui devrait être fait globalement pour sauver le climat se réduira-t-il(6) ? Dans les engagements des grands pollueurs, quelles seront les parts respectives des réductions effectives des émissions domestiques, de la « compensation carbone » par les puits forestiers, de la capture-séquestration et des investissements soi-disant propres dans les pays du Sud ? Le « nouveau mécanisme de marché » du carbone adopté en principe par la COP21 sera-t-il concrétisé et comment(7) ? Un prix mondial du carbone sera-t-il adopté, ou les pays riches l’imposeront-ils de fait via une taxe carbone aux frontières(8) ? Ces pays honoreront-ils enfin leur promesse de verser annuellement cent milliards de dollars au Fonds vert pour le climat, afin d’aider le Sud global à relever le défi climatique ? Continueront-ils à faire la sourde oreille face aux pays pauvres qui exigent d’être indemnisés pour les « pertes et dommages » croissants que le réchauffement impose aux peuples ? Etc.

Ces questions feront l’objet de bras de fer acharnés entre les représentant·es des États, en fonction de leurs intérêts économiques et de leurs rivalités géostratégiques. Sans oublier que les mobilisations des mouvements sociaux pourraient peser sur le résultat, sur certains points et dans une certaine mesure. Par exemple, il est important de mettre des bâtons dans les roues de la « compensation carbone » et, si ce système pouvait être banni, ce serait une victoire importante pour les peuples. Analyser en détail les résultats de la COP fournira des enseignements sur l’état du capitalisme et l’acuité de sa crise systémique. Néanmoins, il ne faut pas se bercer d’illusions : globalement, le sommet restera « dans le cadre des systèmes politiques et économiques actuels », comme le dit Greta Thunberg. On peut donc être catégorique : fondamentalement, Glasgow ne résoudra RIEN.

AUGMENTATION DES  RENOUVELABLES… ET DES ÉMISSIONS

À cette opinion radicale, on objecte parfois que la percée des renouvelables pourrait offrir une issue à la crise. Cette percée est en effet réelle, principalement dans le secteur de la production d’électricité. Au cours des vingt dernières années, la part des renouvelables dans le mix énergétique mondial a augmenté de 13,2 % en moyenne annuelle. Le prix du KWh vert est devenu très avantageux (surtout dans l’éolien on shore et le photovoltaïque). Selon l’AIE (Agence internationale de l’énergie), sur la prochaine décennie, plus de 80 % des investissements dans le secteur électrique se feront dans les renouvelables. Mais il est complètement faux d’en déduire que « le processus mondial d’abandon des combustibles fossiles est déjà bien engagé », comme la Commission européenne l’a écrit récemment(9). Cette déclaration constitue même un mensonge tout à fait grossier. En dix ans, la part des fossiles dans le mix énergétique global n’a connu qu’un recul imperceptible – elle est passée de 80,3 % en 2009 à 80,2 % en 2019(10). Sur vingt ans, seule la part du charbon a reculé, mais très légèrement (–0,3 % en moyenne annuelle) ; celle du gaz naturel a augmenté de 2,6 % et celle du pétrole de 1,5 % (de 2014 à 2019). Il n’y a pas l’ombre du début du commencement d’un « processus mondial d’abandon » des fossiles ! C’est bien pourquoi les émissions mondiales de CO2 continuent d’augmenter inexorablement (sauf ponctuellement, lors de la crise de 2008 et de la pandémie de 2020).

Pourquoi y a-t-il à la fois plus de renouvelables et plus d’émissions fossiles ? Parce que les renouvelables ne remplacent pas les fossiles : ils couvrent seulement une part croissante de la consommation énergétique globale. Celle-ci continue de gonfler au rythme de l’accumulation du capital (la numérisation croissante et la complexification des chaînes de valeur internationales, notamment, sont deux dynamiques très énergivores(11).) La politique climatique bourgeoise a donc deux faces, comme Janus. Côté cour, les gouvernements capitalistes rivalisent de belles déclarations sur la « transition énergétique » et la « neutralité carbone inspirée par la meilleure science ». Mais leurs engagements visent plus à favoriser les entreprises qui se ruent sur le marché des technologies vertes qu’à sauver le climat. C’est pourquoi, côté jardin, ces mêmes gouvernements appuient sur le frein de la « transition » chaque fois que le maintien de la croissance du PIB le nécessite. La loi du profit passe donc avant les lois de « la meilleure science » physique. C’est ce que les tensions sur l’approvisionnement énergétique en Chine ont mis en pleine lumière.

QUAND LE PRIX DE L’ÉNERGIE AUGMENTE DANS L’ATELIER DU MONDE…

On connaît le contexte : la puissance chinoise montante cherche à s’affirmer comme leader géostratégique mondial. Cette ambition est devenue inséparable d’une politique climatique « responsable », genre capitalisme vert. C’est pourquoi Xi Jiping, à Davos, a promis que les émissions de son pays commenceraient à baisser avant 2030 ; il a même ajouté un peu plus tard que la Chine ne construirait plus de centrales au charbon à l’étranger. Voilà pour le côté cour. Côté jardin, l’encre des journaux répercutant ces déclarations était à peine sèche que Pékin augmentait de 10 % la production de houille en Mongolie intérieure ! À l’origine de cette décision : la coïncidence des objectifs climatiques « plus ambitieux » et la relance post-Covid. Les commandes de marchandises fabriquées en Chine affluent, provoquant une pénurie relative d’électricité. Les exportations russes de combustibles fossiles – de gaz, notamment, qui pèsent par ailleurs sur l’Europe – sont insuffisantes pour boucher le trou. Il y a donc une hausse des prix… qui menace la relance mondiale. La stagflation menace. Du coup, Pékin relance ses mines de charbon.

Le constat de la situation par le Financial Times est limpide : « La Chine, comme d’autres marchés énergétiques confrontés à des pénuries, doit effectuer un exercice d’équilibriste : utiliser du charbon pour maintenir l’activité tout en montrant son engagement envers les objectifs de décarbonation. À la veille de la COP26, cela semble inconfortable [sic !] mais la réalité à court terme est que la Chine et bien d’autres n’ont pas d’autre choix que d’augmenter la consommation de charbon pour répondre à la demande d’électricité. »(12)

On notera que les concurrents étatsuniens et européens se sont bien gardés de critiquer la décision chinoise. Pour une raison évidente : une flambée incontrôlée des prix de l’énergie dans l’atelier du monde capitaliste aurait des conséquences en cascade dans le monde entier. La direction chinoise est très pragmatique aussi : alors qu’elle avait décrété un embargo sur le charbon australien – pour punir Canberra de ses prises de position sur Taïwan, Hong Kong et d’autres questions – elle ferme les yeux quand les cargos australiens débarquent leur charbon dans les ports chinois… Moralité : ne vous fiez pas aux promesses climatiques des responsables politiques capitalistes, même ceux qui se drapent dans l’étendard du « communisme ». En fin de compte, c’est le Capital qui aura le dernier mot, pas le climat. En République populaire de Chine comme ailleurs.

… ON BRÛLE PLUS DE FOSSILES AU NOM DE LA « TRANSITION ÉCOLOGIQUE » !

Ces tensions sur le marché de l’énergie mettent clairement en lumière les contradictions insolubles de la « transition énergétique » à la sauce capitaliste. La Chine est en effet le principal fournisseur mondial de panneaux photovoltaïques (fabriqués en grande partie au Xinjiang, avec du travail forcé). Elle est aussi le principal producteur de ces « terres rares » dont l’exploitation et la transformation demandent de grandes quantités d’énergie et qui sont indispensables à de nombreuses technologies vertes… Alors que l’humanité est au bord du gouffre climatique, la logique capitaliste du profit aboutit donc à cette absurdité évidente : il faut brûler plus de charbon, donc émettre plus de CO2… pour maintenir les profits… dont dépend la transition aux renouvelables !

La Chine étant « l’atelier du monde », le problème est immédiatement mondial. Quelles seront les répercussions sur la politique climatique d’ensemble ? La COP26 est censée « rehausser les ambitions ». Cette décision sera peut-être prise sur le papier, pour convaincre les populations que la situation est sous contrôle. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Dès maintenant, un récent rapport des Nations unies souligne que quinze pays (dont les USA, la Norvège et la Russie) projettent à l’horizon 2030 des productions de combustibles fossiles plus de deux fois supérieures à la limite compatible avec l’accord de Paris ! Globalement, en 2030, la limite serait dépassée de 240 % pour le charbon, de 57 % pour le pétrole et de 71 % pour le gaz(13) !

Interrogée par le Financial Times, une experte doute que « les pénuries de charbon et les augmentations des prix de l’énergie sont seulement un problème à court terme et cyclique en Chine ». Selon elle, l’épisode met plutôt en évidence « les défis structurels à long terme de la transition vers des systèmes énergétiques plus propres ». Elle a raison. Le défi structurel est le suivant : il n’y a plus de marge de manœuvre, les émissions doivent diminuer tout de suite, radicalement. Par conséquent, il ne suffit pas de dire abstraitement que les renouvelables pourraient remplacer les fossiles. Il faut dire concrètement comment on va compenser le surcroît d’émissions résultant du fait qu’il faut bien employer des énergies fossiles pour fabriquer les convertisseurs d’énergies renouvelables. Techniquement, ce défi ne peut être relevé qu’en réduisant la production et les transports globaux(14). Socialement, cette solution technique n’est envisageable à son tour qu’en partageant massivement le travail nécessaire, le temps et les richesses. On y reviendra en conclusion, mais il est clair que les deux branches – technique et sociale – de la solution sont totalement incompatibles avec la logique capitaliste de la concurrence sur le marché. C’est dans ce cadre qu’il faut examiner les promesses de « neutralité carbone ».

LE VRAI VISAGE DE LA « NEUTRALITÉ CARBONE » ET DES « GREEN DEALS »

Depuis que Trump a cédé la place à Biden, les principaux pollueurs de la planète affichent en effet leur intention de parvenir à « la neutralité carbone » en 2050 (2060 pour la Russie et la Chine) en mettant en œuvre diverses variétés de « green deals ». Mais cette neutralité carbone est un leurre destiné à endormir les opinions publiques. Théoriquement, le concept est bâti sur l’idée qu’il est impossible d’éliminer complètement toute émission anthropique de gaz à effet de serre, de sorte qu’un reliquat devra être compensé en retirant du carbone de l’atmosphère. Mais pratiquement, les capitalistes et leurs représentants politiques en concluent qu’ils peuvent envoyer au diable les urgentes réductions drastiques des émissions, car, un jour dans le futur, un « deus ex machina » technologique retirera de l’atmosphère chaque année, non pas un « reliquat », mais 5, 10, voire 20 Gt de CO2 (émissions mondiales actuelles : à peu près 40 Gt). Résultat : alors que l’Union européenne et les États-Unis devraient réduire leurs émissions d’au moins 65 % en 2030 (pour rester sous 1,5 °C en respectant leurs responsabilités historiques), leurs engagements dans le cadre de la « neutralité carbone » consistent seulement à les « réduire » respectivement de 55 % et de 50 à 52 %(15).

Un scénario complètement insensé se cache sous cette stratégie : le scénario du « dépassement temporaire ». Il consiste à laisser le mercure filer au-dessus du 1,5 °C en pariant que « La Science », plus tard, refroidira la Terre à coups de « technologies à émissions négatives » (TEN)(16). Or, 1°) ces TEN n’existent pour la plupart qu’au stade du prototype ou de la démonstration ; 2°) nous sommes très près du point de bascule de la calotte groenlandaise – qui contient assez de glace pour faire monter le niveau des océans de 7 mètres(17) ; 3°) par conséquent, à supposer que les TEN fonctionnent, il est bien possible qu’elles soient déployées après qu’un processus massif de dislocation des glaces aura déjà commencé. Dans ce cas, on ne pourra que constater les dégâts : le dépassement « temporaire » aura entraîné un cataclysme permanent…

Admettons cependant que le dépassement temporaire reste vraiment très limité (cela nécessiterait de toute manière des réductions d’émissions beaucoup plus sévères que celles qui sont en discussion). Dans ce cas, on aurait plus de chances d’éviter le cataclysme. Mais à quoi ressemblerait le monde soumis à la stratégie « croissanciste » de la « neutralité carbone » ? On peut s’en faire une idée à partir des propositions de l’Agence Internationale de l’énergie (AIE)(18). Elles sont édifiantes. En effet, pour espérer atteindre le « zéro émissions nettes » en 2050 il faudrait, selon l’AIE : deux fois plus de centrales nucléaires ; accepter qu’un cinquième de l’énergie mondiale continue à venir de la combustion d’énergie fossile (émettant 7,6 Gt CO2/an) ; capturer et stocker sous terre, chaque année, ces 7,6 Gt de CO2 dans des réservoirs géologiques (mais des fuites de ces réservoirs, y compris des fuites soudaines et massives, ne peuvent être exclues !) ; consacrer 410 millions d’hectares aux monocultures industrielles de biomasse énergétique (cela représente un tiers de la surface agricole en culture permanente !) ; utiliser cette biomasse à la place des fossiles dans les centrales électriques et autres installations de combustion (en capturant là aussi le CO2 émis pour le stocker sous terre) ; produire de l’hydrogène « bleu » à partir du charbon (avec capture du CO2, toujours !) en espérant que l’électrolyse industrielle de l’eau permettra de produire plus tard de l’hydrogène « vert » à prix compétitif ; doubler le nombre de grands barrages ; et… continuer à tout détruire – jusque sur la Lune – pour accaparer les « terres rares » indispensables aux gigantesques investissements à réaliser dans les « technologies vertes ». Qui a envie de vivre dans ce monde-là ?

POLITIQUES DE MARCHÉ, DÉSASTRE SOCIAL ET ÉCOLOGIQUE ASSURÉ

L’AIE a un plan, d’autres ont des plans… mais il n’est pas question de planification ! Tabou ! Néolibéralisme oblige, le marché est censé coordonner la « transition » à la « neutralité carbone » par des taxes, des incitants et une généralisation du système des droits d’émission échangeables. L’Union européenne est en première ligne avec son plan « Fit for 55 ». Pionnière dans la mise en œuvre des droits de polluer au niveau de ses grands secteurs industriels, l’Union les étendra aux domaines de la construction, de l’agriculture et de la mobilité. Il en résultera pour les consommateurs des hausses de prix d’autant plus importantes que leur logement sera mal isolé ou que leur véhicule sera plus polluant. Les revenus modestes seront donc pénalisés. Les économies du Sud seront pénalisées également – et leurs populations à travers elles – par le truchement de la « compensation carbone » et de la taxe carbone aux frontières(19). Et tout ça pour un plan qui (à moins de tricher), n’atteindra même pas son objectif insuffisant, inaccessible par des mécanismes de marché.

Réduire les émissions de 52 ou de 55 %, c’est mieux que rien, dira-t-on. Sans doute mais, contrairement à ce qu’affirment même certains spécialistes(20), des plans comme « Fit for 55 » ne vont pas « dans la bonne direction ». Climatiquement, ils ne nous mettent pas sur le chemin à suivre pour rester sous 1,5 °C de réchauffement : il y a un écart significatif entre le chemin vers 55 % et le chemin vers 65 % de réduction en 2030, et cet écart ne pourra pas être rattrapé par la suite, car le CO2 correspondant à cet écart se sera accumulé dans l’atmosphère. Socialement, des plans comme « Fit for 55 » ne vont pas dans la bonne direction non plus car ils impliquent une accentuation des mécanismes coloniaux de domination, de la marchandisation de la nature et des politiques néolibérales sur le dos des classes populaires. Or, nous n’avons plus le temps de faire la moindre erreur. Pour « aller dans la bonne direction », il faut mettre le cap sur le bon objectif dès le premier pas.

OUI, C’EST UNE SIMPLE QUESTION DE MATHS

Revenons sur la citation de Greta Thunberg au début de cet article. La jeune activiste suédoise a parfaitement raison d’invoquer « une simple question de maths ». Les données chiffrées de l’équation climatique sont en effet parfaitement claires : 1°) rester en dessous de 1,5 °C nécessite une diminution des émissions mondiales nettes de CO2 de 59 % d’ici 2 030 et de 100 % d’ici 2050(21) ; 2°) 80,2 % de ces émissions sont dues à la combustion des combustibles fossiles ; 3°) ceux-ci couvraient encore en 2019 84,3 % des besoins énergétiques de l’humanité (on sait depuis des années que 9/10 des réserves devraient rester dans le sous-sol, mais l’exploitation et la prospection continuent comme si de rien n’était !) ; 4°) les infrastructures fossiles (mines, pipelines, raffineries, terminaux gaziers, centrales électriques, etc) – dont la construction ne faiblit pas, ou à peine ! – sont des équipements lourds, dans lesquels le capital s’investit pour une quarantaine d’années ; 5°) la valeur du système énergétique fossile est évaluée à 1/5 du PIB mondial mais, amorti ou pas, ce système doit être mis à la casse, car les renouvelables en requièrent un autre.

Dès lors, sachant que trois milliards d’êtres humains manquent de l’essentiel et que les 10 % les plus riches de la population émettent plus de 50 % du CO2 global, la « simple question de maths » débouche sur une série d’implications stratégiques successives :

  • rester sous 1,5 °C en laissant les fossiles sous terre, en changeant de système énergétique et en consacrant plus d’énergie à satisfaire les droits légitimes des démuni·es est rigoureusement incompatible avec la poursuite de l’accumulation capitaliste ;– la catastrophe ne peut être stoppée que par un double mouvement planifié, qui réduit la production globale et la réoriente au service des besoins humains réels, démocratiquement déterminés, dans le respect des limites naturelles ;
  • ce double mouvement passe forcément par la suppression des productions inutiles ou nuisibles, des transports superflus, et par l’expropriation des monopoles de l’énergie, de la finance et de l’agrobusiness ;
  • les capitalistes ne veulent évidemment pas de cette conclusion : selon eux, il est criminel de détruire du capital, même pour éviter un cataclysme humain et écologique monstrueux ;
  • l’alternative est dès lors dramatiquement simple : soit une révolution permettra à l’humanité de liquider le capitalisme pour se réapproprier les conditions de production de son existence, soit le capitalisme liquidera des millions d’innocent·es pour continuer sa course barbare sur une planète mutilée, et peut-être invivable.

Ces implications stratégiques ne signifient pas qu’on pourrait se contenter de répéter « une seule solution, la révolution ». Elles signifient qu’il n’y a rien à attendre des gouvernements néolibéraux, de leurs COP, de leur système et de ses « lois ». Cela fait plus de trente ans que les responsables prétendent avoir compris la menace écologique, mais ils n’ont quasiment rien fait. Ou plutôt si, ils ont fait beaucoup : leur politique d’austérité, de privatisations, de dérégulation, d’aide à la maximisation des profits des multinationales et de soutien à l’agrobusiness a morcelé les consciences, rongé les solidarités, ruiné la biodiversité et défiguré les écosystèmes, tout en nous poussant au bord du gouffre climatique. Ces politiciens ne sont rien d’autre que des gestionnaires au service de la logique de mort du capital. Il est vain d’espérer les convaincre d’une autre politique : ils ne peuvent au mieux que reculer face à des rapports de forces. Construisons ces rapports de forces !

L’ESPOIR EST DANS LES LUTTES

Une alternative est nécessaire, donc un programme de revendications. Il n’existe pas clé sur porte, à nous de l’élaborer pas à pas, à partir du mouvement réel. Pour ce faire, nous ne devons pas partir du niveau de conscience des classes populaires mais nous focaliser en premier lieu sur le besoin d’une réponse globale cohérente à la situation objective diagnostiquée par la physique du climat. En bref : il faut un plan pour rester sous 1,5 °C de réchauffement en laissant les fossiles dans le sol, sans dépassement temporaire, sans compensation carbone et sans compensation de biodiversité ; un plan qui exclut les technologies dangereuses comme la BECCS (captage et stockage du carbone) et le nucléaire ; un plan qui développe la démocratie, propage la paix, respecte la justice sociale et climatique (principe des responsabilités et des capacités différenciées) ; un plan qui renforce le secteur public et fait payer le 1 % ; un plan pour produire moins, transporter moins et partager plus – le travail, les richesses et les ressources. Ce plan doit supprimer les productions inutiles et nuisibles tout en assurant la reconversion collective des travailleuses et travailleurs dans des activités utiles, sans perte de salaire ; il doit notamment nous sortir de l’agrobusiness et de l’industrie de la viande, organiser le passage à l’agroécologie. C’est évidemment d’un plan anticapitaliste qu’il s’agit. Mais sa force est d’être vital, au sens littéral du terme : il est indispensable au sauvetage de la vie.

Inutile de se voiler la face : nous sommes loin d’un tel plan aujourd’hui. Il faudra beaucoup de détermination, de patience et de courage pour convaincre, en remontant la pente des défaites subies par notre camp social. Les obstacles à surmonter sont terriblement nombreux. Dans une telle situation, le péril d’une désespérance de masse ne peut être écarté. Mais la sidération mélancolique ne résout rien. Comme disait Gramsci, on ne peut prévoir que la lutte, pas son issue. N’oublions pas les leçons terribles du 20e siècle : sous le capitalisme, le pire est toujours possible. Il faut donc le répéter sans cesse : seule la lutte collective peut inverser la tendance et il n’est jamais trop tard pour lutter. Certes, ce qui est perdu est perdu, les espèces disparues ne reviendront pas. Mais, si loin qu’on s’enfonce dans la catastrophe, la lutte pourra toujours rouvrir le chemin de l’espérance.

Pour combattre, nous devons être conscients non seulement des terribles dangers mais aussi de ce qui peut renforcer l’alternative. Paradoxalement, l’ampleur même du danger peut nous renforcer, à condition d’y voir la possibilité du changement révolutionnaire nécessaire. La crise de légitimité vertigineuse du système et de ses représentants nous renforce : nous n’avons pas à respecter ces gens qui ont laissé la catastrophe écologique grandir sans rien faire, alors qu’ils étaient informés. Les diagnostics de la science du changement climatique nous renforcent : ils plaident objectivement en faveur d’un plan du type de celui qui est esquissé ci-dessus. La mobilisation croissante de la jeunesse internationale nous renforce : elle se dresse contre la destruction du monde dans lequel elle devra vivre demain. La nouvelle vague féministe nous renforce : son combat contre les violences diffuse une culture du prendre-soin, aux antipodes de la chosification des êtres. La résistance admirable des peuples indigènes nous renforce : leur vision du monde peut nous aider à inventer d’autres relations avec la nature. Les combats des paysans nous renforcent : en disant non à l’agrobusiness ils concrétisent tous les jours des modes de production alternatifs.

Nous pouvons gagner le combat éthique, et soulever des montagnes. Il s’agit d’articuler, de faire converger les luttes contre toutes les exploitations et toutes les oppressions et de faire circuler les savoirs qui vont avec. Cette confluence est décisive. Elle seule peut mettre en branle un mouvement tellement massif qu’il permettra d’entrevoir à nouveau la possibilité concrète d’un changement de société profond, à la fois écologique, social, féministe et éthique. Dans le contexte ultra-défensif actuel, une puissante lame de fond sociétale sera sans doute indispensable pour que le monde du travail et ses organisations rompent le compromis productiviste avec la croissance capitaliste. En tout cas, cette rupture est un enjeu majeur : on ne gagnera pas la bataille pour la Terre et la Vie si les productrices et les producteurs ne se soulèvent pas contre le productivisme. Il s’agit de préparer ce soulèvement. Par des discours et des revendications qui allient le rouge et le vert (notamment la réduction massive du temps de travail sans perte de salaire), mais cela ne suffit pas : il faut multiplier les initiatives concrètes de rapprochement, de mise en réseau entre gauches syndicales, écologiques, féministes, paysannes, indigènes, au niveau mondial.

Dans ce contexte, une attention particulière doit être attachée aux luttes de territoires contre les mégaprojets productivistes, destructeurs de la nature et des gens. C’est là que le social et l’environnemental sont mis très concrètement au défi de surmonter les barrières que le capital dresse entre eux. Naomi Klein, dans son livre sur la crise climatique, a proposé de désigner ces luttes par le terme général de Blockadia(22). C’est dans le creuset de cette « Blockadia écologique », et dans sa convergence avec une « Blockadia sociale », du type Gilets jaunes, qu’émergera une alternative au rouleau compresseur du Capital : un projet écosocialiste pour vivre bien sur cette Terre, la laver des souillures du capital, et nous avec.

Daniel Tanuro. Écrit pour le site IVe Internationale (dont la Gauche anticapitaliste est la section belge), cette contribution reprend des extraits de l’introduction à l’ouvrage Luttes écologiques et sociales dans le monde. Le rouge s’allie au vert, sous la direction de Daniel Tanuro et Michael Löwy, Textuel (à paraître fin octobre 2021).