Les Etats Unis enregistrent le chiffre effrayant de 3998 morts par jour avec une tendance nette à l’augmentation et une situation catastrophique à Los Angeles. On mesure là les conséquences du laissez-faire de Trump, mais il ne faut pas se bercer de mots : la situation n’est nulle part totalement maitrisée, même dans les pays ayant décrété (prématurément) une victoire sur le virus. La pandémie continue à sévir au niveau mondial.
La Chine, bien qu’isolée du reste du monde, enregistre deux nouveaux clusters, notamment à Shijiazhuang, territoire qui compte 11 millions d’habitants, capitale de la province du Hebei, qui entoure Pékin (51 contaminations auxquelles s’ajoutent 69 cas asymptomatiques). On est certes très loin des chiffres américains et européens, mais cela montre que la menace reste présente.
Une situation très inquiétante en Europe
En Europe, la situation se caractérise hors de France, et plus particulièrement en Grande Bretagne, en Allemagne et en Suisse, par une nouvelle flambée épidémique très inquiétante. Le Royaume-Uni enregistrait 60 000 nouveaux cas et 1035 morts le 9 Janvier… En Allemagne la situation connaît une brusque détérioration qui témoigne du caractère assez imprévisible de la dynamique de l’épidémie. Le 28 Août le pays déclarait 114 décès pour 1 million d’habitant.es, le 28 octobre il déclarait 122 décès et le 10 janvier, après le second confinement et globalement avec une maîtrise de la situation jugée généralement meilleure qu’en France, l’Allemagne déclarait 500 décès pour un million d’habitant.es…
La flambée au Royaume-Uni semble être due en grande partie à l’apparition d’un mutant viral particulier qui présente non pas encore un taux de létalité modifié, mais a priori une contagiosité nettement supérieure. Cette mutation est différente d’une autre, dite Sud-Africaine, pour laquelle des inquiétudes existent concernant sa nocivité chez des sujets plus jeunes. Les anticorps produits par les vaccins sont apparemment (et pas que pour Pfizer) toujours effectivement neutralisants pour ces deux variants. Mais évidemment le risque existe d’une nouvelle mutation du virus qui contredirait leur efficacité. Or ces variants, sont déjà présents sur le sol français, en particulier le variant dit « anglais » pour lequel il existe d’ores et déjà plusieurs clusters identifiés et une enquête en cours de santé Publique France pour tenter d’en mesurer l’incidence sur le territoire français. La situation en France met d’ailleurs de ce point de vue en évidence un retard dans l’effort pour assurer un séquençage plus systématique des virus en circulation, permettant d’identifier les variants.
Dès lors, il faut prendre acte du fait que le développement de la pandémie comme l’évolution du virus restent largement imprévisibles et en tout cas très difficiles à modéliser. L’épidémie connait des flambées régulières, régionales le plus souvent, et a priori, rien ne permet de penser que cette dynamique va cesser. De même le risque d’une mutation du virus qui accentuerait sa viralité et sa létalité ne peut être négligé.
Et quoiqu’il en soit la menace d’une nouvelle flambée de l’épidémie aux conséquences extrêmement graves est à l’ordre du jour.
Pour une stratégie vaccinale offensive visant en priorité les sujets à risque et les soignant.es
Dans ce contexte, la mise en œuvre d’une stratégie vaccinale ciblant en priorité les populations les plus à risque et les soignant.es, avec les vaccins disponibles et offrant des garanties solides compte tenu des tests qui ont été réalisés et compte tenu également de données de l’observation pour les populations déjà vaccinées, est une réponse adaptée. Cela se justifie compte tenu du risque particulièrement grave que nous fait courir la pandémie. Les premiers résultats de phase 3 et « phase 3 intérim » justifient donc une stratégie vaccinale offensive, stratégie que, pour le moment, le gouvernement ne s’est pas donné les moyens de mettre en œuvre. Pour autant, on ne doit pas se masquer que plusieurs paramètres, dont la durée de protection et la persistance des anticorps induits (et la variation individuelle de ces données), nous échappent encore. Et bien sûr la survenue possible d’effets secondaires à long terme justifie la tenue d’un registre national des vacciné.es et le suivi d’échantillons de population, dans le cadre d’une étude poussée et rigoureuse de pharmacovigilance, et non une vaccination à l’aveugle. Ces mesures dont il n’est pas certain que le gouvernement ait prévu de les prendre doivent impérativement être mises en oeuvre.
On peut discuter pour savoir si les vaccinés seront « non contaminateurs » ou simplement « protégés », ou encore protégés seulement contre les formes graves. A ce stade les résultats d’étude des vaccins Moderna et Pfizer suggèrent fortement une bonne immunisation des sujets vaccinés avec des réponses autour de 90% et un effet anti transmission. Mais évidemment, plus vite le nombre de vacciné.es augmentera pour atteindre des seuils significatifs, et plus tôt la diffusion du virus sera ralentie et limitée. Eviter autant que possible des décès est la priorité. D’autant plus que la situation est aggravée par l’épuisement des personnels. Le risque d’un effondrement du système hospitalier, phénomène déjà noté en Californie et qui menace dans certaines régions de Grande-Bretagne, ne peut toujours pas être écarté en France.
Les résidents des EHPAD constituent une cible prioritaire d’une campagne vaccinale de masse. Si la mortalité des moins de 65 ans est très proche en 2019 et 2020, « avec cependant des évolutions différenciées selon les tranches d’âge », note l’Insee (la mortalité des 50 à 64 ans a augmenté de 10%), au-dessus la hausse du nombre de décès est forte. Et d’autant plus forte que l’âge augmente : elle est de 22 % entre 65 et 74 ans et de 30 % au-delà. Dans ce cadre, les décès survenus en établissement pour personnes âgées augmentent plus fortement entre 2019 et 2020 : + 50 % du 1er mars au 13 avril 2020 par rapport aux mêmes dates en 2019. Cette surmortalité est particulièrement nette en Ile-de-France où les décès ont été multipliés par trois, et dans le Grand Est, les deux régions les plus touchées par l’épidémie. Le Monde chiffre de son côté à 22 000 le nombre des décès survenus parmi les résident.es des EHPAD lors de la première vague, soit à peu près 2/3 des décès. Situation qui reflète aussi le caractère très dégradé des conditions de prise en charge et de suivi médical des personnes âgées hébergées en EHPAD. Il va sans dire qu’une flambée non maîtrisée de l’épidémie, avec des risques éventuellement accrus par les nouveaux variants viraux, représente un danger considérable pour cette catégorie de la population.
Certes la réponse au niveau de la production des anticorps et la réponse cellulaire diminuent avec l’âge. Certes les phases 3 ont intégré peu de personnes ayant plus de 75 ans. Certes, les effets secondaires existent aussi chez ces patients. Mais enfin, ils sont, hors le choc anaphylactique, relativement anodins et en l’état transitoire (ce qui n’exclut pas des effets à long terme peu connus faute de recul). Avec un choc anaphylactique pour 100 000 personnes immunisées par le Pfizer et une réponse sérologique positive, la balance risque vaccinal/risque viral est favorable au vaccin. Donc, même si le blocage de la transmission n’est pas formellement établi, vacciner en masse les pensionnaires et vacciner aussi le personnel soignant et accompagnant est évidemment la première des priorités.
Sortir de la faillite logistique et de la paralysie
La vaccination doit être rapide et il est important que le plus grand nombre de sujets des groupes à risque soient vaccinés avant que le petit rebond déjà constaté sur les courbes ne donne éventuellement lieu à une nouvelle flambée épidémique. Or, même pour une cible limitée aux EHPAD, aux personnes âgées et au personnel soignant, le démarrage de la campagne est extrêmement lent.
Le gouvernement, sachant que les vaccins allaient être livrés au début du mois de janvier, avait tout le mois de décembre pour mettre en place les centres de stockage, la distribution et la vaccination. Pourtant, le 8 janvier la presse montrait le palais du Festival à Cannes et le Palais des Congrès à Nice, réquisitionnés et prêts pour vacciner mais sans vaccins… Et surtout, la montée en puissance du nombre des vaccinations se fait trop lentement. Après les précédents échecs (dépistage, déconfinement) et les précédents manquements (approvisionnement en masques et en réactifs, armement des lits de réanimation… ), cela donne une image inquiétante de sa préparation et de sa mobilisation. Tout cela joint à la suppression de milliers de lits d’hospitalisation et plus largement à la destruction de notre système public de santé par les précédents comme par l’actuel gouvernement.
Face aux pénuries possibles d’approvisionnement et aux difficultés logistiques le gouvernement envisage d’ailleurs l’allongement du délai entre deux injections. Il n’existe cependant aucune donnée validant une telle modification du protocole vaccinal qui a été testé et confirmé. Il s’agit donc d’une décision politique dictée par les circonstances.
Quoiqu’il en soit le gouvernement témoigne à nouveau de son incapacité à mobiliser et coordonner les ressources matérielles existantes et l’ensemble des personnels susceptibles d’apporter leur compétence.
En tenant compte des délais de fabrication et de livraison des vaccins, l’organisation de cette campagne vaccinale doit donc être repensée entièrement à partir de l’expertise des soignants et des structures publiques de santé habituées à vacciner en nombre, plutôt que d’être confiée à un cabinet conseil. Les moyens logistiques nécessaires, y compris ceux qui existent déjà, doivent être mis en œuvre, les personnels et les organisations capables de les mettre en œuvre doivent être mobilisés et coordonnés (on pense par exemple aux pompiers). Les particularités du vaccin Pfizer (conservation à -80)° et même du vaccin Moderna bientôt disponible également (conservation à -20°), comme le rythme rapide auquel cette campagne doit se développer, imposent le déploiement de centres de vaccination créés pour la circonstance, a minima pour compléter le réseau existant de structures capables de vacciner.
Conclusion : il faut changer de stratégie
Une stratégie visant à endiguer l’épidémie est urgente, que ce soit par des mesures de contrôle de l’épidémie rigoureuses ou par une vaccination massive qui est absolument nécessaire, et si les recherches aboutissent également par un traitement plus efficace. Elle doit reposer :
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Sur des moyens matériels, logistiques et financiers efficaces. Moyens qui n’ont pas été suffisamment déployés jusqu’ici ou ont témoigné de déficiences graves. Déficiences dues pour l’essentiel à l’affaiblissement des institutions de soins, au manque de personnels, et à la perte de savoir-faire des institutions de santé publique alimentée par une dérive bureaucratique elle-même liée à l’introduction des méthodes de gestion du privé.
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Mais aussi et indissociablement sur la reconnaissance de l’expertise de terrain des soignant.es et l’implication des populations qui doivent être informées et reconnues. Cela passe par une éducation populaire de masse, notamment contre les divagations complotistes, par le partage des connaissances et la mobilisation de l’intelligence collective.
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Une organisation plus démocratique des mesures nationales impliquant aux échelons appropriés les mouvements associatifs, syndicaux, professionnels, pour inventer des procédures adaptées, s’approprier les résultats scientifiques en cours, donner de la souplesse (quitte à apprendre des échecs), mobiliser les personnes volontaires, articuler le soin, les droits sociaux et les besoins culturels.
Groupe de réflexion sur la crise sanitaire (chercheuses.eurs, praticien.nes et militant.es d’Ensemble et d’Ensemble Insoumis).