Ce 14 avril, nous célébrons le 90e anniversaire de la chute de la monarchie des Bourbons d’Alphonse XIII [1886-14 avril 1931] et de la proclamation de la Seconde République. Un processus qui, comme on le sait, a été le résultat de la victoire des candidats républicains-socialistes dans les principales villes lors des élections municipales tenues deux jours avant et, surtout, de l’irruption du peuple pour célébrer son triomphe dans la rue à Eibar (Pays Basque), à Barcelone (Catalogne) et, plus tard, à Madrid et d’autres villes, aboutissant ainsi à la proclamation officielle de la République espagnole dans la capitale de l’État, à 20 heures.
On a beaucoup écrit sur les énormes espoirs qu’a suscités la Seconde République, sur les conquêtes qui ont été obtenues, sur les divergences entre les différentes forces de gauche, mais aussi sur les obstacles que les droites réactionnaires ont mis en place les années suivantes, jusqu’à aboutir au soulèvement militaire [juillet 1936] et à la guerre civile et à la victoire du franquisme, soutenu par le nazisme allemand et le fascisme italien.
Nous n’avons pas l’intention dans cet article de passer en revue ces événements, mais de revendiquer le fil qui a uni ce jour-là au meilleur de la tradition républicaine qui tout au long du XIXe siècle s’est répandue sur nos terres et qui a fusionné avec d’autres idéaux tels que l’idéal fédéraliste, socialiste, libertaire ou municipaliste. L’expérience de la Première République a été courte, en raison du coup d’État militaire qui a mis fin à celle-ci pour mettre en place la Restauration des Bourbons mais, face à la diabolisation qu’elle a subie par les droites et l’historiographie officielle, elle aussi était pleine d’enseignements.
Aujourd’hui, le républicanisme retrouve tout son sens face à une monarchie corrompue et héritière du franquisme et d’un régime rempli de fissures de tous côtés. Des enquêtes comme celle promue par la Plateforme de médias indépendants il y a quelques mois [voir article ci-dessus] ont confirmé que le rejet de la monarchie continue de se propager, non seulement en Catalogne et au Pays Basque, mais aussi parmi les personnes de moins de 45 ans et les personnes de gauche en général. Au sein du parlement espagnol, les forces politiques qui se déclarent ouvertement républicaines et ne renoncent pas à continuer d’exiger un procès équitable du monarque en fuite, Juan Carlos Ier, et la convocation d’un référendum sur la forme d’État, sont également importantes, bien qu’elles soient minoritaires. Nous connaissons cependant la peur de l’establishment et des partis du régime, y compris le PSOE, de soumettre la monarchie à la justice et au débat public, conscients qu’après la fin du juan-carlismo, l’ouverture de ces processus pourrait mettre à nu tout ce dont ce régime a hérité du franquisme et qu’on a voulu cacher et, surtout, faire oublier avec la Transition [1978].
Face à la phobie de la démocratie de la part du régime, comme nous l’avons écrit dans notre chapitre du livre que nous avons coordonné, A bas la monarchie! Républiques, nous devons reconstruire aujourd’hui un nouveau républicanisme qui ne soit pas une simple réaffirmation nostalgique des expériences républicaines passées, mais qui regarde vers l’avenir: il faut revendiquer un républicanisme anti-oligarchique, basé sur une démocratie délibérative et participative, sur la pluri-nationalité et le droit de décider de nos peuples, laïque, confédéral, municipaliste, écosocialiste et féministe. Car, face à la crise civilisationnelle globale à laquelle nous assistons, nous ne pouvons nous limiter à défendre une république qui se borne à substituer la monarchie par l’élection au suffrage universel d’un chef d’État pour installer un modèle présidentialiste qui maintienne intacts les piliers de ce régime et l’oligarchie qui le soutient.
Malgré l’épuisement du cycle ouvert par le 15M (mouvement d’occupation des places commencé à Madrid le 15 mai 2011) il y a près de dix ans, et l’impasse dans laquelle se trouve le mouvement souverainiste catalan, à travers les expériences vécues par des millions de personnes dans ces mobilisations et autres de la dernière décennie, ce nouveau républicanisme s’est manifesté dans de nombreux forums et d’autres espaces de débat et s’est reflété dans des propositions qui pourraient se concrétiser dans des processus constituants démocratiques.
L’expérience du Pacte de Saint-Sébastien qui a précédé la proclamation de la Seconde République est également réapparue comme référence. Sans l’idéaliser, car elle avait de fortes limites, en raison du poids plus important des forces étrangères à la gauche, nous pensons, comme le postulent différentes revues alternatives, qu’il serait nécessaire de créer les conditions d’un pacte confédéral entre les forces politiques et sociales républicaines qui permettent d’articuler les luttes à venir.
Nous savons également que nous ne pouvons avancer sur cette voie que si nous consacrons tous les efforts nécessaires à la reconstruction d’un tissu associatif de différentes organisations sociales, culturelles et politiques porteuses d’un nouveau républicanisme dans lequel, comme l’écrit David Fernández dans le livre A bas le roi! Républiques, le mot République ne soit pas seulement une forme d’État, mais «surtout une culture politique démocratique, une défense de l’intérêt public et des biens communs et une manière de garantir et de partager l’égalité entre toutes et tous». Par ailleurs, nous sommes convaincus que, si nous voulons éviter le risque de fragmentation des luttes que, par en bas, nous devons promouvoir et soutenir contre l’aggravation des inégalités de toutes sortes et faire face à la menace posée par la montée du bloc des extrêmes droites, tout pas en avant vers cette confluence contribuerait à générer de nouveaux espoirs pour un changement qui sera sans aucun doute républicain.
Sur ce chemin, notre pire ennemi n’est pas l’incertitude du changement, mais la résignation du « on ne peut pas » qui assure la survie de l’ancien régime, qui semble ne jamais finir de mourir. Le moment républicain doit être compris comme une fenêtre d’opportunités non seulement pour arrêter l’hémorragie de la perte de droits, mais aussi comme un tournant historico-politique pour garantir de nouveaux droits et inventer de nouvelles formes de démocratie. Ainsi, face à ceux qui contemplent avec terreur, d’en haut, la crise sociopolitique comme une époque de décadence et s’efforcent de crier « Vive le roi ! », nous, celles et ceux d’en bas, devrions contempler la scène, aussi dans tout son aspect dramatique, comme un moment urgent pour une recréation démocratique, pour la redéfinition des logiques de la représentation et pour la subversion de toutes les règles du système social qui nous ont conduits à un tel désastre, nous regroupant toutes et tous sous le slogan « A bas le roi ! Républiques ».
Jaime Pastor et Miguel Urban. Article publié sur le site Viento Sur, le 14 avril 2021 ; traduction par Jean Puyade.