Tribune. Nous n’en finissons plus de battre des records : 60 % d’abstention en moyenne pour l’une des dernières élections qui avait du sens aux yeux des Français ! Les regrets du pouvoir en place sur le très fort taux d’abstention lors des élections municipales sont bien convenus… Alors que le phénomène ne date pas d’hier et s’aggrave de façon aussi continue que vertigineuse, sa décision d’organiser un second tour dans des conditions totalement chaotiques n’a pas été infléchie. Mais ne nous cachons pas la réalité : si ces circonstances ont sûrement aggravé l’abstention, elles ne l’ont pas créée.
L’écologie est devenue pour beaucoup l’une des ultimes raisons qui motive cet acte citoyen. Le succès des listes s’en réclamant de façon prioritaire l’atteste. La conscience de l’urgence climatique a gagné la société, toutes tranches d’âges et toutes classes sociales confondues. Mais cette préoccupation n’a pas, pour chacun, la même incidence. Les jeunes, que l’on voit pourtant si actifs dans les mobilisations sur le climat, dans des mouvements de refus de surconsommer, de manger de la viande, de prendre l’avion, de s’inscrire dans des métiers inutiles… ont très peu pris part au vote. Seuls 28% des 18-34 ans se sont rendus aux urnes dimanche dernier. Les catégories populaires se sont également largement tenues en retrait de ce scrutin – jusqu’à 80% d’abstention dans les quartiers populaires –, alors même qu’elles sont les premières impactées par les conséquences d’un univers dégradé, fait de pollutions et de malbouffe. Et bien sûr qu’elles le savent, en souffrent pour elles-mêmes et pour leurs enfants et le vivent comme une incroyable injustice.
De l’adhésion des jeunes et des classes populaires
Il est devenu banal de dire qu’il ne faut pas opposer fin du monde et fin du mois. C’est une réelle avancée mais, pour que ces deux combats se rapprochent politiquement, il faut s’interroger sur la déconnexion entre montée en puissance de l’écologie et participation démocratique atone des jeunes et des classes populaires. Il n’y a aucune chance que nous parvenions à opérer les bouleversements sociaux et écologistes nécessaires dans notre organisation sociale sans leur adhésion, leur participation. Leur force et leur énergie en sont une condition sine qua non. L’accord social, et donc politique, pour mener cette révolution doit nous obséder. A défaut, en 2022, il se pourrait bien que Macron et Le Pen s’affrontent à nouveau dans un duel de plus en plus serré qui nous éloigne de ces objectifs vitaux pour nous plonger dans le chaos. Pour qu’il en soit autrement, l’écologie doit devenir un enjeu de luttes populaires et de conflictualité dans le débat public. S’il en est autrement, si l’écologie apparaît comme le combat des centres urbains et des plus privilégiés, soit le retrait des classes populaires et de la jeunesse s’aggravera, soit le projet politique écologique sera ramené à ce qu’il n’est pas, un sujet pour les citadins aisés, et nous perdrons le combat de notre temps… Or nous n’avons pas le droit de perdre.
Cette responsabilité incombe en premier lieu à ma famille politique, celle qui se réclame du combat pour l’égale dignité et l’émancipation humaine. Depuis deux siècles, elle a pris la forme de batailles intimement sociales et politiques, radicales et démocratiques. Le mouvement ouvrier, le syndicalisme, la gauche, le socialisme et le communisme l’ont incarné. Tous sont aujourd’hui en situation de grande fragilisation. Pas seulement en France mais dans toute l’Europe. Leur effacement n’arrêterait pas le combat séculaire pour l’égalité et la liberté mais nous y perdrions sans aucun doute en culture, en histoires vivantes, en force. La reformulation politique pour être en phase avec les défis de notre époque ne peut être que le fruit d’un sérieux travail qui associe toute notre famille d’idées, qui réunissent intellectuels et syndicalistes, activistes et artistes. Nous avons à dénouer des contradictions – décroissance de certains secteurs/emploi, taxes sur le diesel/réalité du développement territorial, lutte contre la malbouffe/prix du bio – qui ne sont pas indépassables mais nécessitent d’affûter nos réponses. Nous ne partons pas de rien mais nous avons encore bien du chemin à parcourir.
Initiative citoyenne et transformation sociale
Il y a un an, à l’issue des élections européennes, j’exprimais avec ma collègue Elsa Faucillon, députée communiste des Hauts-de-Seine, mes inquiétudes sur l’atomisation au sein des gauches et des écologistes. Depuis, nous n’avons pas beaucoup avancé. Les divisions nous rongent et nous épuisent. Les belles victoires emportées à Marseille, à Corbeil-Essonnes ou à Trappes, les belles dynamiques retrouvées à Toulouse et dans tant de petites et moyennes villes partout en France… ont toutes pour base de l’initiative citoyenne conjuguée avec un rassemblement de formations politiques portant la transformation sociale. Si elles ne donnent pas toutes les clés pour la suite, ces réussites donnent de l’espoir. Il faut inventer à l’échelle nationale une façon d’ouvrir nos espaces politiques à l’élan citoyen et solidaire, que l’on a d’ailleurs vu se déployer de façon impressionnante face à la crise sanitaire, et de créer des alliances politiques dont le curseur permettra de mobiliser le monde populaire et la jeunesse.