Au mois d’octobre 1870, deux questions continuent à polariser le débat : d’une part la question nationale, la poursuite de la guerre, la résistance à l’occupation – il faut se rappeler que depuis le 19 septembre Paris est assiégé – et d’autre part la question démocratique. La République a été proclamée le 4 septembre, mais quel est son contenu réel ? Si l’on prend l’exemple de Paris, c’est le gouvernement qui a nommé le Maire et les maires d’arrondissement et qui vient de décider de repousser les élections municipales.
Dans les grands évènements de ce début du mois d’octobre, il y a le 7 octobre : le Ministre de l’intérieur, Léon Gambetta quitte Paris. Comme Paris est assiégé, il part en ballon (une montgolfière). Il devient Ministre de la Guerre, sa mission étant d’organiser de nouvelles armées pour libérer la capitale. L. Gambetta est l’un de ceux qui, au sein du gouvernement de défense nationale, est vraiment attaché à la défense nationale et à la résistance à l’occupation. Ce qui n’est pas le cas de tous les membres du gouvernement. C’est pourquoi cette décision ne suffit pas à calmer les inquiétudes du peuple parisien. Beaucoup, en effet, pensent que le gouvernement est incapable de mener la résistance à l’occupation, voire qu’il est tenté par les négociations et la capitulation.
C’est pourquoi le 5 octobre, Gustave Flourens – un « républicain rouge » – prend une initiative pour forcer la main du gouvernement afin que celui-ci organiser vraiment la défense : il fait défiler devant l’Hôtel de Ville de Paris dix mille hommes en armes qui viennent, pour l’essentiel, du quartier de Belleville. Ces hommes constituent les bataillons de la garde nationale mobile.
C’est l’occasion de dire quelques mots sur la garde mobile qui va jouer un rôle certain dans le déclenchement de la Commune. A l’époque, à la fin du second Empire, l’armée fonctionne selon un mode de conscription et de service militaire. Lorsqu’ils ont l’âge requis, les jeunes hommes sont soumis à un tirage au sort et, selon le résultat de ce tirage au sort, les uns sont affectés à l’armée d’active pour un service militaire qui dure quand même 7 ans et les autres sont affectés à la garde mobile ou garde nationale, qui est une sorte d’armée de réserve organisée sur la base des circonscriptions de l’administration civile. Donc, en pratique, il s’agit de civils : les gardes nationaux vivent à leur domicile ; ils ont des activités professionnelles normales. De temps en temps, ils effectuent des exercices militaires et ils peuvent être mobilisés en cas de nécessité pour seconder l’armée d’active, ce qui est évidemment le cas puisque l’on est en situation de guerre. Leur formation militaire de même que leur armement ne sont naturellement pas du tout de même nature que ceux des soldats intégrés à l’armée d’active. Cela explique notamment que le mouvement populaire revendique périodiquement que la garde nationale soit mieux formée, qu’elle soit mieux armée et qu’elle soit directement associée aux opérations militaires.
Le 8 octobre, ce mouvement se poursuit mais, cette fois, à l’échelon parisien à l’initiative de Belleville et de son leader. Le Comité Central républicain des Vingt arrondissements – que l’on a déjà évoqué et qui constitue un embryon d’instrument de contrôle de la population sur le gouvernement – appelle à manifester pour la tenue d’élections municipales et le maintien des acquis démocratiques de la garde nationale que le gouvernement veut faire disparaître, notamment les mécanismes de contrôle voire d’élection des officiers par la troupe. En fait, la manifestation est un échec. Les participants sont peu nombreux ; le gouvernement garde la main sans problème.
Mais, pour la première fois, dans la manifestation, on entend un slogan qui, par la suite, va devenir très important : « Vive la Commune ! ». Ce slogan correspond à la progression dans les esprits de l’idée de Commune. Mais derrière cette idée, il existe en fait des explications et des conceptions différentes. Derrière la revendication d’une Commune élue – revendication largement partagée par le mouvement populaire – il existe une ambiguïté. S’agit seulement de réclamer l’élection de la Commune au sens de l’élection de la municipalité de Paris ? S’agit-il aussi de mettre en place un contre-pouvoir par rapport au gouvernement ? Par exemple, le Comité Central républicain des Vingt arrondissements réclame « une Commune souveraine, opérant révolutionnairement la défaite de l’ennemi (…) facilitant l’harmonie des intérêts et le gouvernement direct des citoyens par eux-mêmes ». On voit bien là, surtout la fin de la citation, que l’intention va largement au-delà de la simple démocratie municipale. Mais, à ce stade, les choses sont loin d’être tranchées.
Quelques jours après cette déclaration qui ouvrait la voie à la revendication d’auto-organisation – « le gouvernement des citoyens par eux-mêmes » – Comité Central républicain des Vingt arrondissements recule et déclare : « pour ce qui nous concerne, il n’a jamais été question de faire au gouvernement de défense nationale une opposition de parti pris ». Le 8 octobre, jour de la manifestation avortée, il reprécise les choses dans un sens assez municipaliste et fédéraliste : « La Commune de Paris comme tout autre commune doit se contenir sévèrement aux limites de sa propre autonomie. En effet, la vie municipale d’une cité est absolument inviolable. La commune est l’identité politique et l’État ou la Nation n’est que la réunion des communes de France ». Ces conceptions doivent en fait beaucoup à l’influence qui est alors importante d’un penseur du mouvement ouvrier et qui est parfois revendiquées par certains courants anarchistes et qui, par ailleurs, a été abondamment critiqué par Karl Marx : Pierre-Joseph Proudhon.
Mais cette approche de la revendication de Commune n’est pas la seule qui existe : les partisans de Blanqui (dont on a un peu parlé précédemment) et qui sont également influents dans le mouvement ont une toute autre définition de ce qu’est la Commune, de ce que peut être la Commune. On retrouve d’ailleurs cette définition au même moment, c’est-à-dire le 8 octobre, dans « La Patrie en danger », le journal fondé par Blanqui. On y lit : « Pas de malentendu ni d’équivoque ! Il y a commune et… commune, la commune révolutionnaire qui a sauvé la France. Alors le 10 août et en septembre, on fondait la République qui ne fût pas le produit d’une élection régulière, une émanation bourgeoise d’un troupeau qui se rend à l’urne ; elle sortit d’une convulsion suprême comme la lave sort du volcan. La Commune de 1972 était l’illégalité même puisque la loi était encore l’iniquité. Elle fut la force et l’audace, parce qu’elle était de droit. La commune légale, la commune du suffrage régulier siégeait à l’Hôtel de ville. La commune révolutionnaire fût explicitement contre elle ».
Alors, deux commentaires pour en finir avec cette citation un peu longue. D’abord, ainsi qu’on le vérifiera à nouveau, tous les débats et toutes les discussions au sein du mouvement populaire et révolutionnaire, toutes prennent la République française et notamment l’an 02 de la République française comme référence incontournable. Ensuite, on voit ici comment les partisans de la Commune vont être confrontés à une contradiction, une opposition que l’on retrouvera souvent dans l’histoire des révolutions : l’opposition entre pouvoir légal et pouvoir insurrectionnel, entre suffrage régulier et ce qu’ils appellent « la lave qui sort du volcan »…
Fin octobre vont se produire deux évènements liés à la lutte contre l’occupant, l’un à l’échelon parisien (« l’affaire du Bourget »), l’autre au niveau national (la capitulation de Metz) qui vont provoquer le soulèvement du 31 octobre.
François Coustal