237 000 le 7 août, 215 000 le 14… Quel est le bilan d’étape de la mobilisation « anti-Pass » qui semble déjà marquer le pas ?
TOUTE LA GAUCHE A VOTE « CONTRE LE PASS »
Le sujet n’est pas ici de refaire une analyse du caractère « liberticide » du Pass, analyse que l’ensemble de la gauche partage du moins en partie puisqu’il a été rejeté par l’unanimité de ses député-es au parlement :
- le Pass instaure un nouveau motif de licenciement, assez baroque puisqu’il s’agit d’une obligation vaccinale, bien que comme le rappelle à juste titre Romain Descottes dans son excellent article de la revue Contretemps : « Si l’extension des possibilités de sanctions par le patronat et le renforcement du rapport de subordination constituent un risque en soi et doivent être combattus sans condition préalable, rappelons tout de même que l’objectif de cette loi n’est pas l’augmentation directe du taux de profit. La logique de licenciement répond à des prérogatives discrétionnaires des employeurs – disposant par ailleurs déjà d’une large gamme de possibilités – et non pas au hasard de l’opposition au vaccin parmi leurs salarié.es. »
- oui, le Pass sanitaire instaure de fait un contrôle quotidien et usant pour l’ensemble de la population, vaccinée ou non d’ailleurs. Non pas tellement sur « l’identité » de la personne mais sur son statut vaccinal et son genre (qui avec le prénom est à peu près la seule information personnelle qui s’affiche lors du contrôle du pass). Plus que son caractère à proprement parler « liberticide », critique qui semble un brin outrée en pleine pandémie mondiale qui a déjà tué de 4 à 12 millions de personnes, c’est plutôt sa dimension d’usine à gaz (combien de faux pass sont-ils déjà en circulation?) et de « privatisation » de ce contrôle qu’il faut à mon avis pointer.
LE BILAN CALAMITEUX DE MACRON QUANT A LA GESTION SANITAIRE
Mais le Pass sert surtout au gouvernement à justifier le fait ne pas prendre clairement position sur la question de la vaccination universelle ! Il permet de biaiser, sans officiellement « imposer » la vaccination, mais en mettant en place des règles qui rendent aux non vaccinés (comme en grande partie aux vaccinés d’ailleurs) la vie quotidienne compliquée, voire impossible.
Le Pass, c’est ni plus ni moins que « l’ordo-libéralisme » appliqué au domaine sanitaire : comme avec le protocole Blanquer dans les écoles, « on n’impose rien » (du coup on se dédouane si les choses tournaient mal), mais on met en place des mécanismes qui de fait vont forcer la main aux « agents », formellement toujours « libres et responsables de leurs choix ».
Ces manifestations auraient donc pu se tenir sur un terrain de critique progressiste de la politique du gouvernement, comme cela avait commencé à être le cas chez les enseignants avec la pétition de la FSU, puis unitaire, pour que les personnels de l’Education nationale soient parmi les « prioritaires ». Car c’est bien cette hypocrisie gouvernementale qui est un moteur des manifestations actuelles.
UN MOUVEMENT SANS AUCUN CARACTERE DE CLASSE, TRES MINORITAIRE ET PEU SOUTENU DANS LA POPULATION
On entend souvent l’argument, dans le milieu de la « gauche radicale », que c’était la présence des militants de gauche et syndicaux dans le mouvement des Gilets Jaunes qui avait permis son évolution. Si bien sûr cette présence a pu rassurer et entraîner certains et sans doute éloigner d’autres éléments plus à droite dans le mouvement des Gilets jaunes, c’est bien la confrontation avec le réel, la politique de Macron, la répression policière, le besoin d’unité populaire nécessaire au mouvement, notamment vis à vis des origines de chacun-e, qui a su faire évoluer le mouvement GJ « vers la gauche ».
Premier constat : son soutien reste toujours très minoritaire dans l’opinion publique et stagne aux alentours de 35 %. A l’inverse, 50 % de la population se déclare hostile à ces manifestations.
Second constat, il reste campé sur ce qui en fait son seul ciment : la « liberté » de vaccination. Le mouvement des Gilets Jaunes, dans lequel certains voudraient assimiler le mouvement « anti-Pass » comme s’il en était une réplique, était parti de l’opposition à la seule taxe carbone. Mais il avait rapidement étendu ses revendication à l’ensemble de la politique fiscale de Macron, puis sa politique anti-sociale, et ainsi su gagner jusqu’à 70 % de popularité.
Ces deux éléments, capacité à élargir sa problématique politique et son assise populaire, marquent des différences irréductibles avec le mouvement des Gilets Jaunes, malgré le fait qu’une partie des organisateurs des actuelles manifs « anti-Pass » y ont été actifs.
Malgré tout, ne faudrait-il pas passer outre, en sautant sur l’occasion d’un mouvement « anti-Macron », qui devrait payer ici tout le contexte de sa gestion de la pandémie ? Mensonges sur les masques ; rassurisme, postures idéologiques et rigidités bureaucratiques sur l’école ; mépris de ses oppositions et bonapartisme ; opportunisme et coups de menton sur la vaccination, en disant tout et son contraire sur le Pass… Ce mouvement n’est il pas le moyen de mettre l’exécutif en porte-à-faux, à quelques mois de la présidentielle ?
LE PIEGE DE MACRON SE REFERME
C’est malheureusement l’inverse qui est vrai ! Le piège a consisté à accompagner l’annonce du Pass de deux provocations sociales, sur le chômage et les retraites, afin d’être bien sûr d’amalgamer ses oppositions, ce qui a toujours été la tactique de Macron, et en comptant sur les vacances pour empêcher la gauche et les organisations de prendre la main et de lier politiquement Pass, politique sanitaire et questions sociales. En digne représentant du populisme libéral des classes dominantes, il tente désormais de disqualifier et de cornériser l’adversaire, de le présenter comme un maelstrom d’extrémistes et de déséquilibrés, manifestant côte à côte avec de réels antivax et complotistes pour leur « liberté », quand il s’agit simplement de « faire société » en se vaccinant contre une maladie épidémique mortelle…
Sans appel clair, sans dire par quoi nous remplacerions le Pass, participer à ces manifs revenait à tomber à pieds joints dans le piège.
Le volontarisme « anti-Pass mais pro-Vax » ne sera malheureusement d’aucun secours à la gauche dans ces manifestations : son ciment est l’opposition au Pass (surtout sans dire par quoi le remplacer), sa revendication unique la « Liberté », son carburant principal l’obscurantisme antivax… . Dès lors les militants de gauche qui y participent, parfois avec les meilleures intentions du monde, se retrouvent aspirés sur une ligne qui n’est pas la leur. Il ne serait que temps de s’en rendre compte.
On ne doit pas s’étonner qu’une majorité de la population et des travailleurs, déjà très largement vaccinée, se dise hostile à ces manifestations et à ceux qui les soutiennent. Jackpot donc pour Macron, qui travaille à se refaire une stature de présidentiable et peut se frotter les mains pour 2022.
UNE PARTIE DE LA GAUCHE CONTAMINEE PAR LES ARGUMENTS TECHNOPHOBES
Et la situation empire. Plus le temps passe, plus les signaux inquiétants se multiplient au sein même des organisations syndicales et politiques :
- interview sur RMC d’un responsable national de la CGT Santé-sociaux, Guylain Cabantous, vice-président de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de l’Hérault et membre du bureau de l’Union Fédérale de la Santé Privée CGT, relayant tout l’argumentaire anti-vax ;
- lui-même s’appuyant sur la dérive hallucinante d’un sociologue comme Laurent Muchielli, spécialiste des questions de délinquance, devenu une des égéries de la mouvance anti-vax et désormais interdit de blog sur Mediapart pour non-respect de sa charte morale (il lui reste heureusement France-Soir).
- que dire de l’appel intersyndical guadeloupéen à la manif du 14 août, « pour montrer qu’il y a des traitements efficaces utilisés dans le monde et que la COVID n’est pas une fatalité », contre « les diffuseurs du Covid-19 » qui « refusent de soigner les malades », contre ceux qui « projettent de nous injecter autant de vaccins que de variants de la Covid-19 », pour la « mise en valeur de notre pharmacopée » (je suppose qu’on entend par là des traitement par des plantes locales)… appel signé UGTG, Solidaires, FO, CFTC, UNSA et même 3 petits syndicats de la FSU. Pendant ce temps, l’épidémie explose aux Antilles avec moins de 20% de vaccinés.
- sans parler des multiples appels locaux, réunissant syndicats et politiques (parfois même Ensemble comme à Saint-Brieuc !), « contre l’obligation vaccinale », défendant la « liberté de se vacciner », signés notamment par les syndicats Santé de Solidaires, de la CGT ou de FO.
- enfin la dérive la plus emblématique est celle de Lutte Ouvrière, organisation ayant pourtant pris position pour l’obligation vaccinale en 2017 (loi Buzyn faisant passer le nombre de vaccins obligatoires de 3 à 11) et qui aujourd’hui, dans un article de Georges Kaldy, présente « les vaccins » comme « des armes » au mains de la bourgeoisie « contre les pauvres ici, en France » et « à l’échelle du monde, des pays riches contre les pays pauvres ».
On ne pourra voir ici au mieux qu’un opportunisme crasse d’une partie de la gauche radicale, déboussolée par ce mouvement qui, s’il a entraîné des secteurs très minoritaires du salariat aux allures « radicales » pour un mélange de raisons parfois compréhensible, a démarré sur une base technophobe, complotiste et réactionnaire. Quand les dégâts idéologiques ne sont pas pires encore.
LA NECESSITE DU SURSAUT
Concernant le Pass, on ne voit pas dans ces conditions comment celui-ci pourrait être retiré, sauf si un mouvement majoritaire était en capacité d’imposer à Macron une démarche de vaccination plus efficace, plus égalitaire et plus universelle.
C’est bien ce à quoi la gauche doit s’atteler dès la rentrée, afin de clarifier les enjeux politiques de cette séquence. Notre profil ne peut être uniquement « anti-Pass », mais doit expliquer en quoi une alternative à la politique actuelle du gouvernement existe, à la fois en faveur d’une plus grande couverture vaccinale en France et pour una vaccination de masse dans le monde.
Dès la rentrée, un front commun de toute la gauche et de l’ensemble des organisations syndicales doit s’établir pour dire ce qu’aurait fait un gouvernement populaire, au service des intérêts de la majorité :
- défense de l’hopital public, arrêt immédiat des fermetures de lits et plan de réouverture ;
- levée des brevets sur les vaccins permettant une généralisation de la vaccination au niveau mondial et mettre fin au pouvoir des profiteurs de guerre que sont actuellement les actionnaires des grands labos ;
- extension effective de la couverture vaccinale, par une campagne qui aille vers les gens (à la porte des entreprises, des immeubles, des bahuts), par des mesures incitatives et positives (vaccination sur temps de travail, jours de congés dans ce cadre…).
- l’annonce que cette extension aboutira rapidement à la vaccination universelle et obligatoire de toute la population
Pour cela, le communiqué commun du 3 août de la FSU, CGT et Solidaires, malgré ses limites importantes, ainsi que l’appel des « politiques » du 22 juin dans Libération, peuvent être des bases précieuses pour avancer vers une Front commun pour une réelle vaccination de masse, pour la défense de l’hopital et l’accès à la santé pour toutes et tous !
Thierry Guintrand (94)